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Questions d'écologie
4 – Comment agir ?
Julien Lecomte

Ce dernier article d’introduction aux questions d’écologie porte sur la question brûlante de l’action. Il cherche à articuler les différentes échelles d’intervention, de l’individuel au planétaire. Les propos n’engagent que leur auteur.

Rappel : Julien Lecomte est professionnel de l’aménagement du territoire. Il exerce depuis une quinzaine d’années en indépendant. Cet article fait suite à trois autres :

Questions d'écologie :
1- Comment mieux s'y retrouver

2- Quand l'écologie se fait politique
3- Qui est concerné par l'écologie ?

(0) Commentaires et débats

Envie d’agir

La question fondamentale qui se pose à toute personne désormais consciente de l’urgence écologique est celle de l’action. En cette matière comme dans d’autres, si la prise de conscience est la première étape du processus de conversion écologique, la seconde est celle de la volonté d’agir. Globalement, il semble que la première se soit produite dans les mentalités, ou du moins que le sujet soit désormais incontournable.
Mais les propositions d’actions font-elles l’unanimité ? Rien n’est moins sûr, car dès que l’on observe de plus près les interprétations des causes comme les diverses solutions proposées, l’on s’aperçoit bien vite que l’écologie n’est en réalité pas un sujet consensuel, mais bien plutôt un lieu de controverses, et même de conflits durs. Outre les antagonismes idéologiques, déterminants dans les choix politiques, il se produit aussi des oppositions d’expertises, sortes de querelles d’ingénieurs, lesquelles ne sont par ailleurs jamais totalement indifférentes aux intérêts de celles et ceux qui les portent. Ainsi en est-il du thème de l’énergie, par exemple, qui s’invitera sans doute dans les prochains débats pour l’élection présidentielle. Cette question cruciale est pour le moins complexe et même les experts publics s’y engagent avec une grande prudence (1).

Considérant tous ces vifs débats, les citoyennes et les citoyens peuvent donc se sentir désorientés. Mais la question reste cependant prégnante : « Comment puis-je agir à mon niveau ? ». Nous allons voir que la réponse articule nécessairement une dimension individuelle et une dimension collective, selon des échelles variables assorties de leurs limites respectives.


Exemple d’un conflit violent autour de la question écologique : le projet d’aéroport (abandonné) de Notre-Dame-des Landes.
Ici, déblaiement des « squats » des Zadistes après l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport du Grand Ouest, avril 2018 (photo : Keystone)

Faire sa part dans les limites du système

Faire sa part est un appel à la responsabilité et à l’action individuelle en matière d’écologie, mais cette invitation est ambivalente. Tout d’abord, elle incite à une forme d’éthique écologique personnelle, source de renouvellement de la citoyenneté comme de l’éducation. Mais elle sert aussi de prétexte à l’écoblanchiment (2), visant à donner une bonne conscience au consommateur… tout en continuant de le pousser à la consommation. En effet, les petits gestes qui sauvent la planète font désormais partie intégrante des slogans publicitaires.
Certaines critiques, plutôt radicales, estiment que ces « petits gestes » ne changent rien, et que de plus leur promotion relèvent de la vaste hypocrisie des états comme des grands groupes industriels pour ne surtout pas remettre en cause leur poursuite d’intérêts à court terme, telle que la dénonce le Pape François dans son encyclique Laudato Si (3).


Extrait du catalogue en ligne du grossiste commercial Metro (source : www.metro.fr)

