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Scandale dans l’Église
Marité Delalande, Michel Poirier, Michel Jondot

Les medias dévoilent presque chaque jour des comportements très graves dont sont responsables des prêtres et des responsables dans l'Eglise. On ne peut ni rester indifférent ni se taire. Comment réagir ? Trois membres de l'équipe animatrice de Dieu Maintenant se situent. Chacun d'eux, de façon différente, dit sa souffrance.

La confiance est morte !
Marité Delalande


J'ai déjà connu cela !
Michel Poirier


Cette vieille qui fait pitié !
Michel Jondot

(10) Commentaires et débats

La confiance est morte !
Marité Delalande

J’ai été longtemps heureuse de vivre dans différentes paroisses. J’ai aimé ces lieux où l’on peut rencontrer des personnes de sensibilités chrétiennes différentes et parler les uns avec les autres en vérité. Progressivement, je n’ai plus trouvé cette liberté de parole et ce poids d’humanité qui pour moi vont avec la foi. J’ai cessé depuis des années d’être active dans une communauté chrétienne. J’ai pourtant toujours tenu à participer à l’eucharistie dominicale. J’ai préféré assister à des messes le dimanche soir parce qu’elles étaient plus courtes et que l’assemblée était moins nombreuse. Dans l’église, j’avais le sentiment d’être sur les marches de la cave mais j’étais à l’intérieur. Cette pratique dominicale régulière était ma manière d’affirmer que… quand même j’en suis ! Aujourd’hui je ne suis pas sûre de pouvoir continuer à le dire.

Nous sommes à l’entrée du Carême. Il conduit aux célébrations de la Semaine Sainte. Je me projette au Jeudi Saint, ce jour où - entre tous - on célèbre le dernier repas de Jésus mais aussi où on affirme une communion en Église qui dépasse les communautés particulières ; une communion qui, pour les catholiques, s’affirme par un lien avec la hiérarchie. Ce lien ne peut être que de confiance.

Je n’ai jamais été dupe d’une tendance de la hiérarchie à aimer et sacraliser son pouvoir. Mais après tout l’Église catholique est faite d’êtres humains, avec leur grandeur et leur faiblesse. Je pouvais regretter profondément telle ou telle attitude mais je faisais quand même confiance. Aujourd’hui, cette confiance a disparu. Participer à l’eucharistie du Jeudi Saint – et par contre coup à celles du dimanche – manifeste la confiance en cette Église hiérarchique. Puis-je en toute vérité le dire aujourd’hui ? J’aurais le sentiment soit d’avoir un comportement menteur, soit de couvrir par ma présence un fonctionnement hypocrite.

L’hypocrisie qui apparaît aujourd’hui dans la manière dont fonctionne la hiérarchie catholique me scandalise. Elle atteint ma foi la plus profonde non pas en Jésus Christ mais en l’Église. Je savais que les évêques avaient été alertés sur la pédophilie de certains prêtres, en particulier dans des communautés nouvelles. Je savais qu’ils n’avaient pas toujours réagi à temps. Mais je pensais que c’était de l’ordre de dysfonctionnements ponctuels. En fait, je découvre que c’est plutôt le fonctionnement habituel. Je ne savais pas que des prêtres qui avaient violé des religieuses pouvaient être maintenus dans leur statut clérical. Je ne savais pas que la même hiérarchie qui interdit l’avortement peut revenir sur ses positions quand il s’agit de « protéger » (!) un prêtre. Je ne savais pas que l’homosexualité était de pratique courante au Vatican et que ceux-là même qui recommandent aux homosexuels de s’abstenir de tout rapport sexuel n’hésitent pas à passer eux-mêmes à l’acte ou à couvrir ceux qui y passent. Je pourrais également parler du nonce à Paris, du cardinal australien proche du pape et de tant d’autres faits qui nous sont révélés presque tous les jours. Cela va-t-il s’arrêter ? Je pourrais aussi évoquer le fait que la hiérarchie semble jouer entre ses propres lois et celles de la société selon ce qui l’arrange. Elle met en avant le fait de se soumettre d’abord aux lois civiles, dans l’affaire du cardinal australien. En revanche quand il s’agit du nonce à Paris, elle met en avant l’immunité diplomatique qui le protège comme envoyé de l’État du Vatican.

