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Vitalité en Centrale ? Deux mots incompatibles ?
Isabelle Ziadé

Le Garde des Sceaux a récemment ordonné de « supprimer toutes les activités ‘ludiques’ en prison hors éducation, langue française et sport… » Le Conseil d’État a été saisi par plusieurs instances pour suspendre cette décision. Isabelle Ziadé intervient en Centrale depuis de longues années principalement comme bénévole dans une association pour l’accueil des familles, venant visiter « leurs » détenus… Nous lui avons demandé de nous faire part de son expérience.

Isabelle Ziadé est membre de l'équipe animatrice de "Dieu maintenant"

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« La peine de prison a pour fonctions de : sanctionner l’auteur, favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion de l’auteur de l’infraction. »

Quel est le sens de la peine de prison ? Il a clairement évolué avec le temps et est à notre époque défini dans le Code Pénal (loi du 15 août 2014) comme suit : « Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions, de restaurer l’équilibre social dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions de : sanctionner l’auteur, favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion de l’auteur de l’infraction. »

Dès 1930, un haut magistrat et théoricien du droit, Marc Ancel, estimait que la meilleure protection de la société, la plus efficace et en même temps la plus humaine, consiste à réaliser et favoriser la réinsertion et donc la réadaptation des délinquants : « Ainsi, à la fonction punitive et l’objectif sécuritaire de la détention, s’ajoute, pour l’administration pénitentiaire, l’objectif de réinsertion. L’objectif de réinsertion ne peut être satisfait que si la personne détenue a la capacité d’y contribuer. Il passe d’abord par une forme de volonté personnelle, qui ne peut être mise en œuvre que si elle en a les moyens…améliorant ainsi la compétence acquise du détenu pour un retour dans la société réussi… »

Ces quelques réflexions pour montrer que, heureusement, le sens de la détention a évolué avec le temps, et que nous sommes loin maintenant de la seule fonction punitive/protection de la société… et basta ! Si on n’y ajoute pas cette notion essentielle de possibilité d’amendement et surtout de possibilité ou objectif de RÉINSERTION à la fin de leur peine, comment des personnes emprisonnées pour 10, 20 ans ou plus pourraient-elles vivre si longtemps enfermées sans devenir sans doute plus asociales et/ou enragées qu’à leur entrée en prison ?!

Pour rappel, je vais évoquer ici l’organisation de la vie dans une Centrale, à ne pas confondre avec les Maisons d’Arrêt ou Centre de Détention. En principe, les Centres de Détention sont réservés aux détenus purgeant une peine de moins de 10 ans. C’est là qu’on parle de surpopulation carcérale, avec un taux d’occupation pouvant aller jusqu’à 157%. Ainsi, d’immenses structures prévues pour 2500 détenus hébergent en fait presque 4000 détenus, générant d’immenses tensions. On imagine la complexité de la gestion et de l’organisation de ces structures…et comme il doit être difficile d’y proposer un temps « constructif »…

En Centrale, il n’y a « que » 200 à 250 détenus en moyenne, tous strictement en cellule individuelle. De petites structures donc, mais où le « temps » va être très long… 10, 15, 30 ans ou plus à « occuper »… avec un objectif de réinsertion et de réhabilitation à la sortie… quelle gageure !!
Ce n’est sûrement pas parfait ! Les bâtiments sont souvent très vieux. Les tensions et violences sont inévitables, mais bon an mal an, la vie y est assez structurée. On est en général très surpris, quand on découvre ce « monde » parallèle qu’est une Centrale, de voir le nombre de propositions faites aux détenus.

Ateliers et activités proposés en Centrale

J’interviens, dans une Centrale de la région parisienne, principalement comme bénévole dans une association pour l’accueil des familles, venant visiter « leurs » détenus… J’ignore à partir de quand a été mis en place ce que je vois ou ce que je sais comme organisation et activités proposées aux détenus. Je ne peux pas non plus certifier que ces activités sont proposées dans toutes les Centrales de France. Cependant, il est vraisemblable que c’est le cas pour ce qui est proposé par l’Administration Pénitentiaire. Cela ne l’est pas forcément pour ce que proposent les différentes associations de bénévoles qui interviennent dans les prisons… Tout dépend du nombre de bénévoles dans chaque région de France… !

