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6ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 1, 40-45

Un lépreux vient trouver Jésus ; il tombe à ses genoux et le supplie : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Pris de pitié devant cet homme, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » À l'instant même, sa lèpre le quitta et il fut purifié. Aussitôt Jésus le renvoya avec cet avertissement sévère : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre. Et donne pour ta purification ce que Moïse prescrit dans la Loi : ta guérison sera pour les gens un témoignage. » Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte qu'il n'était plus possible à Jésus d'entrer ouvertement dans une ville. Il était obligé d'éviter les lieux habités, mais de partout on venait à lui.

Donnez donc gratuitement !
Christine Fontaine

« Il étendit la main »
Michel Jondot

Fake news !
Christine Fontaine

Donnez donc gratuitement !

Une dette de reconnaissance

Quand on reçoit un cadeau de quelqu’un, la moindre des politesses est de penser à dire merci. Même si celui qui donne le fait gratuitement, sans rien attendre en retour, nous savons bien que nous lui devons quand même quelque chose : nous avons envers lui une « dette de reconnaissance » qu’il nous faudra « payer » soit par un remerciement approprié au cadeau reçu, soit en trouvant l’occasion de rendre à notre tour la politesse. Lorsque, par exemple, nous avons été invités à un repas d’amis, nous savons qu’il convient de le rendre : « Nous leur devons une invitation », disons-nous communément.

Ainsi la reconnaissance pour le cadeau reçu est un dû que l’on est en droit d’attendre. Nous sommes en dette lorsque nous n’y avons pas encore répondu. S’il arrive qu’il soit hors de notre portée de rendre l’équivalent, nous sommes mal à l’aise : plongés soit dans la mauvaise conscience, soit dans un état de dépendance qui nous pèse. Nous restons l’obligé de celui qui nous a aidé et souvent, pour ne pas se sentir prisonnier, nous nous écartons de notre « bienfaiteur ».

Ainsi les cadeaux, fussent-ils les plus gratuits du monde dans l’esprit du donateur, se payent souvent très cher dans notre société.

L’effacement de la dette

Mais on peut imaginer la vie autrement. On peut envisager un monde où les relations seraient vraiment gratuites.

Au jour de la guérison du lépreux, Jésus nous montre ce qu’il en est de la gratuité lorsqu’elle est vécue par le Fils de Dieu. Ce jour là, Jésus fait un cadeau inestimable au lépreux. Il se laisse « toucher de compassion » par la détresse de cet homme et il lui donne ce qu’il attend. Malade depuis longtemps, il reçoit la santé. Mis au banc de la société par cette maladie contagieuse, le voici rendu capable de circuler parmi les humains. Jésus rend au lépreux la vie, la santé et la possibilité d’avoir des amis. Il lui rend la joie de vivre.

Le risque, alors, est de rendre cet homme entièrement débiteur, de lui imposer une dette de reconnaissance inépuisable, à la mesure du don reçu. Mais Jésus est réellement bon : il repousse ce jour-là la reconnaissance de cet homme. Il le rabroue et le chasse. Il l’écarte de sa présence et lui impose le silence. Jésus veut le bonheur de l’autre pour l’autre et non pour en obtenir une quelconque gratitude. C’est cela vivre dans la compassion pour Jésus.

Plus rien à payer !

La dette de reconnaissance qui fait de l’autre un « obligé » appartient au passé, à la Loi ancienne, celle des prêtres du Temple : « Va te montrer aux prêtres et paye la dette prescrite par la Loi. », dit Jésus. La loi nouvelle consiste à donner gratuitement sans rien attendre en retour, pas même un remerciement. N’est-ce pas ainsi que Dieu agit depuis toujours envers l’humanité ? Mais il fallait peut-être le Fils de Dieu pour nous en rafraîchir la mémoire…

On comprend alors que le « lépreux-guéri » déborde d’allégresse et ne puisse s’empêcher d’annoncer la nouvelle réellement bonne pour lui : il n’est plus ligoté par la lèpre ni même par le cadeau reçu puisque Jésus ne lui demande, pour lui-même, rien en retour. Le lépreux peut alors crier sa joie, non parce qu’il le doit, mais gratuitement. Il devient reconnaissant non parce qu’il y serait contraint mais parce que son cœur déborde d’allégresse. Le lépreux, à la suite de Jésus, devient capable d’amour gratuit.

