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18ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Jn 6, 24-35

La foule s'était aperçue que Jésus n'était pas là, ni ses disciples non plus. Alors les gens prirent les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L'ayant trouvé sur l'autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l'homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son empreinte. » Ils lui dirent alors : « Que faut-il faire pour travailler aux oeuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. » Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle oeuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l'Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c'est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n'aura plus jamais soif. »

Le pain de ce jour
Michel Jondot

Davantage !
Christine Fontaine

Dieu fait signe
Michel Jondot


Le pain de ce jour

Que cherchent-ils ?

Nous vivons dans un monde où il faut viser à la satisfaction d’un certain nombre de besoins.

Il faut parfois s’en féliciter : il est bon, dans notre pays, qu’on ait le souci de la santé de tous, y compris des plus marginaux. Il est bon que la société cherche désespérément à faire face au drame du chômage ; il est bon que de nombreuses associations veillent à atténuer la souffrance et la faim des plus démunis.

Mais il faut bien prendre conscience que, malgré les progrès de la modernité et la bonne volonté de beaucoup, nous ne savons pas faire face à la misère du monde et aux appels des plus pauvres : on voudrait les rejeter loin de nos frontières. Paradoxalement, dans le même temps, pour survivre, il faut aviver les besoins des privilégiés : la publicité s’efforce de faire rêver en promettant un bonheur qu’on pourrait acquérir à prix d’argent.

On peut s’étonner que, dans cette société, ils soient relativement nombreux ceux et celles qui ne se contentent pas de chercher à satisfaire leurs appétits ; comment se fait-il que le nombre de ceux qui demandent le baptême ne fait que s’accroître ? Ils étaient 4 258 aux fêtes de Pâques 2018, 7135 en 2024 adultes à entrer dans la communauté des chrétiens. Que cherchent-ils donc ?

Il arrive que certains n’hésitent pas à raconter leur aventure. Il faut lire le beau livre de Véronique Lévy, la sœur du philosophe, qui fut éblouie à l’âge de 38 ans : « Montre-moi ton visage ! » Elle raconte une longue errance, une recherche désespérée d’un métier qui la satisfasse et surtout, d’un amour qu’elle allait quêter dans les bars les plus sordides. Elle a pu dire, après coup, ce qui la motivait inconsciemment :« J’ai soif d’un amour inconditionnel que ni le mal ni la mort ne peuvent souiller, un être incorruptible, à l’amour exact, absolu, capable de me purifier. J’attends cet Être qui seul pourrait me prendre en Lui, m’absorber, me laver. Je l’attends plus qu’un veilleur n’attend l’aurore. »

Pour être exceptionnelle, cette expérience pourrait bien révéler ou réveiller une sorte d’inconscient que la modernité nous conduit à refouler. En tout cas, elle peut nous aider à comprendre les paroles de Jésus. A son contact les foules retrouvaient l’espoir ; elles percevaient en cet homme une force capable d’honorer leurs attentes. Elles couraient à sa recherche et Jésus tente de faire apparaît ce qui est au cœur de chacun d’eux. Un jour, il avait apaisé la faim qu’on peut éprouver au terme d’une journée de jeûne et le lendemain on voulut le retrouver : « Vous me cherchez parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés… » Il leur révéla alors qu’en réalité, mangeant le pain, ils recevaient infiniment plus qu’ils ne l’imaginaient.

À la recherche de Dieu

Le pain est une réalité profondément symbolique. Il suppose, la plupart du temps, le partage avec des convives. Lorsque nous le consommons dans la solitude, il s’accompagne au moins d’une relation avec celui qui nous l’a transmis et avec celui qui l’a pétri et cuit. A bien y réfléchir, le pain n’est pas seulement un objet à consommer ; il suppose un lien avec autrui. Il dit la paix entre les hommes et la paix est don de Dieu : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. »

Dans le désert, le peuple des ancêtres avait reçu la manne. Cette nourriture venait non de Moïse mais de Dieu : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain » mais Dieu lui-même.

