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21ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Jn 6, 60-69

Jésus avait dit dans la synagogue de Capharnaüm : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. » Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, s'écrièrent : « Ce qu'il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l'écouter ! » Jésus connaissait par lui-même ces récriminations des disciples. Il leur dit : « Cela vous heurte ? Et quand vous verrez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant ?... C'est l'esprit qui fait vivre, la chair n'est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas, et celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. » À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s'en allèrent et cessèrent de marcher avec lui. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu. »

L’ennemi de l’intérieur
Christine Fontaine

« Le pain de chaque jour »
Michel Jondot

« Nous croyons et nous savons »
Christine Fontaine


L’ennemi de l’intérieur

« Parmi vous… »

« Cette parole est rude, qui peut l’entendre. » Jésus fait face à une forte opposition : « il y en a parmi vous qui ne croient pas. »

Les Douze – c’est-à-dire le groupe des intimes – eux aussi, sans doute sont choqués : « Allez-vous me quitter vous aussi ? » Malgré la belle déclaration de Pierre, Jésus sait bien qu’il y a parmi eux « celui qui le livrerait ». C’est ce qu’il précise dans les lignes qui suivent ce texte : « ‘N’est-ce pas moi, déclare-t-il, qui vous ai choisis, vous les douze ? Et l’un de vous est un démon.’ Il parlait, précise l’évangéliste, de Judas, fils de Simon Iscariote ; c’est lui en effet qui devait le livrer, lui, l’un des Douze. »

Le travail du démoniaque ?

Les apôtres apprennent qu’il va leur falloir vivre quotidiennement avec un traître dont ils ne savent même pas le nom. Le « démon » n’est pas seulement à l’extérieur, il est aussi au milieu d’eux. Et cela, Jésus l’a voulu dès le départ. Il a « choisi » Judas comme les onze autres et pourtant il savait que ses intentions étaient démoniaques : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze ? Et l’un de vous est un démon. »

L’esprit qui a poussé Judas à suivre Jésus ne se révélera pleinement, aux yeux des apôtres, qu’au jour de la Passion. Avant ce jour, les 11 avaient certes pu constater que Judas aimait beaucoup l’argent : il volait dans la caisse commune. Mais en dehors de cela rien ne le distinguait des autres d’autant que Jésus semblait le considérer, au même titre qu’eux, comme l’un de ses intimes. Lorsque Jésus envoya ses apôtres deux par deux pour guérir les malades et expulser les démons, Judas faisait partie du groupe. Lorsque Jésus leur apprit à prier, lorsqu’il leur expliqua le sens des paraboles, Judas était parmi les douze. Même le Jeudi Saint, Jésus lava les pieds de Judas et lui donna « sa chair en nourriture et son sang en boisson ». Il fallut que Judas pactise, contre Jésus, avec les Grands Prêtres et les Chefs du peuple pour que les 11 prennent conscience de ce que Jésus prévoyait dès le départ : Judas n’avait suivi Jésus que par goût du pouvoir et amour de l’argent.

La figure du pervers

Le démoniaque n’est pas de vouloir suivre Jésus jusqu’à la mort et de le lâcher en chemin, comme Pierre l’a fait le vendredi saint et comme, à un moment où l’autre, nous le faisons tous. Les larmes de Pierre, après son reniement, manifestent qu’il n’a pas pu mais qu’il voulait vraiment le suivre jusqu’au bout. Le démoniaque consiste à faire comme si on voulait suivre Jésus alors qu’on ne veut pas du tout vivre de son Esprit. Judas prétend servir Jésus alors qu’il se sert de lui pour pactiser avec les grands contre lui. Judas est la figure du pervers.

Quand nous regardons l’histoire de l’Église, nous savons tous que bien des clercs et des laïcs font comme s’ils voulaient suivre Jésus alors que leur désir est ailleurs. Nous pensons souvent qu’ils n’ont pas été fidèles à ce qui se pratiquait au départ autour de Jésus. Nous rêvons parfois d’une Église qui en revienne à une prétendue pureté des origines. Nous omettons de considérer que Jésus a voulu, dès le commencement, accepter l’ennemi parmi ses plus intimes.