On pourra me dire – et je le fais moi-même – que ce n’est pas seulement cela l’Église catholique. Je le sais bien. Je n’ai personnellement jamais rencontré de prêtre pédophile ; en revanche je compte dans mes amis plusieurs prêtres que j’estime profondément. Je sais combien leur travail est rude. Je connais beaucoup de chrétiens qui luttent, au nom de leur foi, pour que les étrangers soient accueillis. J’en connais qui, avec une simplicité et un dévouement sans borne, accompagnent bénévolement des enfants gravement malades. Je pourrais ainsi multiplier les exemples. Mais il se trouve que je suis catholique et, dans mon Église, on demande de faire confiance au fonctionnement hiérarchique. Certes on pourra toujours me dire que tel ou tel évêque est profondément honnête ou que le pape lui-même essaye de faire le ménage. Mais étant donnée l’ampleur du scandale, je pense qu’il ne s’agit pas d’abord des personnes mais du fonctionnement général dans lequel elles sont prises. Ce fonctionnement me semble schizophrénique. D’un côté, des paroles d’une rigueur totale en ce qui concerne les questions liées en particulier à la sexualité : avortement, remariage des divorcés, homosexualité, PMA, GPA… De l’autre des pratiques intra cléricales dévoyées.

J’ai déjà constaté que ceux qui défendent envers et contre tout des valeurs morales sont souvent ceux dont le comportement caché est le plus perverti. Ce que l’on voit chez certains individus me semble jouer au niveau de l’institution entière. Comment lui faire confiance ? Comment lui confier nos enfants ? Comment participer à l’eucharistie quand le lien de confiance est rompu ?

Si encore le désastre actuel pouvait contraindre la hiérarchie à tenir un discours moins vertueux et plus humain en particulier en matière de sexualité ! Mais même sur ce point, je n’en suis pas sûre !
J’ai honte pour mon Eglise !

Marité Delalande

J'ai déjà connu cela !
Michel Poirier

Chaque jour apporte de nouvelles révélations sur les fautes de certains prêtres prédateurs d’enfants, de jeunes, de religieuses, et, plus dérangeant encore peut-être que cette somme de défaillances individuelles, sur la manière dont bien des responsables de notre Église, de nombreux évêques au premier rang, ont manqué trop longtemps à prendre les mesures rigoureuses face à ces crimes et ont veillé d’abord à préserver par le secret le renom de l’institution en ne faisant pas droit à la souffrance et aux demandes des victimes. C’est le fonctionnement même de la gouvernance dans l’institution Église qui est en question, et le pape François n’a pas eu tort de mettre le cléricalisme en cause au premier chef. Ne nous faisons pas d’illusion : dans les jours ou les semaines qui viennent, nous serons atteints par de nouvelles surprises.

Cette situation secoue en profondeur chacun d’entre nous dans son rapport à l’Église dont il a reçu la foi, à la hiérarchie qui la gouverne, et même aux sacrements qu’elle dispense. Christine me demande d’essayer de dire comment je vois et vis cet ébranlement.

Première réaction : je ne trouve pas ce que je peux dire. Mais, en un second moment, je me demande si je n’ai pas déjà tout dit. J’ai tout dit quand j’ai rédigé, à la demande de Christine déjà, « Octogénaire dans l’Église romaine », publié sur ce site (1).

Rappelez-vous : « Quoi qu’il en soit, après cette crise qui s’en prenait à tout ce sur quoi comme chrétien j’avais misé à partir de mon adolescence, aucune désillusion, aucun revers subi dans l’Église ne pouvait plus avoir prise sur ma vie avec la même intensité. » Il s’agissait alors, à la fin du pontificat de Pie XII (1954), de la violente mise à l’écart des prêtres ouvriers et des théologiens novateurs. La crise actuelle est surtout morale, la crise d’alors portait sur la foi et la mission de l’Église, elle atteignait au cœur même de l’engagement. Tenir bon dans l’Église a débouché sur le Concile.

