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Welcome 78, quand les catholiques collaborent !
Joseph Ziadé

Joseph Ziadé est un jeune retraité. Il consacre une grande partie de son temps à organiser un accueil pour les réfugiés dans le département des Yvelines (France). Cet accueil a été mis en place par le Service Jésuite des Réfugiés et le Secours Catholique du département. Cette expérience manifeste que lorsque les catholiques (entre autres) collaborent, la présence de réfugiés en France n’est pas un problème.

Joseph Ziade est membre de l'équipe animatrice de "Dieu maintenant".

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La situation des demandeurs d’asile

Ils s’appellent Ahmed, Hussein ou Amadou … Ce sont des demandeurs d’asile qui frappent à notre porte parce qu’ils sont vulnérables et ont besoin de protection. Ils fuient la misère, la guerre, et les persécutions. Leur statut est fragile, ils vivent souvent dans des conditions très précaires. Les demandeurs d’asile sont des migrants qui s’inscrivent dans une procédure, visant à obtenir la reconnaissance par le pays d’accueil, du statut de réfugié, ou de protection subsidiaire (1)

Le nombre de ces demandeurs d’asile ne cesse d’augmenter. Il y a eu cent mille demandes enregistrées en France en 2017 selon l’OFPRA (l’Office Français de la Protection des Réfugiés et Apatrides), une évolution annuelle de +17%. Un chiffre record, mais qui ne traduit pas une explosion comme certains pourraient le penser, car la progression est assez régulière depuis 10 ans, et le nombre en France représente la moitié des demandes enregistrées chez nos voisins allemands en 2017.

Une des questions fondamentales qui se pose à la France, est l’accueil de ces personnes arrivant en plus grand nombre, et le soutien à leur donner pendant la (trop) longue période de procédure d’examen de leur demande de protection. Cette dernière prend typiquement 1 voire 2 ans ou plus.

Faute de moyens, et d’adaptation de certaines structures, l’État ne parvient qu’imparfaitement à assumer ses responsabilités d’accueil, d’accompagnement et d’intégration.

De multiples associations doivent prendre le relais, et tentent péniblement, souvent à la limite de leurs capacités, de pallier le manque notoire d’hébergements de l’État, et la quasi inexistence de cursus d’apprentissage de la langue française, deux facteurs fondamentaux, sans lesquels un demandeur d’asile ne peut vivre dignement, et avoir une chance de défendre correctement ses droits. L’hébergement et l’hospitalité permettent aux demandeurs d’asile d’assumer les difficultés matérielles et administratives qui les attendent pendant la durée de leurs démarches, et leur début d’intégration.

Les Jésuites luttent dans le monde entier depuis des années avec le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) contre l’isolement et l’exclusion sociale des personnes déplacées de force de leur pays d’origine
http://www.jrsfrance.org/ En France, ce service prend forme dans le programme « Welcome en France ». De son côté, l’antenne du Secours Catholique des Yvelines, dont les moyens et actions en faveur des plus démunis sont bien connus dans le département, cherchait comment participer activement dans cette lutte en faveur des personnes déplacées. « Welcome 78 » est né de cette double volonté. Le Secours Catholique des Yvelines s’est naturellement rapproché de JRS pour créer ce « collectif », que j’ai rejoint comme bénévole il y a bientôt deux ans. http://www.jrsfrance.org/jrs-welcome-refugie/

Welcome 78 : un contrat d’accueil

Avec « Welcome 78 », nous nous concertons sur la mise en œuvre de solutions d’hospitalité et d’hébergement temporaire gratuit, dans des familles d’accueil françaises habitant dans le département.

Voici comment ça fonctionne. Nous proposons aux familles qui le souhaitent, d’accueillir chez elles un demandeur d’asile pendant 4 à 6 semaines maximum. Nous proposons aux demandeurs d’asile un accompagnement au sein de notre réseau pendant de 6 à 9 mois. En d’autres termes, la personne accueillie va rencontrer 9 familles (ou plus) pendant son parcours avec nous.