En réalité, là où l’on donne et où l’on reçoit, là où la rencontre fait vivre, Dieu est présent. Jésus nous a appris à dire : « Notre Père… donne-nous le pain de ce jour. » Certes, le pain que nous consommons vient à travers des relations très humaines et, pourtant, Dieu est inséparable de ces liens.

Il en va ainsi de tous les objets dont nous avons besoin : ils ne sont pas seulement à notre disposition. Ils viennent à nous grâce aux échanges qui forgent une société. Lorsqu’ils se produisent dans la justice, lorsqu’ils construisent un monde où l’on est attentif aux besoins de tous, Dieu est là.

Malheur aux satisfaits !

Il faut reconnaître que dans notre monde où nous voudrions que soient satisfaits tous nos besoins, la déception nous guette. Quelles souffrances quand un père de famille bute sur le chômage ou quand les exigences des tâches de chaque jour sont trop lourdes : on parle de suicide face aux angoisses dans le monde du travail. Sans cesse il vaut faire advenir une société où les relations entre tous permettront à chacun de répondre à ses besoins les plus concrets comme les plus nobles. Cela ne pourra se vivre que dans la mesure où l’on sait bien que nos désirs ne seront jamais comblés : « Dieu est plus grand que notre cœur. » Malheur aux satisfaits : ils ne peuvent plus être aimés ; ils oublient que, qui que nous soyons, nous sommes sans cesse entourés par l’amour de Celui qui se donne à nous en nous envoyant son Fils.

Il arrive, l’expérience de Véronique Lévy nous le montre, qu’il nous est donné de reconnaître le mystère dans lequel nous baignons. Ces moments, en réalité, sont exceptionnels, mais nous sommes invités à découvrir l’amour du Père dans la foi que nous avons proclamée au baptême ; elle dépasse tout sentiment et toute raison. La confiance que nous accordons aux paroles de Jésus telles que l’Évangile nous les transmet nous donne l’assurance que nous sommes aimés ; elle nous conduit à vivre de cet amour, à le chercher, à courir sur ses traces pour tenter de construire un monde de frères. Nous avons trouvé Jésus dans la foi mais nous nous écarterons de lui si nous oublions de courir vers Lui en le cherchant sans cesse. Véronique Lévy l’a compris : « Je te cherche au détour des rues, des stations de métro, dans les détails souterrains où tu te caches, Dieu à visage humain, éternel et changeant, immuable. »

Michel Jondot


Davantage !

Le désir des hommes

L’homme, selon Bernard de Clairvaux, est un être de désir. Quand ce désir se porte sur des choses, il pousse les hommes à ne jamais se contenter de ce qu’ils possèdent déjà. Leur désir est insatiable puisque se contenter de ce qu’on a serait tuer le désir et, d’une certaine manière, cesser d’attendre davantage et donc, d’une certaine manière, cesser de vivre ou d’avoir du goût pour la vie.

C’est sur ce désir que s’appuie notre société de consommation. Elle nous pousse à consommer toujours autre chose, toujours davantage. Les ustensiles ou les objets qui, dans le passé, étaient faits pour durer toute une existence sont conçus aujourd’hui pour être renouvelés le plus rapidement possible. Nous travaillons pour des « nourritures périssables ». Elles doivent l’être puisqu’il nous faut continuer à consommer pour relancer la production et fournir des emplois à ceux qui produisent.

On peut se demander où va cette société qui, par ailleurs, crée des inégalités de plus en plus grandes entre ceux qui ont un réel pouvoir d’achat et les autres qui sont de plus en plus pauvres : aujourd’hui 50% de la richesse mondiale est entre les mains de 1% de la population !

Le désir de Dieu

Certes on ne parlait pas de société de consommation au temps de Jésus. Mais le désir des hommes était déjà insatiable ; il se fixait déjà sur des objets de consommation. « Vous me cherchez, dit Jésus, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. »

La faim d’une foule vient d’être apaisée par Jésus qui a multiplié les pains pour eux. Ils sont à sa recherche pour en recevoir encore en abondance. Des hommes bientôt vont demander un signe pour qu’ils puissent voir et croire. Ils évoquent Moïse qui a donné la manne au désert. Ne se souviennent-ils pas qu’eux-mêmes ont reçu, il y a bien peu de temps, le signe de la multiplication des pains ? Leur désir de consommer toujours leur fait oublier ce dont ils ont été nourris hier.