Dans un monde où tout se paye, nous avons du mal à comprendre ce qu’est la gratuité. Pourtant elle est bien le sel de la vie. Vivre dans la gratuité consiste à tout faire pour rendre l’autre heureux, sans rien attendre en retour car le bonheur de l’autre suffit à nous combler de joie.
Ainsi en va-t-il avec Dieu.
Ainsi pourrait-il en aller entre nous !

Christine Fontaine


« Il étendit la main »

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux
qui pardonnent par amour pour toi ;
qui supportent épreuves et maladies :

Heureux s'ils conservent la paix
car par toi, le Très-Haut, ils seront couronnés.

Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour notre sœur la Mort corporelle
à qui nul homme vivant ne peut échapper.

Prière de François d’Assise

Qu’est-ce que mourir ?

Lorsqu’un grand malade souffre trop et lorsqu’il n’est plus question de le guérir, lorsque la sortie de ce monde est devenue inévitable, on le plonge dans un sommeil dont il ne sortira plus. Approchez-vous de lui, touchez son front, prenez sa main : apparemment intouchable, au sens fort, c’est-à-dire inaccessible, il n’en sera pas affecté. Peut-on dire qu’il vit encore ? Peut-on considérer comme vivant celui ou celle avec qui plus aucune communication n’est possible dans la société ? Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que mourir ? Ces questions sont à l’ordre du jour. Il semble que l’Evangile de ce dimanche nous conduit à poser ces questions.

Du lépreux dont on nous conte l’histoire, peut-on dire qu’il est véritablement vivant ?

« Atteint de la plaie, il portera des vêtements déchirés et aura la tête nue ; il se couvrira la barbe et criera : 'Impur ! Impur !' Aussi longtemps qu'il aura la plaie, il sera impur. Il est impur. Il habitera seul et sa tente sera à l'extérieur du camp. » Telles sont les prescriptions de la loi juive ! Intouchable comme un mourant dans nos hôpitaux modernes ! Certes, la mort n’est pas définitive ; la Loi admet qu’il peut guérir. Mais cette mise à l’écart n’est pas une vie. Le sortir de la mort, comme le fait Jésus, c’est recréer le lien charnel avec lui, tendre la main comme on prend celle d’un ami que l’on rencontre et qu’on veut saluer. La guérison consiste, en l’occurrence, à rétablir la communication entre les corps. Vivre ne consiste pas seulement à laisser l’oxygène traverser nos bronches, irriguer nos muscles, notre cœur et notre sang. Vivre conduit à se déplacer, à se rapprocher les uns des autres, vêtus et coiffés dignement. Notre corps est vivant quand il se laisse toucher par autrui, par sa joie ou sa peine, par son regard ou son discours, par ses caresses voire par ses coups.

« Un lépreux vint auprès de Jésus » ! Est-ce Jésus qui le guérit ? Jésus aurait été impuissant si l’inconnu n’avait bougé et appelé : « Tu peux me purifier ». Jésus aurait sans doute passé son chemin si le lépreux, d’une certaine manière, ne l’avait « touch  ». Il est, nous dit-on, « saisi de compassion ». Il étendit la main et le toucha : ce geste de socialité, cette poignée de mains se confond avec la guérison. L’acte de tendre la main est au moins aussi efficace que sa parole (« Je le veux, sois purifié ! »). Le lépreux peut alors se déplacer : il est vivant.

Dans les rues de nos villes

Au sortir de la messe dans les rues de nos villes, en cette saison, il est difficile de rentrer chez soi après cette lecture. Dans tous les coins plus ou moins abrités du vent, calfeutrés dans une tente minuscule attribuée par un quelconque service social, des hommes, des femmes (et des enfants parfois !) sont à l’écart de la vie. Répugnants bien souvent ! Ils tendent la main non pour « toucher » un ami mais pour recevoir quatre sous. Est-ce une vie ? On peut tenter, par charité, de s’approcher, de surmonter un certain dégoût (« Impur ! Impur !) ; prononcer quelques paroles d’amitié. Cela ne suffira pas pour les sortir de cet univers ni entrer vraiment dans le monde des vivants ! Combien de sans-abri meurent à Paris chaque hiver !