Le mot « proposé » est important… si nous retenons une phrase citée plus haut : « … la réinsertion… passe d’abord par une forme de volonté personnelle… ». La première chose à savoir est qu’aucune activité proposée n’est obligatoire en Centrale. Si un détenu veut ne rien faire, ne participer à rien, il le peut… Mais cela ne l’aidera pas, on peut même dire qu’il en sera pénalisé dans l’évaluation régulière de son dossier de suivi, fait par le JAP (Juge d’Application des Peines) et, au sein de la prison, par le SPIP (Service Pénitentiaire et d’Insertion et de Probation). Plus un détenu participe activement à un atelier ou activité, plus il sera considéré comme sociable et donc socialisable et réintégrable… autant de points en sa faveur, en plus de bien d’autres facteurs bien sûr, qui entrent en compte pour obtenir une réduction de peine…

Que propose une Centrale ? en tout cas pour ce que j’en connais…

Accès à L’ÉDUCATION

On peut passer bien des diplômes quand on est incarcéré, depuis le Brevet, puis le Bac, jusqu’à suivre un cursus universitaire, un CAP ou un BTS. L’Éducation Nationale y envoie des professeurs. L’enseignement passe également par le CNED (Centre National d’Éducation à Distance). Les remises de diplômes sont faites tous les ans en bonne et due forme, avec des représentants de l’Éducation Nationale qui viennent sur place. Un jeune de 25 ou 30 ans recevant solennellement son diplôme du Bac (j’y étais, car nous organisons un petit buffet festif pour l’occasion) a dit mi-figue mi-raisin : « eh ben, si j’étais pas passé par la case prison, Jl’aurai jamais eu mon Bac... ! » Les possibilités de choix CAP et BTS sont forcément restreintes aux conditions de sécurité d’une prison, et sont principalement en cuisine ou pâtisserie, plomberie également, me semble-t-il. Je ne connais pas le nombre de participants mais je sais qu’il est faible…

Accès au TRAVAIL

L’Administration Pénitentiaire a des partenariats avec des entreprises pour proposer du travail aux détenus, forcément ciblés en fonction des conditions particulières d’une prison. Plusieurs postes sont ainsi proposés : fabrication de piñatas (sorte de ballons en papier coloré remplis de bonbons), réparation de vélos, fabrication de petites enveloppes, numérisation des archives de l’INA. Les propositions changent suivant les partenaires trouvés. Certaines années, il n'y a pas assez de travail proposé pour tous les détenus intéressés. D’autres années, s’il n’y a assez de travail pour les détenus volontaires, ils travaillent par « rotation » : un détenu travaille pendant, par exemple, 6 mois puis doit céder sa place à un autre, etc… Les volontaires sont nombreux. En effet, le travail les sort du désœuvrement et leur permet de gagner un peu d’argent (un pourcentage du SMIC, sans plus de précisions !). C’est aussi un bon signe envoyé au JAP et SPIP ! Actuellement, nous sommes dans une « bonne » année : 80% des détenus qui le demandent peuvent travailler.

Accès à divers ATELIERS sociaux-culturels

Arts Plastiques : Peinture-sculpture-travail du bois-fabrication de maquettes-vidéos / Théâtre avec un professeur, représentation à la fin de l’année / Musique, formation d’orchestres / Écriture / Lecture/partenariat avec la librairie de Poissy/participation à la sélection du « Goncourt des Détenus » / Club d’échecs / Jeux de société / Horticulture / Accès à la bibliothèque

Activités sportives : La prison comporte un grand gymnase (volley-hand-badminton-tennis de table-boxe etc), une salle de musculation, un terrain de sport (jogging-foot-VTT), une cour pour la pétanque, un dojo pour les arts martiaux (judo-karaté) ou yoga

Activités thérapeutiques : Équithérapie (soin psychique médiatisé par le cheval) et la même chose avec des chiens.

Activités libres : Des détenus ont demandé à participer à des « actions citoyennes », genre Téléthon. Ils font alors une super course de x kilomètres, comme les gens « de l’extérieur », mais qui a lieu dans l’enceinte de la prison. Ils ont aussi participé aux Restos du Cœur ou à L’Arbre à Pain, en mettant de côté tous leurs petits sachets de sucre ou thé non utilisés, par exemple, ou même le paquet de céréales ou riz « cantiné » (obtenu sur demande s’ils ont de l’argent sur leur compte/prison). L’ensemble est collecté sur place par les Restos du Cœur ou une autre association d’aide alimentaire. Des détenus ont aussi créé un journal mensuel, appelé « le journal des détenus », dont on trouve toujours un exemplaire dans la salle d’accueil des familles. Ils y racontent leurs ateliers, leurs spectacles, leurs challenges parfois (notamment la course pour le Téléthon !), leurs rencontres avec des intervenants extérieurs, un acteur, un sportif, un écrivain, un député. ils y proposent également des mots fléchés et même des recettes…

