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Joan Miró
Bleu II



Joan Miró
Bleu II
huile sur toile, 270 x 355 cm, janvier-mars 1961
Musée national d’art moderne, Paris.

Joan Miró (1893-1983) fut plus qu’un peintre surréaliste espagnol. Il fut ce « catalan international » qui sut pendant soixante ans donner à la couleur, à la poésie des lignes, à l’imagination formelle, une liberté, une énergie et une puissance inégalées.

Il court sur Miró une rumeur de désinvolture et d’improvisation qu’un long regard sur ses œuvres permet seul de dissiper. Certes Miró fut un peintre qui eut « la beauté facile » selon l’heureuse formule du poète surréaliste Paul Éluard, avec lequel il composa en 1958 un livre d’artiste, A toute épreuve. Mais on aurait tort de penser qu’il inventait ses formes spontanément, sans réfléchir, en peignant selon une inspiration volage. Sa formation dans des écoles d’art à Barcelone, son amitié avec Picasso, sa longue série d’expositions commencées dès l’âge de 25 ans en 1918, attestent d’un long chemin dans l’exercice de la peinture, d’abord figurative puis de plus en plus abstraite au fil de l’entre-deux guerres. Ici, nous nous trouvons face à une œuvre de très grand format, 270 par 355 cm et qui se décline en un triptyque, Bleu I, II et III, de toiles peintes toutes les trois de janvier à mars 1961. Et pourtant, raconte Miró avec provocation, « J’ai mis beaucoup de temps à les faire ». L’artiste continue son affirmation paradoxale en expliquant son rapport singulier à l’exécution et à la conception de ses peintures. « Pas à les peindre, mais à les méditer. Il m’a fallu […] une très grande tension intérieure, pour arriver à un dépouillement voulu. L’étape préliminaire était d’ordre intellectuel… C’était comme avant la célébration d’un rite religieux, oui, comme une entrée dans les ordres. Vous savez comment les archers japonais se préparent aux compétitions ? Ils commencent par se mettre en état – expiration, aspiration, expiration –, c’était la même chose pour moi. […] je me préparais intérieurement. Et, finalement, je me suis mis à peindre : d’abord le fond, tout bleu, mais il ne s’agissait pas simplement de poser de la couleur, comme un peintre en bâtiment : tous les mouvements de la brosse, ceux du poignet, la respiration d’une main intervenaient aussi. “Parfaire” le fond me mettait en état pour continuer le reste.
Ce combat m’a épuisé. »

La peinture est un sport de combat, entre la couleur et le peintre, la forme et l’informe, l’esprit et la matière. Et nous voyons le résultat pacifié de cette lutte dans la profondeur d’un bleu où notre œil se perd comme s’est perdue peut-être la main de Miró. L’artiste venait de s’installer dans un vaste atelier à Majorque et semble profiter de l’espace environnant pour laisser se dilater son travail comme son émotion. Presque rien sur la toile : une ligne rouge presque verticale, quelques ronds ou points noirs, et le bleu, comme une couleur où l’on respire, des modulations qui battent eu rythme même de notre souffle.

Ce tableau Bleu II, où danse « Un ciel plus beau que jamais » (Éluard), je le vois comme une invitation à nous « déconfiner » mentalement et physiquement, car il creuse en nous un espace insoupçonné, cet espace où vit notre âme. Le mot sonne bien étrange et n’appartient ni au vocabulaire des critiques d’art contemporain ni à ce monde de l’imagination surréaliste dans lequel s’est formé l’univers de Miró. Mais je n’en connais pas d’autre pour désigner précisément cette réalité que nous sommes et qui est clairement distincte de notre esprit, de notre cœur, et de notre corps, et possède une vitalité à part entière. Loin de l’homme unidimensionnel qu’analysait Herbert Marcuse en 1964, Miró nous invite en 1961 à l’expérience multidimensionnelle d’un univers de couleur, de profondeur où nous pouvons nous épanouir. Sans limites. Nous sommes faits pour cette vie-là, jamais tarie.

Paul-Louis Rinuy

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https://www.eternels-eclairs.fr/le-surrealisme-tableaux-miro-lam-masson-ernst-magritte-tanguy.php#miro