Une question posée à la société

« Jésus le renvoya aussitôt en lui disant va te montrer au prêtre ! ». La société tout entière est concernée par ceux que le sort exclut du monde des vivants. L’institution où l’on rencontre les prêtres, le Temple en l’occurrence, dit l’exclusion comme la réadmission. La vie d’un individu est l’affaire de tous lorsqu’il est réintégré.

« Détruisez ce Temple et en trois jours je le rebâtirai... Il parlait du Temple de son corps ! ». La vie est donnée par Dieu, nous le croyons. Mais Dieu donne vie en prenant corps lui-même. Par notre corps nous connaissons Celui qui nous fait vivre. Dieu donne vie à perdre corps, à en perdre son corps au point de le donner. « Prenez... c’est mon corps ! ». Par-delà le jour de Pâques, ceux qui sont « touchés » par son appel, ceux qui croient en lui, sont invités à faire corps.

Il est curieux, dans le texte que nous avons lu, de constater que par bêtise humaine, Jésus est acculé à subir l’exclusion dont souffrait le lépreux. Le voilà exclu à son tour : « Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans les endroits déserts. » Pauvre lépreux : plutôt que de claironner sa guérison, pourquoi n’entrait-il pas dans la suite du Christ pour faire corps avec lui en écoutant son message ?

Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que mourir ?

Comment mourir et comment vivre ? Chaque individu se pose cette question, bien sûr. Mais la question est posée à la société. Que les chrétiens fassent vraiment corps pour affronter ces problèmes avec leurs contemporains, sans arrogance. Ils sont le Corps du Christ ressuscité après la destruction du Temple. Qu’ils vivent avec leur temps et fassent savoir que sauver les corps manifeste la volonté du Maître (« Je le veux, sois purifié ! »). Que les chrétiens sachent et disent que vie et mort sont mises dans les mains de la société tout entière et qu’il faut soigner celle-ci pour que la vie l’emporte. Chrétiens ! N’ayons pas peur de dénoncer les injustices qui écartent les hommes les uns des autres, mettant les uns aux bords de la mort plongeant les autres dans l’illusion du succès.

Michel Jondot


Fake news !

Une maladie de la peau

On ne savait pas, à l’époque de Jésus, distinguer la lèpre des autres maladies de peau qui, en apparence, lui ressemblent. Toute personne atteinte de ce genre de lésion cutanée faisait partie de la catégorie des lépreux. Elle devait demeurer constamment à distance de la société juive pour éviter la contagion. Si cette maladie était réputée très grave, elle était néanmoins guérissable. Il est écrit, au livre du Lévitique (Lev 13,46) : « Tant que le lépreux gardera cette plaie, il sera impur… » Il était donc reconnu que l’on pouvait guérir de la lèpre.

Cependant cette pathologie a quelque chose d’étrange. Contrairement à toutes les autres, la guérison n’est pas constatée par un médecin mais par un prêtre qui, a priori, n’est pas compétent pour juger de la santé physique de quelqu’un. Qui plus est, le lépreux, avant d’être réinséré dans la société doit accomplir des actes de purification sous la conduite de ce prêtre : « Va te montrer au prêtre et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit » dit Jésus. Ces actes de purification ne sont pas une mince affaire. Les prescriptions occupent des pages entières du livre du Lévitique (Lév 14). Il faut offrir un sacrifice d’animaux, puis se raser la barbe et les cheveux ; ensuite est imposée une période de huit jours pendant lesquels on devra demeurer cloîtré chez soi, puis à nouveau se raser, puis encore offrir des sacrifices. La disparition des symptômes physiques ne suffit pas pour que la guérison soit reconnue. Ce n’est qu’au terme de cette période de purification que le lépreux sera réintégré dans la société.

Une maladie de la parole

Pourquoi une telle différence entre cette maladie et n’importe quelle autre ?