Le combat contre le démoniaque et l’amour de l’ennemi.

Pourquoi Jésus a-t-il choisi Judas alors qu’il connaissait sa perversion ? L’Évangile ne le dit pas. Peut-être simplement parce qu’il était réaliste : la perversion existe sur cette terre et l’Église de Jésus-Christ est aussi de cette terre. Elle ne fait pas exception. Cependant elle se perd si elle se contente de le constater sans combattre le démoniaque en son sein. Jésus a appelé Judas comme les 11 autres. Mais il l’a aussi combattu avec les armes qu’il propose à ses disciples : « Vous donc aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous persécutent. »

Il est bien plus facile d’aimer son ennemi quand il est extérieur au cercle de vos proches que s’il en fait partie. C’est pourtant à cet amour de l’ennemi de l’intérieur que Jésus nous appelle. Pour Jésus, Judas demeure l’un de ses amis à qui il offre le pain et le vin de l’eucharistie lors même qu’il ne peut plus rien trouver d’aimable en lui. Aimer son ennemi c’est ne pactiser en rien avec lui, c’est-à-dire lutter sans cesse pour que, dans l’Église, l’Esprit de Jésus commande. Mais c’est aussi supporter au milieu de nous que des hommes et des femmes, clercs ou laïcs, prétendent vivre dans cet Esprit alors qu’ils le pervertissent radicalement.

Le démon n’est pas seulement dans le monde, à l’extérieur d’une Église qui serait pure. Il est aussi à l’intérieur. Moment d’épreuve pour Jésus ! Connaissant ce scandale voulu par Dieu lui-même, allons-nous partir nous aussi ? Jésus nous laisse libres. Souhaitons être du nombre de ceux qui lui répondent : « A qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle ! »

Christine Fontaine


« Le pain de chaque jour »

La Parole et le pain

Si vous vous approvisionnez dans un supermarché pour acheter le pain des repas de chaque jour, l’objet que vous êtes venus chercher passe dans vos mains sans que vous ayez à croiser un regard ; la caissière ne lève pas même les yeux pour vous saluer. En revanche si vous avez l’habitude d’acheter votre baguette chez le boulanger du coin, il est vraisemblable qu’entre le commerçant et vous-mêmes s’instaure au moins un court dialogue : le temps qu’il fait, les informations sur la santé des uns et des autres par exemple. Autour de la nourriture s’instaure un lien humain qui n’a pas de prix. Autre est le pain, autre est l’opération par laquelle il passe de mains en mains. Sans qu’on y prête attention, une confiance s’établit entre celui qui vend et celui qui achète. Certes, nous avons besoin du pain quotidien, mais cela ne suffit pas pour alimenter la vie. Nous avons besoin de cette reconnaissance mutuelle, de cette confiance toute simple entre les uns et les autres. Elles sont comme une sorte de cadeau qui nous fait entrer dans ce que Jésus désignait par le mot « Esprit ».

Il faut avoir présent des expériences de ce type pour comprendre le malentendu qui oppose Jésus et beaucoup de ses disciples. Jésus avait parlé aux foules et il les avait nourris en multipliant les pains. Ses interlocuteurs étaient frappés d’avoir à portée de mains quelqu’un qui leur procurerait la nourriture à satiété. Ils voulaient le retenir afin d’avoir sous la main celui qui les libèrerait du souci du lendemain. L’objet de leurs attentes n’était pas Jésus mais ce qui apaiserait la faim du corps. Hélas ! Les paroles de Jésus en distribuant les pains s’accompagnaient d’un appel à la convivialité. Le pain, en soi, n’est rien. Il n’entretient pas la vie s’il n’est pas pris dans les paroles de ceux qui nous le donnent. Jésus sentait bien que son auditoire ne comprenait pas. Il ne comprenait pas que celui qui les avait nourris était aussi celui qui leur parlait et les invitait à une véritable convivialité. « C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien ». Mais Jésus n’est pas dupe ; il sentait bien qu’il n’était pas compris « Jésus savait, en effet, depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas. »

