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Rejet du Règlement européen "Retour" par plus de 200 organisations

Plus de 200 organisations s'opposent collectivement à la nouvelle proposition de Règlement Retour présentée par la Commission européenne le 11 mars 2025, qui doit remplacer l'actuelle Directive Retour. Elles dénoncent une logique punitive, discriminatoire et sécuritaire de l'Union Européenne (UE), motivée par le racisme, qui entraîne une érosion du droit européen et porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes exilées. Vous trouvez ici un résumé de leur argumentaire.

Pour accéder au texte intégral, cliquer sur :
rejetreglementversionintegrale.pdf
Merci à Joseph Ziade, membre de l'équipe animatrice de "Dieu maintenant" et de JRS France (Jesuit Refugee Service), de nous avoir fait connaître ce document.

(0) Commentaires et débats

Les organisations estiment que le Règlement, qu'elles appellent plus justement le "Règlement sur les expulsions", dissimule des mesures coercitives et traumatisantes dont l'objectif est d'augmenter les chiffres des expulsions. Il met l'accent sur les politiques répressives, la détention, et les expulsions forcées, au lieu de la protection, des soins, du logement et de l'éducation.

Elles appellent la Commission européenne à retirer cette proposition, et le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne à la récuser dans sa forme actuelle.

Principales raisons du rejet du Règlement

L'opposition des organisations se fonde sur neuf points principaux, mettant en lumière les risques pour les droits fondamentaux et l'aggravation de la précarité pour les personnes exilées.

1. Expulsions vers des pays sans lien et Centres de retour hors de l'UE (Arts. 4, 17)

- La proposition permet d'expulser une personne, pour la première fois contre sa volonté, vers un pays tiers avec lequel elle n'a aucun lien personnel, par lequel elle a brièvement transité, ou qu'elle n'a jamais visité. Ces mesures concernent également les familles et les enfants, à de rares exceptions près.
- Ces expulsions forcées sont jugées déraisonnables, injustes et non durables. Elles risquent de séparer des familles et des communautés, de bloquer des personnes dans des pays tiers, et de nuire à la sécurité et à la dignité.
- Le projet prévoit aussi la création de "centres de retour" hors du territoire de l'UE qui pourraient devenir des centres de détention à caractère carcéral. Ces dispositifs sont considérés comme un manquement flagrant au droit international et pourraient mener à des violations des droits fondamentaux, comme la détention arbitraire systématique, le refoulement direct ou indirect, ou le refus d’accès aux garanties juridiques. Ces propositions seraient également coûteuses et risqueraient d'accentuer les divergences entre les politiques migratoires des États membres.

2. Nouvelles obligations de "détection" et de surveillance pour les États (Art. 6)

- Le Règlement oblige les États à mettre en place des mesures pour détecter les personnes en séjour irrégulier sur leur territoire.
- Ces dispositions risquent d'entraîner une augmentation du profilage racial et des traitements discriminatoires. Elles pourraient amplifier les pratiques policières racistes et les raids ciblant les migrant·es.
- La peur des autorités pourrait dissuader les personnes en situation irrégulière de se soigner, de signaler des abus ou de rechercher une protection. Cela menace également le droit à la vie privée à cause du partage non sécurisé de données personnelles sensibles, comme la santé, en contradiction avec les normes de l'UE.

3. Plus de personnes poussées dans l'irrégularité et l'impasse juridique (Arts. 7, 14)

- La proposition impose aux États d'émettre des ordres d'expulsion conjointement à toute décision mettant fin au séjour régulier, sans examen préalable d'autres options (raisons humanitaires, intérêt supérieur de l'enfant, etc.).
- Cela rendrait l'accès aux titres de séjour nationaux plus difficile et prévoit même la délivrance de décisions d'expulsions mentionnant plusieurs pays de retour potentiels. - Le Règlement réduit les protections pour les personnes non expulsables et supprime l'obligation d'évaluer d'autres circonstances individuelles, augmentant le risque de rendre plus difficile l'accès aux titres de séjour.
- L'unique objectif affiché est d'augmenter les "taux de retour", ce qui gonflerait le nombre de personnes visées par des décisions d'expulsion. Un plus grand nombre de personnes seraient ainsi poussées dans l'irrégularité et un vide juridique, privées de droits fondamentaux comme l'accès aux soins, et exposées à la précarité et à l'exploitation.