Il était jusqu’à présent difficile d’obtenir une vraie mesure de l’impact écologique de ces gestes individuels. Or une récente publication de l’agence de conseil Carbone4 présente de manière synthétique les calculs de l’impact réel des gestes individuels sur le bilan carbone, c’est-à-dire le taux d’émission de CO2 de chaque personne (4). La méthodologie de l’étude se base sur l’empreinte carbone actuelle d’un français moyen qui s’avère six fois plus importante que l’objectif de l’Accord de Paris de neutralité carbone pour 2050, soit 2 tonnes de CO2 par personne et par an contre 10,8 tonnes à la date de l’étude (juin 2019). Autrement dit, par ses seuls gestes, toute personne devrait réduire ses propres émissions carbone de 80% pour atteindre cet objectif. En prenant en compte une douzaine d’actions réalisables sans recours à des moyens complexes, le taux maximum de réduction qu’a calculé Carbone4 est de 25%. Il implique pour cela un engagement fort, comme le passage au régime végétarien, le plus impactant sur l’ensemble du calcul, le changement de la chaudière, et des actions plus légères comme l’achat d’une gourde pour cesser d’utiliser des bouteilles plastiques, l’usage du vélo, du covoiturage ou le remplacement des ampoules par des leds. Ces efforts réalisés au complet sont considérés comme « héroïques » par les auteurs – ainsi le passage au végétarisme – et une approche plus réaliste fait alors stagner le taux de réduction de l’empreinte carbone entre 5 et 10%. L’impact des gestes individuels est certes réel mais comme le dit l’énonciation mathématique, ils sont nécessaires mais (très) loin d’être suffisants. Seul le changement systémique, avec une intervention forte des états, pourra permettre d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

La conclusion des auteurs est sans appel : « Il est donc vain, et même dangereusement contre-productif, de prétendre résoudre la question climatique en faisant reposer l’exclusivité de l’action sur les seuls individus ; la construction d’une solution viable et crédible ne peut faire l’économie d’une action collective forte, qui devra passer par la mise en mouvement de tous, à la mesure des efforts déployables par chacun » (5).


Proportion des impacts entre part individuelle et transformation systémique pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en France et en 2050, selon l’Accord de Paris (source : Carbone4 – juin 2019)

Le graphique ci-dessus montre qu’en optant pour un engagement personnel réaliste, la réduction de l’empreinte carbone dépendrait pour un quart des comportements et investissements individuels et pour les trois-quarts de l’action publique dirigeant le changement systémique. Cette limite de l’action individuelle est rappelée par les auteurs : « Chaque individu est limité par le « système socio-technique », c’est-à-dire l’environnement social et technologique dont il dépend » (6).

Une expérience systémique mondiale : le confinement

Pour les sceptiques qui douteraient de la nécessité impérieuse de la transformation systémique, rappelons-leur cette expérience totalement inédite, réalisée à l’échelle mondiale, que fut le confinement de l’année 2020 imposé par la pandémie de la Covid19. Les activités fortement polluantes furent stoppées, les dérangements aux milieux naturels cessèrent, l’usage des carburants fossiles fut un temps mis en veille. Et qu’avons-nous constaté ? À Venise, des dauphins vinrent nager dans les canaux de la ville ; en Inde, l’Himalaya révéla sa silhouette jusqu’alors masquée par la pollution atmosphérique aux particules fines ; la qualité de l’air, des eaux se trouva soudain améliorée de manière sensible ; des animaux sauvages reprirent possession de territoires dont ils s’étaient depuis longtemps éloignés, qu’il s’agisse d’alligators ou d’hippopotames là-bas, ou de chouettes et de belettes ici.
Le confinement peut être considéré comme un « test systémique mondial » nous révélant à quel point l’Humanité doit absolument changer en profondeur son système socio-économique, sous peine d’atteindre un jour ou l’autre la date de péremption.

Les états sous des pressions contradictoires

Des collectifs citoyens, alarmés par l’inertie publique face à l’urgence climatique, ont attaqué l’État français, et d’autres, pour « inaction climatique ». Il semble a priori noble et positif que des mouvements de la société civile poussent les décideurs politiques à engager de manière forte la transformation systémique indispensable. Dans les sociétés démocratiques, l’action publique est formalisée par l’édiction de lois. L’apparition d’un droit environnemental de plus en plus élaboré en témoigne sur la question écologique. Or si l’on se penche d’un peu plus près sur cette inaction dont est accusé l’État français, on s’aperçoit qu’elle est plus complexe que cela à définir. Car, non, l’État ne reste pas assis à ne rien faire : il a publié de nombreuses lois en faveur de la transition écologique ou a tenté d’en faire passer pour lesquelles il a dû reculer face à des pressions de puissants groupes d’intérêts.
Parmi ces lois, citons la dernière contre le gaspillage et pour l’économie circulaire qui vise, par exemple, à la disparition complète des emballages plastiques à usage unique d’ici 2050 avec une première réduction à 20% d’ici 2025 (7). De quoi changer considérablement, et collectivement, nos modes de vie : fini le tube de dentifrice ou le flacon de shampoing en plastique, le pot de yaourt ou encore le blister sous lequel sont emballés de nombreux produits. De nouvelles filières dans le domaine de l’emballage, supposées plus vertueuses, devraient en émerger.