Le désir, quand il se fixe sur des objets, nous fait oublier celui qui désirait entrer en relation avec nous par le don qu’il nous faisait. « Ne travaillez pas, dit Jésus, pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle. » Jésus adressait à ces hommes un signe de la relation qu’il désirait créer, au nom de Dieu, avec eux. Il tente d’orienter leur désir non vers des choses à posséder mais vers une relation à créer. Le désir des hommes se fourvoie, à en croire Jésus, lorsqu’il ne s’oriente pas vers l’Autre qui nous désire afin qu’à notre tour nous le désirions. Un désir qui se fixe sur des objets est insatiable et mortifère. Le désir qu’on a de Dieu est source de vie : « Moi, Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. »

« Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » demandent les hommes qui entourent Jésus. Et il leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » On peut se gaver non seulement de nourriture mais de connaissances, même de connaissances religieuses. On peut se « gaver » de lois morales et de dogmes. Notre désir en sera tout autant perverti que lorsque nous cherchons à accumuler toujours plus de richesses. La foi conjugue le désir de Dieu avec celui des hommes. Elle n’est pas d’abord l’adhésion à un contenu. Elle désenclave le désir humain de tous les objets où il s’enlise pour l’ouvrir à l’immensité d’un désir qui surpasse tout objet de consommation ou de connaissance. Elle ouvre en nous un espace infini où Dieu nous manquera toujours puisqu’il ne nous manque jamais. Autrement dit Dieu se donnera toujours à désirer mais d’un désir qui libère de tous les leurres qui prétendent nous combler. « Tu es bon, Seigneur, pour l’âme qui te cherche, écrit Bernard de Clairvaux, mais qu’es-tu pour celle qui te trouve! Et cependant, chose étrange, personne ne peut te chercher s’il ne t’a déjà trouvé. Tu te laisses trouver pour qu’on te cherche et tu veux être cherché pour te laisser trouver. »

Le désir des autres

Le désir de Jésus-Christ, son ultime commandement, c’est que nous nous aimions les uns les autres comme lui-même nous a aimés.

J’ai connu l’une de ces familles qui, pour ne pas être dans le 1% des plus riches, n’en est quand même pas très loin. Ils ont quatre enfants, une maison luxueuse avec piscine et terrain de tennis ; ils possèdent un bateau luxueux ; ils fréquentent les plus grands palaces. Lui travaille, elle non mais elle n’est pas pour autant « esclave » de ses enfants ni des tâches ménagères : le personnel est suffisant pour faire face sans son aide. On pourrait les croire au comble du bonheur et pourtant le couple est proche de la rupture. Rien ne marche vraiment entre eux. Le mari décide alors d’emmener sa femme en croisière. Il lui offre tout ce qu’il est possible de donner pour combler une femme. Plus il lui donne, plus la femme se renferme. Il ne comprend pas. L’épouse finit par demander le divorce en disant à son mari : « Je ne te demandais pas toutes ces choses. J’aurais simplement voulu que l’on échange au moins une parole vraie entre nous au cours de cette croisière. »

Le désir de Jésus-Christ, son ultime commandement, c’est que nous échangions avec tout homme des paroles vraies c’est-à-dire des paroles de vie ! Il rejoint notre désir de vivre et de donner la vie ; Il nous demande de ne pas nous laisser séduire par une société de consommation !

Christine Fontaine

Dieu fait signe

Entre demain et hier…

« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »

Voici cinquante ans, l’Eglise était en plein concile. Devant une question pareille, la réponse du plus grand nombre consistait sans doute à dire que travailler aux œuvres de Dieu consistait à construire l’avenir. L’action humaine du chrétien était liée aux progrès techniques et spectaculaires de cette époque. Les mentalités étaient marquées par la pensée de Teilhard de Chardin qui voyait dans les efforts humains une montée vers un point de convergence où, pour parler comme Paul, tout serait récapitulé dans le Christ.