4. La dramatique extension de la rétention (art. 29 à 35)

La proposition recommande le recours à la rétention systématique et accroît la durée maximale de détention de 18 à 24 mois. Cette augmentation est jugée disproportionnée et inutile, portant atteinte à la dignité et à la santé des personnes.
- Les motifs de rétention sont élargis pour inclure, dans les faits, la plupart des personnes entrées ou se trouvant irrégulièrement en Europe (ex. : ne pas être en possession de certains documents ou être sans hébergement).
- Le Règlement rend possible la rétention des enfants, malgré le droit international qui juge l'enfermement toujours contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant. - Il semble aussi rendre possible la rétention pour une durée indéfinie pour les personnes considérées comme une "menace à la sécurité" et permet la suspension des garanties fondamentales de la rétention en cas de "charge lourde et imprévue".
- L'augmentation des capacités de rétention est perçue comme la création d'opportunités lucratives pour les entreprises privées, incitant au développement d'une industrie de la rétention. - Ces évolutions conduisent à une extension significative de la rétention, qui ne serait plus une mesure de dernier ressort, contredisant le droit international.

Autres préoccupations majeures

5. Mesures répressives et coercitives (art. 10, 12, 13, 16, 22, 29)

- La proposition introduit des obligations de coopération disproportionnées et irréalistes pour les personnes visées par une expulsion (fournir des documents qu'elles ne possèdent pas, se soumettre à des fouilles, etc.).
- Ces obligations sont assorties de lourdes sanctions en cas de "manquements" (amendes, interdictions d'entrée, retrait d'aides) qui risquent d'être appliquées de manière arbitraire, sans mécanisme de recours effectif.
- Le Règlement fait des expulsions forcées l'option par défaut, réduisant le champ des "retours volontaires" et supprimant la période minimum de sept jours pour les départs volontaires.

6. L'érosion du droit au recours (art. 28)

- La proposition supprime l'effet suspensif automatique du recours contre l'exécution d'une décision d'expulsion, obligeant à le demander séparément. Cela retire une garantie essentielle du droit à un recours effectif et crée une complexité supplémentaire.
- L'absence d'exigence de délais minimum pour introduire un recours (ne devant pas excéder 14 jours) pourrait rendre les recours impossibles en pratique.

7. Surveillance numérique accrue et violations de la protection des données (art. 6-9, 23, 38-41)

- Le Règlement étend la surveillance numérique dans le cadre des procédures d'expulsion, en incluant la collecte et le partage de nombreuses données personnelles sensibles (santé, casier judiciaire) avec des pays tiers qui n'ont pas forcément les protections adéquates.
- Il permet le recours à des technologies de surveillance intrusives (suivi GPS, surveillance téléphonique) dans les centres de rétention et en alternative à l'enfermement.
- La création d'une "décision de retour européenne" enregistrée dans le Système d'information Schengen (SIS) renforce l'amalgame entre gestion des migrations et contrôle policier, augmentant le risque d'abus des données.

8. Absence d'étude d'impact et de consultations

- La proposition a été présentée sans étude d'impact préalable de l'incidence sur les droits humains ni consultations formelles, ce qui contrevient à l'Accord interinstitutionnel sur l'amélioration de la qualité de la législation.
- Une étude d'impact sur les droits humains est jugée essentielle pour garantir le respect de la Charte des droits fondamentaux (non-refoulement, interdiction de la torture, droits de l'enfant, etc.).

9. Ignorer les alternatives à un contrôle migratoire punitif

- Le Règlement repose sur l'hypothèse erronée que les expulsions sont la seule option.
- Les organisations demandent aux États de l'UE de garantir l'accès aux titres de séjour humanitaires ou fondés sur les droits humains et d'élargir les possibilités de titres de séjour pour permettre aux personnes de s'intégrer pleinement aux sociétés où elles vivent.

Conclusion de l'appel

Les organisations appellent l'UE à cesser de céder au racisme, à la xénophobie et aux intérêts corporatifs. Elles demandent d'inverser le basculement punitif et discriminatoire de la politique migratoire et d'orienter les ressources vers des politiques fondées sur la sécurité, la protection et l'inclusion, qui renforcent les communautés et préservent la dignité. Les institutions de l'UE et les États membres doivent rejeter les mesures d'expulsion basées sur une approche punitive et coercitive qui réduit les standards des droits humains.

Déclaration reçue via Joseph Ziade,
membre de l'équipe animatrice de "Dieu maintenant" et de JRS France (Jesuit Refugee Service)
mise en ligne novembre 2025