L’idée est de permettre aux uns, une rencontre diversifiée avec les familles et leur culture française, et de permettre aux autres, de pouvoir s’engager pour des périodes courtes et limitées. Nous encourageons évidemment les familles qui le peuvent à proposer des accueils continus, ce qui leur permet de rencontrer plusieurs demandeurs dans une année donnée. Pour les deux parties, ce rythme, perçu comme rude parfois, surtout au début de l’expérience d’accueil, garantit néanmoins un accueil fraternel, sans le risque associé de l’installation d’une relation pesante et potentiellement contreproductive. En effet l’objectif de l’accueil en famille, c’est de donner l’énergie et le souffle qu’il faut au demandeur pour acquérir une certaine autonomie, dans l’accomplissement de ses démarches administratives multiples et contraignantes, et in fine, dans l’effort d’intégration dans notre pays.

Comme le demandeur d’asile change régulièrement de famille, nous lui donnons un tuteur ou tutrice Welcome, dont le rôle sera de l’accompagner tout au long de son chemin dans le réseau. Le tuteur l’introduira dans les familles successives, il s’assurera par des appels ou rendez-vous amicaux que l’intégrations au sein des familles se passe au mieux, il accompagnera le demandeur par son écoute bienveillante et son soutien moral, et il l’aidera ponctuellement dans ses démarches, sans se substituer aux organismes d’aide dont c’est la vocation. Enfin le tuteur, avec l’aide de l’équipe de coordination W78, proposera au demandeur d’asile des cours de français, et une liste d’activités, que la personne sera encouragée à suivre le plus régulièrement possible.

Les Jésuites faisant bien les choses, un contrat très succinct est signé par les 3 parties (la famille d’accueil, la personne accueillie, et le tuteur) à chaque installation dans une famille donnée. Ce contrat est surtout l’occasion de discuter des « règles de vie » c’est-à-dire de ce que les uns ou les autres doivent faire pour que dans la vie de tous les jours les choses se fassent simplement et fraternellement (heures et nombres de repas, procuration ou non de clés, lessive, heure maxi de retour à la maison le soir etc…)

Quelques chiffres, que j’ai extraits du rapport d’activité de Welcome En France 78, donnent une idée du volume de nos activités : Plus de 8 000 nuitées ont été offertes par W78 depuis sa création en septembre 2015. L’année dernière a vu un cumul de 5 600 nuitées où nos familles ont accueilli jusqu’à 24 demandeurs d’asile. C’est à la fois beaucoup et une goutte d’eau par rapport aux besoins !

L’histoire de Hussein

L’histoire de chacun de ces demandeurs d’asile est évidemment unique comme l’est notre propre histoire. Cependant tous ont plus ou moins vécu le même parcours entre leur pays d’origine et le pays d’accueil. Hussein en est l’illustration.

Hussein est arrivé en France à l’automne 2015 – Il avait 24 ans. Nous l’avons accueilli pour la première fois en septembre dans une famille à Mareil-Marly. Je l’ai accompagné comme « tuteur » tout au long de son parcours dans notre réseau, il est resté avec nous plus d’un an, une exception à nos règles, du fait de sa fragilité particulière.

Son long parcours depuis l’Irak, ressemblait en tous points à ceux décrits par les médias : une incroyable épopée par terre, et par mer, les passeurs, la peur, la fatigue, l’incertitude… De multiples obstacles humains et naturels à franchir. Ses parents étaient partis avec lui, mais trop vieux, ils avaient fini par rebrousser chemin, encourageant leur fils à poursuivre cet exil forcé, pour éviter de perdre leur second garçon. Leur autre fils avait 18 ans, lorsqu’il a été abattu devant la maison familiale, par une des multiples milices de voyous de quartier, recrutant de force, ce qui restait encore comme jeunes hommes tranquilles, étudiants, et donc sans armes. Hussein a fui car il ne voulait pas porter d’armes, il n’avait pas d’autres choix que de partir, sinon lui aussi y passait.

La communication avec la famille d’accueil était difficile car il ne parlait que l’arabe. La mort de son frère le hantait, il n’arrivait pas à dormir des nuits entières. Tout lui paraissait insurmontable, il était accroché à son smartphone, balayant sans cesse les terribles images qui avaient provoqué son traumatisme. Pourtant il ne cessait de s’émerveiller devant la quiétude et la sécurité de ce nouveau pays qu’il découvrait, il n’arrivait pas à croire - ce sont ses propres mots - « que l’on puisse accueillir gratuitement et avec autant de fraternité quelqu’un qu’on ne connaît pas ». Quand il a enfin reçu sa convocation à l’OFPRA, pour justifier sa demande de protection, près d’un an et demi s’était écoulé. Il se débrouillait à l’oral en français, il avait bien préparé son dossier, on pensait tous qu’on lui accorderait rapidement la protection à laquelle il aspirait. Aussi incroyable que ce soit, l’agent de l’OFPRA a refusé de lui accorder ce statut, et c’est grâce à un incroyable élan de solidarité de plusieurs familles d’accueil de Hussein, qu’au bout de plusieurs mois encore, il a gagné son recours déposé à la CNDA (Cour Nationale des Demandeurs D’asile) Le statut de réfugié politique allait lui être accordé enfin !