Les temps ont bien changé. Les clercs aujourd’hui tentent de restaurer le passé. On va chercher dans les sacristies de très vieux vêtements liturgiques pour retrouver la belle époque qui précédait le Concile. L’Eglise d’hier, disent certains, a fait fausse route en se précipitant vers l’avant. Elle s’est rendue au monde en perdant son âme ; il s’agit de retrouver l’Esprit. Et on en vient à confondre l’Esprit de Jésus avec l’esprit d’avant Vatican II. On retrouve des rites antiques pour honorer le Christ, comme l’adoration du Saint-Sacrement qu’on impose aux jeunes dans certaines aumôneries.

Le monde des signes

« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »

Travailler aux œuvres de Dieu a quelque chose à voir avec les signes. La question est posée à propos de la nourriture que Jésus et la foule avaient mangée ensemble la veille. Cinq mille hommes avaient été rassasiés. Le pain, en réalité, n’est pas seulement matière à refaire les forces du corps. Il n’a pas grand goût quand il est distribué au prisonnier isolé dans sa cellule. En revanche, il prend toute sa saveur quand il est partagé en commun ; il unit les convives aussi sûrement que des paroles d’amitié ou des déclarations d’amour. En ce sens le pain est signe. La foule n’avait pas compris : « Vous me cherchez non parce qu’on vous a fait signe mais parce que vous avez été rassasiés ». Recevoir le pain est toujours un signe. Jésus leur révèle que la foi naît lorsqu’on partage la vie et qu’on y reconnaît le don de Dieu, l’œuvre de Dieu. Le monde des signes est l’univers de Dieu il faut y pénétrer pour accéder à la foi. « L’œuvre de Dieu c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé ». Les Juifs n’en restent pas là. Pour mieux comprendre comment on entre dans l’univers des signes, les interlocuteurs insistent. « Fais quelque chose pour que nous puissions croire ». Et pour illustrer leur demande, ils plongent dans l’histoire ancienne et se réfèrent à Moïse.

« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »

Jésus n’esquive pas le problème. La manne qui nourrissait le peuple au temps de l’Exode était don de Dieu. Elle nourrissait les corps mais elle venait du Père ; elle était don du ciel. Et Jésus continue son discours en les ramenant au présent. Où est le pain du ciel ? Il déborde les temps. Il est en chaque instant. Partout où des hommes communiquent entre eux, l’interlocuteur est pour chacun don de Dieu, pain du ciel qui fait mieux que nourrir les corps. Les années et les siècles se suivent mais les signes demeurent ; ils sont « la nourriture qui se garde pour la vie éternelle ». Faisant allusion au don du ciel que Jésus leur indique, on lui adresse la demande : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours ». Jésus leur répondit en les ramenant à l’entretien en cours. Celui qu’ils ont sous leurs yeux est le signe que le Père leur envoie : « Moi, je suis le pain de la vie ; Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif ».

« Donne-nous le pain de ce jour »

« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »

Point n’est besoin de se tourner vers l’avenir comme le faisaient les aînés lors des Trente Glorieuses au temps de Vatican II. Point n’est besoin de retourner aux époques préconciliaires. Qu’il y ait des sensibilités diverses n’est pas nouveau. Point n’est besoin de retourner aux pratiques de Jésus en Palestine lors de la multiplication des pains. En revanche, l’Eglise se doit, et tous les baptisés avec elle, d’ouvrir les yeux sur le présent qui vient. Quand on dit la prière que Jésus nous a apprise, nous ne demandons pas s’il reste du pain de la veille ; nous ne lui demandons pas du pain en quantité telle que nous aurons l’assurance de ne pas avoir faim demain. Nous lui demandons le pain de ce jour. Celui-ci n’est pas seulement ce qui nourrit nos corps. Il est ce qui nous unit les uns aux autres lorsque nous nous faisons signe. Et parce qu’il nous est donné de croire, nous reconnaissons qu’en chaque rencontre Jésus est présent et le Père nous fait signe.

Michel Jondot