Le don du Père

Jésus parle. Jésus invite à le suivre. Jésus donne le pain. La confiance qu’il demande lui est refusée. Mais quand elle lui est accordée comme c’est le cas des Douze (« A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle !), c’est encore un autre don à recevoir, plus beau que celui qui nourrit les corps. Entendre Jésus et le suivre c’est recevoir un cadeau du Père : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »

Jésus parle ; lui répondre et le suivre, c’est croire. Nous croyons, nous voulons croire (« Oui ! Seigneur, je crois ! Mais augmente ma foi ! ») Nous croyons si nous entrons dans le désir du Père, qu’il faut sans cesse découvrir. Nous croyons si nous entrons dans cette dynamique de Jésus que l’Evangile de Jean fait apparaître. Tout est à recevoir et tout est à donner. Le pain est distribué gratuitement mais ce pain n’est pas reçu s’il ne s’accompagne d’une écoute. La Parole de Dieu est donnée avec le pain. Où Dieu parle-t-il ? Peut-être reconnaissons-nous que nous sommes croyants et qu’il parle lorsque nous nous apercevons que les événements que nous vivons sont dons du Père. Peut-être reconnaissons-nous que nous sommes croyants lorsque ce que nous vivons est un appel non seulement à l’action de grâces mais au don de nous-mêmes, prolongeant ainsi la marche de Jésus dans notre histoire.

Autrui nous est donné

Une phrase mystérieuse de Jésus donne à réfléchir. Aux disciples qui semblent ne pas le comprendre, faisant allusion au malentendu qui nous est rapporté, Jésus dit : « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’Homme monter là où il était auparavant ! » Il est bien vrai que Jésus, absent dans les hauteurs, n’est plus là pour dénoncer nos manques d’intelligence devant ses gestes et ses paroles. Comment savoir honorer la vie telle que Jésus la fait apparaître dans la synagogue de Capharnaüm après la multiplication des pains ? Jésus nous ouvre le chemin en évoquant le jugement dernier. Chacun de nous est le cadeau offert à autrui. Nous sommes donnés à ceux qui ont faim. Nous sommes donnés au malade. Nous sommes donnés à celui que la société a écarté et enfermé dans une prison. Chaque situation de détresse est un appel à le suivre : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Celui qui entend dans l’homme souffrant l’appel que formule Jésus peut espérer être sur le chemin de l’Evangile.

Soigner l’homme blessé, visiter le prisonnier, accueillir l’immigré, nourrir celui qui a faim ne suffit pas. Encore faut-il que celui qui reçoit notre visite ou nos soins soient pris en société. Les soins que nous aurons donnés ne font pas le tout. Il ne suffit pas que la maman qui a faim reçoive un peu de nourriture aux restaurants du cœur. Encore faut-il qu’en recevant l’aide dont il a besoin le malheureux puisse entrer dans les échanges humains comme nous-mêmes nous entrons en communication avec celui ou celle qui nous reçoit pour nous vendre notre pain. Réussir à se donner pour que les personnes se rencontrent consiste à transformer la société en Royaume de Dieu.

Michel Jondot

« Nous croyons et nous savons »

Une pierre d’achoppement

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » avait dit Jésus dans la synagogue de Capharnaüm.
Il n’avait pas encore institué l’Eucharistie. Il n’avait pas encore subi la grande épreuve de la Passion. Il n’avait pas encore manifesté le triomphe de la Vie sur toutes les forces de mort. Aux yeux de tous, Il n’était qu’ un homme, un simple croyant, un juif comme beaucoup d’autres qui fréquentaient la synagogue. Et, comme chacun pouvait le faire, il avait pris la parole au milieu de son peuple.