Hussein est sorti du réseau il y a plusieurs mois, il s’est soigné comme il a pu, il s’est reconstruit petit à petit, il est devenu quasi autonome administrativement, et surtout il s’est constitué un réseau d’amis français, ce qui est une clé de la réussite de l’intégration. Il suit une aujourd’hui une formation professionnalisante, et après son stage il sera artisan plombier ! Ce qui est le plus frappant, c’est de constater que les familles qui l’ont accueilli, plusieurs avec une certaine inquiétude au début car il s’agissait de leur premier accueil d’irakien, sont toujours et régulièrement en contact avec lui. Il m’arrive de le croiser dans le quartier sortant de chez les uns ou les autres, c’est une grande joie de le revoir ainsi, et de penser qu’il n’y a pas que de mauvaises histoires, avec les émigrés qui frappent à notre porte.

Mon expérience

A titre personnel cette expérience avec Welcome est une chance incroyable, j’ai été exposé à un phénomène d’actualité important. Le fait de devenir acteur me procure une grande satisfaction.

Documenté ou pas, chacun a son avis sur la question de l’immigration en France. Mais être sur le terrain, vivre une expérience de tuteur avec JRS/Welcome, comme je l’ai fait la première année de mon engagement, rencontrer des familles chaleureuses qui accueillent chez elles des étrangers si différents, et qui se battent souvent ensuite pour les aider à s’en sortir, ça permet d’ancrer les choses, de vivre une belle réalité de ce que veut dire « être demandeur d’asile en France ». Enfin, en respirant ce bon air de l’accueil gratuit et inconditionnel, je retrouve la France qui m’a accueilli adolescent, qui est belle, généreuse et grande !

Jamais je n’aurais pensé que l’arabe, que ma mère chrétienne libanaise nous a forcé à apprendre, me servirait un jour. Or, depuis mon engagement dans cette cause, je suis devenu naturellement, téléphone arabe aidant, le référant vers lequel des demandeurs d’asile arabophones se tournent.

Quelle immense joie vraiment de côtoyer ces jeunes syriens, ou irakiens, souvent meurtris et désorientés, de les voir se battre jour après jour, espérer, trébucher puis rebondir, pour tenter d’obtenir, avec la plus grande dignité, la possibilité de vivre, vivre en sécurité, travailler, fonder une famille, bref tout ce qui nous paraît si naturel à nous qui ne subissons pas leur sort !

Enfin, cette expérience me réconcilie avec mon Eglise et le peuple de Dieu. Je ne trouve pas toujours ce que je cherche dans l’Eglise catholique à laquelle j’appartiens, et souvent ne me reconnais pas dans l’attitude de certains catholiques de France, notamment sur la question de l’immigration. Ici c’est le contraire, je ne rencontre que des catholiques de bonne volonté, des personnes engagées dans l’action solidaire et fraternelle.

Joseph Ziadé, février 2018
Peintures de Van Gogh

(1) Le statut de réfugié est encadré par un texte international adopté en 1951, signé par de nombreux pays, dont la France, et appelé la Convention de Genève. Il doit être accordé si la personne craint d’être persécutée à cause de sa « race » ou origine ethnique, sa religion, sa nationalité, le groupe social auquel elle appartient, ou encore ses opinions politiques.
Les raisons économiques ne permettent pas d'obtenir la reconnaissance du statut de réfugié.
Si la situation de la personne ne répond pas à la définition du réfugié donnée par la Convention de Genève, elle peut, sous certaines conditions, bénéficier de la protection subsidiaire. Si elle peut prouver qu’elle est exposée dans son pays, à la peine de mort, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et si elle est un civil, à une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en cas de conflit armé.
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