Donc, dès avant la crise actuelle, je savais qu’après ce que nous avions vécu dans ces années-là je ne partirais jamais de moi-même. Et plus loin dans le même texte j’explique que l’Église à laquelle je me rattache est toute une vie de 20 siècles déjà. Des périodes noires, il y en a eu. Un pape comme Alexandre VI Borgia suffirait à vous dégoûter. Mais cette Église est aussi celle de François d’Assise et des moines de Tibhirine. Il y a peu cet épiscopat actuellement si critiquable a produit en Pierre Claverie à Oran un martyr de la fraternité. Personnellement (c’est un choix personnel) j’ai envie de tenir bon dans cette Église si imparfaite.

Michel Poirier


1- octogenairedanslegliseromaine.html / Retour au texte

Cette vieille qui fait pitié !
Michel Jondot

Je ne puis m’empêcher, depuis plusieurs semaines, de me rappeler un texte dont j’avais entendu parler dans ma jeunesse ; il s’agit d’une œuvre très ancienne se situant à la charnière des temps. Après la mort des derniers témoins de l’aventure évangélique, en effet, naissait une Eglise d’un type nouveau, plus institutionnalisé, avec des Pasteurs, Evêques et prêtres pour veiller au troupeau. Le Pasteur : tel est le titre d’un ouvrage attribué à un certain Hermas qui fut peut-être un disciple de Paul. L’auteur parle d’une vision ; en songe l’Eglise lui serait apparue comme une vieille femme ridée et avec des cheveux blancs. Cette femme à l’aspect misérable était pourtant vêtue de vêtements éblouissants. Devant elle, Hermas était invité à se convertir et, au fur-et-à mesure de sa conversion, la vision qu’il avait de cette femme se modifiait. Progressivement, tout en gardant rides et cheveux blancs, elle retrouvait sa jeunesse, jusqu’à devenir semblable à une jeune fiancée au jour de ses épousailles.

Je suis prêtre depuis 1961. J’ai connu tous les visages possibles de l’Eglise. J’ai eu la chance d’arriver au ministère à une époque où l’Eglise sortait d’une période sombre et retrouvait son lustre ; on disait d’elle qu’elle vivait son « aggiornamento », sa mise à jour et son retour au jour. Ils étaient loin les temps où les Prélats, par peur, se courbaient devant les puissants. On cessait de condamner les prêtres qui, pour rejoindre ceux qu’on appelait « les prolétaires », partageaient la difficile condition ouvrière. On était invité non à défendre les intérêts d’une institution vénérable mais, au contraire, à ne pas en rester prisonniers. On chantait, en ce temps-là, « Allez-vous-en sur les places et sur les parvis » : il devenait bon de partager « les joies et les peines des hommes de ce temps », de cesser de se tenir à l’écart des Juifs, des musulmans et de tous ceux qui, suivant leur conscience, marchaient dans des voies où, jusqu’alors, il était interdit de les rejoindre. En Amérique latine, par exemple, les évêques allaient bientôt changer de regard. La conférence épiscopale (CELAM) cessait d'être au service d'une classe privilégiée et décidait de se donner en priorité au service des plus pauvres. L'archevêque de Récif, Dom Helder Camara, quittait son palais épiscopal pour aller loger au milieu des bidonvilles.

Grâce aux tâches qui m’ont été confiées j'ai enseigné dans des séminaires, j’ai connu des frères et des sœurs avec qui je me suis mis au service de communautés dans des collèges et lycées ou en paroisse. J’ai vu des enfants grandir, des jeunes entrer dans la vie adulte. Je me suis réjoui en voyant s’épanouir leurs amours et en célébrant leurs unions. J’ai partagé les soucis, les peines, les deuils de beaucoup. J’ai été au cœur d’une société sans me mettre à l’abri de son histoire : sans l’Eglise aurais-je connu l’islam de France, comme cela m’a été donné de le vivre ? Dans ce monde musulman j’ai découvert des amis, j’ai trouvé des frères ; j’ai souffert avec eux du mépris qu’il leur faut essuyer et j’ai été témoin de la misère des banlieues.