Les juifs de Capharnaüm avaient sous les yeux cet homme de chair et de sang. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », leur dit Jésus. Alors beaucoup de ses disciples s’écrièrent « Ce qu’il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter ! » et ils le quittèrent. Nous aurions probablement agi comme eux. Nous agissons comme eux chaque fois que nous repoussons la Parole de Dieu lorsqu’elle heurte notre bon sens humain.

Les paroles de Jésus à la synagogue – selon le bon sens humain – ne sont pas simplement insensées ; elles sont complètement mauvaises, il faut les rejeter. Il nous est plus facile de les entendre aujourd’hui parce que nous n’avons plus, comme les juifs d’alors, le corps de cet homme Jésus au milieu de nous. Mais quel scandale pour ses disciples ! Quelle pierre d’achoppement pour leur foi !

Une sagesse

« Cela vous heurte ? dit Jésus. Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ?… C’est l’esprit qui fait vivre la chair n’est capable de rien. »

Les paroles de Jésus heurtent, elles sont une pierre d’achoppement, elles font tomber. Et il ne peut en être autrement. Nous ne pouvons accéder au langage de Dieu sans tomber, sans accepter que tombent nos pensées humaines. De même qu’un enfant doit tomber pour apprendre à marcher, de même devons-nous accepter de tomber, de trébucher avant de tenir ferme dans la foi.

Quand la parole de Dieu nous heurte – et c’est inévitable – bien souvent, comme les disciples de Capharnaüm, nous tournons le dos à ce qui nous gêne. Nous ne suivons pas. Alors nous retombons dans notre bon sens humain, dans le langage des hommes, le langage de la chair. L’entrée dans le mystère de Dieu ne peut se faire que de nuit. L’Esprit de Dieu ne peut que nous heurter avant de nous devenir familier, avant que nous ne devenions familiers de ces passages par le dénuement, le dépouillement, de toutes nos pauvres pensées humaines.

Le langage de Dieu est folie pour ceux qui se perdent dans leurs propres pensées. Mais il est sagesse de Dieu pour ceux qui croient que l’humanité ne se réduit pas à ce que nous pouvons en connaître.

La foi

« Quant à nous, dit Pierre, nous savons et nous croyons que tu es le Saint, je Saint de Dieu. »
Pierre probablement n’a pas compris mieux que l’ensemble des autres juifs Mais Pierre et les Onze avaient appris à faire toute confiance à Jésus. Il connaissait d’expérience qu’il avait tout à gagner en demeurant avec Jésus. « A qui irions-nous, dit Pierre, tu as les paroles de vie éternelle. » Pierre accepte d’être dépassé par ce que dit Jésus. Il sait que la vie est de ce côté.

« Quant à nous, dit Pierre, nous savons et nous croyons que tu es le Saint, le Saint de Dieu. »
Non seulement Pierre sait mais il croit. Nous pensons souvent que la foi précède la connaissance. Pierre affirme le contraire. Il sait d’abord et il croit ensuite. Il manifeste ainsi qu’il n’est pas suffisant de savoir, encore faut-il croire ce qu’on a appris.

Savoir sans croire ne sert à rien. L’expérience quotidienne nous l’enseigne. Un homme peut très bien savoir qu’il est malade, s’il ne le croit pas il refusera les soins. Une femme peut savoir qu’elle est bien portante – tous les examens médicaux peuvent le lui prouver – si elle ne le croit pas, elle continuera à s’inquiéter. Nous pouvons savoir que Jésus a les paroles de la vie éternelle, si nous ne le croyons pas cette connaissance nous demeure extérieure… elle glisse sur nous comme sur une toile cirée. Seule la foi permet d’incorporer : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », dit Jésus. Celui qui incorpore ce que dit Jésus demeure en Vie !

Christine Fontaine