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La "Sainte Famille" - 3ème partie
Christine Fontaine

Après avoir analysé la place de Marie et de Joseph dans « la Sainte Famille », Christine Fontaine porte son regard la famille dans les évangiles et dans l’Église aujourd’hui. Elle écrit : « La hiérarchie catholique fait de 'la Sainte Famille qu’est l’Église' un modèle du patriarcat alors que les évangiles en indiquent la sortie. Elle avait, dans son patrimoine spirituel, toutes les ressources pour, non seulement faire face à la mutation culturelle contemporaine, mais pour s’en réjouir. Elle aurait même pu prétendre y avoir contribué. C’eût été sa chance. Elle ne l’a pas saisie. »

1- La « Saint Famille »... d’abord une histoire de femmes

2- Mais où est passé Joseph ?

3- La famille dans les évangiles et dans l’Église aujourd’hui
  

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3- La famille dans les évangiles et dans l’Église aujourd’hui

La vie de famille selon Jésus-Christ

Quelque trente années après sa naissance, alors que Jésus et ses disciples parcourent les routes de Palestine, des Pharisiens l’interrogent sur la vie de famille : « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quels motifs ? » Il répondit : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme (…) ? Ainsi ils ne sont plus deux mais une seule chair. Eh bien ! Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer. » - « Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie ? » - « C’est en raison de votre dureté de cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi… » (Mt 19,3…8).

Toute Loi, répond Jésus– fût-ce celle de Dieu, donnée à Moïse – est toujours instituée en raison de la dureté du cœur humain. En amour, la loi est inutile : on s’aime ou on ne s’aime pas et la loi n’y peut rien. La loi ne peut jamais que limiter les dégâts… quand le cœur n’y est pas. Jésus appelle ses interlocuteurs à se situer, par-delà les lois, à leur origine : dans cet appel de l’Autre par qui s’opère l’union charnelle entre l’homme et la femme sans aucun rapport de convoitise ou de soumission. Là s’incarne le Mystère d’un amour qui passe par leur alliance humaine et la dépasse. Et Jésus ajoute : « Or je vous le dis : ‘quiconque répudie sa femme – pas pour prostitution – et en épouse une autre, commet un adultère’. Les disciples lui disent : ‘Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, il n’est pas expédient de se marier’ » (Mt 19,9-10).

Jésus rétablit la réciprocité entre l’homme et la femme voulue par Dieu à l’origine. Alors, cette fois ce ne sont plus seulement les Pharisiens mais également les disciples qui se rebiffent. Comment mieux exprimer que le seul intérêt du mariage pour un Juif est d’exercer sa propre maîtrise sur sa femme ! C’est de ce régime patriarcal que Jésus tente de les extraire. Alors comme ultime preuve que l’union entre l’homme et la femme, telle que Dieu la désire, n’est pas davantage de l’ordre des lois de la nature - comme dans le monde animal - que de celui d’une culture patriarcale, Jésus ajoute : « Il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux. Qui peut comprendre, qu’il comprenne ! » (Mt 19,11-12).

Scandale pour tous les Juifs ! L’absence de relations sexuelles est toujours un grand malheur et il n’est pas concevable qu’elle soit choisie. Il en sera de même pour les musulmans. Ce choix, pour eux, ne peut pas être voulu par Dieu puisqu’il contredit les lois de la nature que lui-même a créées. Jésus ne donne pas de raisons de faire ce choix, il le rend simplement possible. En fait le célibat choisi à cause du Royaume ne s’explique pas plus – et pas moins – que l’union charnelle au sein d’un couple qui se laisse saisir par l’appel de l’Autre. Jésus ne décrit pas le choix du célibat comme une condition supérieure à la vie en couple. Il invite plutôt à considérer que l’un comme l’autre procèdent du même lieu et du même Mystère. Ce lieu est le sanctuaire de Dieu au milieu des hommes. Il se situe par-delà toute loi. Vouloir instaurer des règles de morale en ce lieu revient à violer ce sanctuaire.

Le fait que ce mystère de l’amour puisse s’incarner sous des formes différentes permet à chaque sujet - désireux de suivre la Voie ouverte par Jésus - d’inventer son propre parcours. Tant bien que mal, cahin-caha… tous ensemble… les couples qui ont la chance de connaître un amour durable et ceux qui – comme la Samaritaine – ne l’ont pas encore trouvé après cinq expériences malheureuses, ceux qui vivent dans le célibat par choix et les eunuques de naissance ou ceux qui le sont devenus par l’action des hommes, les homos, les hétéros, les trans… et même les prostituées dont il est écrit qu’elles précèdent les hommes de religion dans le royaume de Dieu (Mt 21,31). La Sainte Famille n’est pas un modèle à reproduire mais un Esprit qui circule au sein de l’humanité et permet à chacun d’aventurer sa propre histoire.

L’Église catholique ou « la Sainte Famille de Dieu »

S’il est question, dans les évangiles, de la famille de Jésus, Marie et Joseph, la Sainte Famille est quasiment absente des représentations iconographiques au Moyen Age. On trouve au milieu du XVIIe siècle, au Canada, les premières dévotions qui lui sont liées et son iconographie se développera dans plusieurs lieux au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle quelle est présentée par la hiérarchie catholique comme un modèle à suivre pour l’Église universelle. Le pape Léon XIII, en 1893, dote la Sainte Famille d’une messe nouvelle et d’un office. Enfin Pie XI, en 1921, rend cette fête obligatoire dans toute l’Église. Elle est actuellement célébrée le dimanche qui suit la fête de Noël.