Certes, j’ai connu bien des satisfactions au cours de cette vie très humaine ; mais elles se sont accompagnées de déceptions qui n’ont cessé de croître au fur-et-à-mesure que j’avançais en âge. En entrant dans le ministère, j’avais beaucoup d’amis devenus prêtres en même temps que moi. Les meilleurs d’entre eux ont quitté l’Eglise et le clergé que j’ai côtoyé ensuite m’a parfois fait souffrir ; j’ai eu à vivre avec des prêtres médiocres, jaloux, alcooliques, arrivistes et quelquefois schizophrènes. Je me souviens d’un confrère qui, ayant embrassé l’islam en secret, faisait fonction d’imam dans une salle de prière le vendredi soir avant d’aller, le lendemain, confesser et célébrer l’Eucharistie dans une paroisse de la région parisienne. J’avais averti l’autorité diocésaine qui, loin de m’entendre, a préféré conforter ce prêtre dans ses fonctions presbytérales. Il n’est pas toujours facile de se faire entendre d’un évêque ; j’en ai fait la douloureuse expérience à l’issue d’un ministère en paroisse ! Je l’ai vu prendre des décisions qui ont démoli des laïques dont la générosité et l’intelligence, pourtant, appelaient de la reconnaissance. J’ai beaucoup ri lorsque j’ai reçu de mon évêque, voici quelques années, une lettre de deux pages dactylographiées m’adressant de vifs reproches. Il avait eu connaissance d’un texte où j’avais cité un théologien du siècle dernier, le père de Montcheuil, qui distinguait la hiérarchie des clercs et celle des saints. « Vous voulez écraser la hiérarchie ! » m’écrivait-il indigné.

Ces temps derniers, les scandales dans l’Eglise, à propos de la pédophilie, ont profondément blessé bien des amis dont j’entends et partage la souffrance. On ne déplore pas seulement la situation des victimes mais le fonctionnement d’une Eglise préférant se taire plutôt que de défendre ceux ou celles qui ont été douloureusement offensés. Le comble est atteint, ce mardi 5 mars, lorsqu’on voit le reportage d’Arte sur les violences sexuelles que des prêtres ont fait subir à des religieuses ; on les a abusées en se servant de raisons spirituelles pour les prendre au piège d’une sexualité dépravée. Corruptio optimi pessima ! Il n’est pire corruption que celle qui touche ce qu’il y a de meilleur.

Certains me diront peut-être que j’ai gâché ma vie en me mettant au service d’une institution corrompue. La parabole du Pasteur d’Hermas me permet de répondre. Cette femme mystérieuse dont il y est question invite à la conversion. Celle-ci s’impose à tous les croyants et pas seulement aux prêtres et aux évêques. Je suis persuadé que, dans la cohérence chrétienne, il n’y a pas d’un côté les justes et de l’autre les pécheurs. « Le péché, nous sommes tous dedans, les uns pour en jouir, les autres pour en souffrir mais en fin de compte c’est le même pain que nous mangeons au bord de la même fontaine, le même dégoût » (Bernanos). Parce que nous croyons au salut nous affirmons qu’en nous reconnaissant solidaires les uns des autres, nous sommes enveloppés dans la même tendresse qui nous vient par Jésus. Par ailleurs la femme dont parle le Pasteur d’Hermas ne se réduit pas à ses rides et ses cheveux blancs. Ses vêtements sont éblouissants. Malgré sa laideur elle est promise à la beauté. Je crois qu’au milieu des noirceurs qui recouvrent l’Eglise, la lumière du Christ continue à se manifester ; ouvrons les yeux pour la discerner. Pour ne m’en tenir qu’à ma seule expérience je la reconnais dans la fraternité que j’ai trouvée en elle et qui me permet de vivre mes dernières années dans la paix. Je la reconnais aussi dans la fidélité, la qualité évangélique et humaine de bien des prêtres qui m'entourent. Par ailleurs, plusieurs confrères que j’ai connus au séminaire ont opté pour l’Eglise d’Algérie et pas seulement Christian de Chergé ; je reste en contact avec eux et il m’arrive d’être témoin d’une générosité et d’une humilité qui m’émeuvent.

Le Pasteur d’Hermas enfin m’évite de succomber à la tentation de l’inquiétude en ce qui concerne celle pour qui, en fin de compte, j’aurai consacré une grande partie de ma vie. A peine sortait-elle de l’époque des apôtres que l’Eglise, semble-t-il, avait déjà un visage défraîchi et pourtant, vingt siècles après, je la retrouve encore vivante et, peut-être, mystérieusement promise à une nouvelle jeunesse.

Michel Jondot

Sculptures de Pierre de Grauw