Mais le Droit, rappelons-le, est soumis à deux contraintes principales. En amont, dans sa production, toute loi est l’expression de rapports de force aboutissant à des compromis que certaines parties jugeront défavorables à leurs intérêts. En aval, la question cruciale est celle de son application car, si force doit rester à la loi, que vaut une loi si aucune autorité n’est capable de la faire appliquer ? À cela s’ajoute, dans le cas des états-membres de l’Union Européenne, un droit supranational qui peut venir annuler des décisions prises par ces mêmes états-membres.

Pour illustrer cela par un exemple, nous prendrons le cas de la tentative de mise en place d’une écotaxe sur les transports routiers voulue par l’État français, et abandonnée en 2014 à la suite de l’épisode désigné sous le nom de « Mouvement des Bonnets rouges », en Bretagne. Différents tenants et aboutissants, mis à jour à l’occasion de ce conflit social, ont révélé l’intrication d’intérêts puissants capables de faire ployer l’État mais aussi de fragilités économiques créant des alliances inattendues. Pour faire simple, l’écotaxe part du principe logique du pollueur-payeur en mesurant le passage des poids-lourds sur les routes et en appliquant une taxe proportionnelle à la longueur de leur parcours, et donc des émissions de CO2 produites. Techniquement, cent-soixante-trois portiques à capteurs électroniques et deux-cents bornes ont été installés sur les routes françaises pour contrôler le passage des poids-lourds. Lancé sous la mandature de Nicolas Sarkozy, le programme s’est poursuivi sous celui de son successeur François Hollande. Si la société mise en place pour percevoir cette taxe a posé beaucoup d’interrogations, au-delà, c’est le principe même de l’écotaxe qui a fait l’objet d’une violente révolte en Bretagne, reprenant les codes d’une autre révolte de la région dans l’Ancien Régime : les Bonnets rouges.


Manifestation des « Bonnets rouges » en Bretagne en 2013 (source : Le Télégramme)

Ce mouvement a alors révélé un système économique hyper-polluant et exsangue, celui de l’agriculture intensive bretonne, en particulier l’élevage porcin, couplé à une concurrence européenne aussi féroce que déloyale. À cette occasion, on a découvert des aberrations écologiques comme le transport en poids-lourds des porcs bretons vers les abattoirs allemands dont les travailleurs, presque tous issus d’Europe de l’Est, sont sous-payés. Le faible coût du transport est lui-même permis par un carburant très polluant (le diesel) mais bénéficiant d’allègement de taxes pour les professionnels, et de transporteurs issus des anciens pays du Pacte de Varsovie appliquant les normes salariales et sociales de leurs pays, très inférieures à celles d’Europe de l’Ouest. D’ailleurs, en 2015, l’État fédéral allemand tenta d’imposer le paiement du salaire minimum national pour tout chauffeur routier circulant sur son territoire, afin de lutter contre cette concurrence déloyale. Or les pays pourvoyeurs de ce dumping social, comme la Pologne, ont réussi à faire invalider ce projet de loi par la justice européenne (8). La mise en place de cette écotaxe allait donc raboter les marges financières très faibles de l’industrie agroalimentaire bretonne, ce qui déclencha la colère des dirigeants économiques comme des travailleurs bretons. A l’occasion de cette crise des Bonnets rouges, l’on vit ainsi s’allier des calculateurs politiques proches de l’extrême-droite et des centrales syndicales marquées à gauche. Le recul du gouvernement s’est soldé par un énorme gâchis financier, sans compter le coût des nombreuses dégradations. De surcroît, le retrait de l’écotaxe n’a pas empêché la faillite de plusieurs abattoirs bretons face à ce système européen totalement déloyal (9).