Dans l’Ancien Testament comme à l’époque de Jésus, la lèpre n’est pas d’abord une pathologie physique mais une maladie de la parole. C’est l’expression visible d’un mal caché mais hautement contagieux : celui de la médisance. Le plus célèbre lépreux de l’Ancien Testament fut Moïse. Lorsque Dieu lui dit d’aller trouver son peuple pour le conduire hors d’Égypte, Moïse répondit qu’il ne le pouvait pas car le peuple ne l’écouterait pas. Alors Dieu dit à Moïse de mettre sa main sur son cœur et, lorsqu’il l’étendit, elle était couverte de lèpre. Il est vrai que Moïse finit par obéir à Yahvé, que le peuple, contrairement à ce qu’il avait déclaré, écouta Moïse et que, de sa lèpre, il fut bientôt guéri.

Dire à tort du mal de quelqu’un, le diffamer, colporter sur lui des informations injustes sous le manteau est extrêmement grave pour un juif. En effet, c’est par le Verbe de Dieu que le monde fut créé. La parole peut-être source de Vie ou bien véhicule de mort. La malveillance sème la mort. Elle est révélée chez certains par une maladie qui touche leur corps et les met au ban de la société. Il faut se protéger de la médisance qui risque de rendre malade – voire de tuer au moins socialement – l’individu vilipendé. Il faut se protéger de sa contagion qui, sous forme de fausses rumeurs, risque de contaminer toutes les relations sociales. Avant de réintégrer un lépreux, il est impératif de s’assurer qu’il sacrifiera comme tout le monde aux règles qui permettent la vie en société et renoncera au dérèglement de paroles qui sèment la mort.

« Saisi de compassion, Jésus étendit la main, toucha le lépreux et lui dit : ‘Je le veux, sois purifié.’ A l’instant même la lèpre le quitta et il fut purifié. » La parole de Jésus procède du cœur : il est saisi de pitié. Sa parole fait ce qu’elle dit : elle n’est pas mensongère. Elle est efficace : elle guérit et donne la Vie. Jésus est le Verbe de Dieu incarné dans notre histoire. Il dira un jour : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme mais c’est ce qui sort de sa bouche qui rend l’homme impur » (Mt 15,11).

La parole est sacrée

Pour les disciples de Jésus, toute parole devrait être sacrée. En effet, Dieu n’a plus d’autres paroles que celles qui passent par nos lèvres pour guérir notre société ou notre entourage de la lèpre de la médisance. Est-ce à dire que, pour s’en protéger, il faudrait garder toujours le silence et ne jamais dévoiler une injustice ? Si tel était le cas, Jean-Baptiste n’aurait pas traité les pharisiens de races de vipères ! Jésus n’aurait pas dénoncé leur comportement en les traitant d’hypocrites !

Nous avons à dénoncer l’injustice ou l’hypocrisie qui rendent notre société profondément malade… sans oublier de reconnaître notre connivence éventuelle avec ces maux. Mais nous avons toujours aussi à nous interroger sur ce qui nous pousse à parler. Cette lèpre des médisances et fausses rumeurs – les fake news comme on dit – touche notre société aujourd’hui d’autant plus que les moyens de diffusion sont mondiaux.

Souvenons-nous des paroles du Pape François aux Cardinaux de la Curie (24 décembre 2014). La neuvième maladie qu’il dénonce est celle de la rumeur, de la médisance, et du commérage. « J’ai déjà parlé de nombreuses fois de cette maladie, dit-il, mais cela ne suffit pas encore. C’est une maladie grave, qui commence simplement, peut-être seulement pour faire un brin de causette, et qui s’empare de la personne. Celle-ci se met alors à « semer de la zizanie » (comme Satan), et dans beaucoup de cas à « assassiner de sang-froid » la réputation de ses propres collègues et confrères. C’est la maladie des personnes lâches qui, n'ayant pas le courage de parler directement, parlent dans le dos. Saint Paul avertit : « Faites tout sans récriminer et sans discuter ; ainsi vous serez irréprochables et purs » (Ph 2,14-18). Frères, gardons-nous du terrorisme des bavardages !

Christine Fontaine