Le XIXe siècle est également celui où émerge dans la société un nouveau modèle de famille. Dans le sillage de la Révolution française, la famille nobiliaire liée à la royauté n’a pas bonne presse. À l’autre extrême, on trouve la famille paysanne attachée à la terre et dans laquelle les générations cohabitent sous le même toit. « Au milieu du XIXe siècle, la grande bourgeoisie, à la fois actrice et bénéficiaire de la révolution industrielle, cherche à laisser à la postérité l’image de sa réussite économique et sociale. À défaut d’appartenir à une lignée prestigieuse du passé, elle célèbre la famille, clé de voûte de ce nouveau modèle  (1). » Dans cette famille, le père doit subvenir aux besoins de son épouse ainsi que de ses enfants et en retour la femme doit obéissance à son mari, ce que le Code civile napoléonien inscrit dans le marbre en 1806. Le culte de la Sainte Famille devient obligatoire dans ce contexte.

À la suite du Concile Vatican II, le pape Paul VI écrira : « La famille a bien mérité, aux différents moments de l’histoire, le beau nom d’“Église domestique” sanctionné par le Concile Vatican II. Cela signifie, que, en chaque famille chrétienne, devraient se retrouver les divers aspects de l’Église entière. En outre, la famille, comme l’Église, se doit d’être un espace où l’Évangile est transmis et d’où l’Évangile rayonne.  (2) » La hiérarchie catholique justifie son propre fonctionnement patriarcal en prenant pour modèle l’obéissance que la femme et les enfants doivent au père au sein de la famille bourgeoise au XIXe siècle… Et c’est la catastrophe :

« L’avènement de la modernité politique a fracassé le rêve théologico-politique de l’embrassement du monde social par la religion, et notamment, en France, par le catholicisme romain. Déboutée en quelque sorte de son projet de régie politique du monde, l’institution romaine a investi et surinvesti la sphère familiale, y compris en développant un familialisme catholique incroyable : l’Église étant elle-même définie comme une famille et la famille humaine comme une petite Église. Ce dispositif a été extraordinairement renforcé au XIXe siècle par l’émergence, récente dans l’histoire, de « la famille conjugale » – papa, maman, les enfants – comme noyau familial. C’était une idée neuve en Europe. Le familialisme catholique va endosser et fournir des instruments de légitimation au conjugalisme et au familialisme bourgeois du XIXe siècle qui inventent la famille sous cette forme.

« Ce dispositif va exploser en vol à partir du moment où ce qui permettait l’articulation du modèle conjugal avec le modèle ecclésial – à savoir la structure hiérarchique du pouvoir avec le père représentant la loi – va se défaire. Au tournant des années 70, se produit l’émergence et la reconnaissance dans le droit de ce qu’on appelle aujourd’hui la famille relationnelle ou horizontale, celle dans laquelle des sujets s’engagent les uns envers les autres de façon contractuelle. (…) C’est la panique totale parce qu’on ne peut pas toucher à la structure familiale – et à ce modèle hiérarchique et mâle du pouvoir – sans ébranler en même temps le système romain. Les deux ont complètement partie liée. L’ébranlement de ce modèle familial est une catastrophe pour l’Église. (3) »

La hiérarchie catholique fait de la Sainte Famille qu’est l’Église un modèle du patriarcat alors que les évangiles en indiquent la sortie. Elle avait, dans son patrimoine spirituel, toutes les ressources pour, non seulement faire face à cette mutation culturelle, mais pour s’en réjouir. Elle aurait même pu prétendre y avoir contribué. En effet, des femmes et des hommes au nom de leur foi, depuis les origines, se sont battus contre toute forme d’emprise et d’esclavage. Cette histoire, bien que plus cachée, est tout aussi vraie que celle de l’impérialisme du catholicisme romain. La hiérarchie aurait pu volontairement lâcher prise sur la famille comme elle y avait été acculée sur la société. C’eût été sa chance. Elle ne l’a pas saisie.

Est-il besoin de rappeler que Jésus n’est pas né dans une famille de prélats mais à Nazareth, une ville qui n’avait pas bonne réputation ? « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Mt 13,55), dira un jour Nathanaël. Marie ne ressemble guère à cette femme grandiose que l’on encense sur les autels. C’est une petite gamine de rien du tout qui est suffisamment consciente de ses limites pour ne pas craindre d’être dépassée par ce qui lui arrive. On ne sait pas grand-chose de Joseph si ce n’est qu’il est charpentier : « N’est-il pas le fils du charpentier ? » (Mt 13,55) dira-t-on de Jésus. La charpente est un bon métier. Jésus est né dans une famille modeste qui ressemble à n’importe quelle autre. Gageons qu’il choisit encore cette vie cachée pour renaître aujourd’hui.

Christine Fontaine, février 2024
Fusain de Frédérique Lemarchand

1- Extrait de l’article de Fleur Siouffi Portait d’une famille bourgeoise, mars 2016 : https://histoire-image.org/etudes/portrait-famille-bourgeoise / Retour au texte
1- Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi n° 71, Paul VI 1975 / Retour au texte
1- Extrait d’un entretien avec Danièle Hervieu-Léger à propos du livre qu’elle a co-écrit avec Jean-Louis Schlegel Vers l’implosion ? Entretien sur le présent et l’avenir du catholicisme – Ed. du Seuil 2022 On trouve l’intégralité de cet entretien à la page : https://www.youtube.com/watch?v=Heu5-vGvFwE / Retour au texte