Un accès à la FAMILLE et AMIS bien sûr

Les différents documentaires ou livres écrits sur ce sujet montrent l’importance fondamentale du maintien du lien avec les amis ou familles pour les détenus… pour ceux qui auront la « chance » de garder leur famille à leur côté pendant 10 ou 20 ans et plus évidemment. Parents, fratries, amis bien sûr et principalement les femmes, épouses ou compagnes…

Combien de familles éclatent à l’annonce d’une peine si longue ? Peut-on juger une épouse ou compagne qui coupe les ponts alors qu’elle est totalement bousculée dans sa vie, avec tout ce qu’elle va devoir prendre en charge, anéantie par les faits puis par cette condamnation à une détention qui peut paraître infinie ? On estime qu’un détenu sur deux se retrouve « isolé », sans plus personne autour de lui. Chez nous, sur 230 détenus, environ 80 ont régulièrement des visites. Elles ont lieu les week-ends, par créneau de deux heures. Sans compter le lien avec les enfants… (un autre problème bien délicat…), un détenu ne perdant pas ses droits parentaux, à de rares exceptions.

Certaines Centrales, dont la nôtre, propose même des UVF (Unités de Vie Familiale) : sorte de petits appartements genre F4, où le détenu refait « famille », partage de une à trois journées (et nuits) avec femme et enfants (ou tout autre personne de son choix). C’est peu de dire combien ces UVF sont demandés et réservés des mois à l’avance. Cela montre l’importance que l’Administration Pénitentiaire accorde au maintien du lien familial pour les détenus.

Liens avec les INTERVENANTS EXTÉRIEURS

Il y a beaucoup d’intervenants extérieurs qui circulent dans une prison, lien précieux pour les détenus avec la vie « de dehors ». Ils vont des différents professeurs en art, sport, études, etc, en passant par des « personnalités » qui proposent des « tables rondes » ou conférences, les représentants de chaque religion, les bénévoles des quelques associations, nous par exemple/accueil des familles, les visiteurs de prison…, sans parler des avocats, etc.

Certains détenus participent activement à toutes les activités ou presque. D’autres - trop fracassés ? ou totalement rebelles à tout… puisque ces activités sont proposées par cette Administration et donc par cette Société qui les a enfermés - ne participent à rien ou presque… En tous cas, on peut penser que là – oui - on commence à arriver à une forme de « vitalité » en Centrale, à des conditions assez convenables et variées pour que ces hommes restent des hommes et donc aient une vraie chance de réinsertion et réhabilitation pour réintégrer la vie « de l’extérieur », la nôtre donc ! En étant à peu près debout, aussi bien physiquement que moralement à la fin de leur détention… On peut également penser que  non, contrairement à ce que certains esprits chagrins finissent par dire - on n’est pas en train de transformer la prison « en club Med » !! en proposant tous ces « avantages » aux personnes incarcérées.

Vers un retour en arrière ?

Notre Garde des Sceaux actuel ne doit pas être loin de penser cela… ? En ordonnant il y a un mois de « supprimer toutes les activités « ludiques » en prison (= toute forme d’atelier socio-culturel ? les activités thérapeutiques ? toute forme de conférence ou table ronde avec des intervenants extérieurs ?…) hors éducation, langue française et sport… » Ce à quoi la Contrôleure générale des lieux de privation a rétorqué : « Elles sont prévues par la loi. Ces activités ludiques ne sont pas simplement ludiques, elles servent à réapprendre à vivre normalement… »

Plusieurs organisations, dont l’Observatoire International des Prisons, la Ligue des Droits de l’Homme, le Syndicat de la Magistrature, mais aussi Médecins du Monde ou le Secours Catholique, ont annoncé mardi 18 mars dernier (article du Monde du 18 mars) avoir saisi le Conseil d’État pour suspendre la décision du Garde des Sceaux : « Cette interdiction contribue à entraver le droit de toute personne détenue à la réinsertion… Les associations socio-culturelles, quelles qu’elles soient, permettent de diminuer les tensions inhérentes à la privation de liberté, de réduire les risques de développer des symptômes dépressifs, d’améliorer le bien-être psychique et physique contributif au travail de réinsertion et de participer à la socialisation des personnes détenues… »

À suivre donc …

Isabelle Ziadé, mai 2025
Peintures de Brughel