Pourtant, l’écotaxe semble un moyen approprié pour pousser à une transition vers des moyens de transport moins polluants, et plus globalement pour changer de modèle de production agroalimentaire, traduisant une volonté de transformation systémique. Dans le cas présent, ce n’est pas l’État qui fut coupable d’inaction, même s’il semble avoir été particulièrement imprévoyant, mais une convergence d’intérêts qui l’a poussé à renoncer.

Par cet exemple, on constate que les sources de résistance au changement systémique ne sont pas unilatérales, et plus complexes que certains schémas simplistes le laissent entendre. Comme citoyennes et citoyens, nous devons ajouter nos voix à une revendication collective pour faire pression sur les états afin qu’ils engagent des politiques beaucoup plus volontaristes de transformation écosystémique. Mais l’on constate deux points d’achoppement qui seront un enjeu crucial du sort de l’avenir : celui de l’absence d’un mouvement puissant et lisible de l’écologie politique (10), et celui des résistances des populations elles-mêmes à ce changement, et pas seulement celles des lobbys industriels et financiers.

En écologie comme ailleurs, le pharisaïsme existe, comme une posture dans laquelle l’aptitude à dispenser des discours écologiques en surface se double d’une aptitude sournoise à ne surtout pas les appliquer à soi-même.

Julien Lecomte
27/09/2021

1- Le Réseau Transport Énergie (RTE – service public du transport de l’électricité en France) et l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) étudient, sans trancher, différents scénarios de décarbonation de la production électrique pour 2050, allant du 100% renouvelable à un mix incluant une part variable de nucléaire. Les résultats complets de l’étude seront prochainement publiés à l’automne 2021.
https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050
/ Retour au texte
2- Voir à ce sujet l’article 2 de cette série : « Quand l’écologie se fait politique », sur la notion d’écoblanchiment ou greenwashing en anglais. / Retour au texte
3- « La faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement. Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l’information pour ne pas voir affectés ses projets. En ce sens, le Document d’Aparecida réclame que « dans les interventions sur les ressources naturelles ne prédominent pas les intérêts des groupes économiques qui ravagent déraisonnablement les sources de la vie ». L’alliance entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté ce qui ne fait pas partie de leurs intérêts immédiats. Ainsi, on peut seulement s’attendre à quelques déclarations superficielles, quelques actions philanthropiques isolées, voire des efforts pour montrer une sensibilité envers l’environnement, quand, en réalité, toute tentative des organisations sociales pour modifier les choses sera vue comme une gêne provoquée par des utopistes romantiques ou comme un obstacle à contourner. » Pape François, Laudato Si, N°54 / Retour au texte
4- Carbone4 est le premier cabinet de conseil dédié à la stratégie bas-carbone et au changement climatique. Il a été cofondé par Alain Grandjean, Jean-Marc Jancovici et Laurent Morel. Publié en juin 2019, le document synthétique Faire sa part est téléchargeable à cette adresse : https://www.carbone4.com/publication-faire-sa-part / Retour au texte
5- Carbone4, Faire sa part, p. 5, juin 2019 / Retour au texte
6- Ibid., p. 4 / Retour au texte
7- https://www.ecologie.gouv.fr/loi-anti-gaspillage-economie-circulaire-1 / Retour au texte
8- https://www.le-fret.com/news/transport-europe-pas-de-salaire-minimum-pour-les-routiers-en-allemagne/ / Retour au texte
9- https://www.liberation.fr/futurs/2013/06/21/des-ouvriers-bretons-envoyes-a-l-abattoir_912887/ / Retour au texte
10- Voir à ce sujet l’article 2 de cette série : « Quand l’écologie se fait politique », sur la situation de l’écologie politique en France. / Retour au texte