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Mariage pour tous ?
Nicodème

Un récent article signé Nicodème, sur le mariage et la procréation dans des couples homosexuels, a suscité de nombreux commentaires écrits ou oraux dont l'un d'un membre de l'équipe animatrice : Jean-Luc Rivoire, spécialiste du droit de la famille qui avait participé aux débats du groupe, a affirmé son désaccord avec nos conclusions provisoires. Marianne Huteau, psychanalyste, aurait pu en faire autant. En effet nous ne cherchions pas à faire une synthèse de la discussion mais à décrire sur quoi la majorité de l'équipe pouvait être d'accord. Ce faisant nous avons faussé certains points de vue.

Tenant compte de ce qui nous a été dit et écrit, nous reprenons notre réflexion dans cet article, non pour y mettre un point final mais pour éventuellement relancer la discussion. Nous n'avions pas abordé la position de l'Eglise catholique dans les articles précédents ; nous le faisons dans la dernière partie de ce texte (mis en ligne le 21/12/2012).

Ceux qui prennent ce débat en cours peuvent voir comment notre réflexion a évolué en consultant :

"Mariages homosexuels, si nous votions" (mis en ligne le 5/11/2012, rédigé après une réunion de l'équipe animatrice).
"Mariages homosexuels" (mis en ligne le 2/9/2012, rédigé après la prière du 15 août 2012 à la demande de plusieurs lecteurs du site).

(6) Commentaires et débats

Des lois nouvelles se préparent concernant ce qu'on appelle "Le mariage pour tous". L'opinion est divisée et les manifestations se succèdent pour appuyer l'initiative gouvernementale ou pour la contester. Les religions ont pris parti mais les fidèles ne sont pas unanimes. Bien des éléments se mêlent ; on ne peut se contenter d'être pour ou d'être contre. Les développements qui suivent tentent de mettre de la clarté, de distinguer les points de vue et de mesurer les enjeux.

Lois nouvelles et vie privée

Quand on recherche sur internet ce qu’est la Procréation Médicalement Assistée on voit qu’elle recouvre toutes les pratiques de procréation non naturelles : celles qui sont pratiquées à la maison par les femmes désirant être enceintes sans avoir de rapport sexuel avec le géniteur masculin de leur bébé comme celles qui passent par une assistance médicale, y compris la Gestation pour Autrui (les « mères porteuses »).

Le débat actuel porte sur des lois à mettre en place. Il ne porte pas sur l’intimité de la vie privée de couples homosexuels (les pratiques faites à la maison). Toutes les techniques de Procréation Médicalement Assistée – qu’elles concernent les couples hétéros ou homosexuels – ont un coût : celui que l’on consacre à l’exercice de la médecine et de la recherche. Cependant la Gestation Pour Autrui a un coût supplémentaire qui n’a rien à voir avec la médecine : le prix à payer pour qu’une femme porte pendant 9 mois un enfant qu’elle acceptera d’abandonner à la naissance. Pour plus de clarté, dans cet article, nous appellerons PMA (Procréation Médicalement Assistée) toutes les méthodes qui ne sont pas faites « à la maison » et qui ne concernent pas non plus les « mères porteuses ». Nous appellerons GPA (Gestation Pour Autrui) uniquement ce qui a trait aux « mères porteuses ». Nous appellerons « pratiques domestiques », ce qui peut avoir lieu « à la maison ».

Les pratiques domestiques concernent la vie privée; elles ne sont donc pas du ressort de la loi. La France jusqu’aujourd’hui n'autorise pas la Gestation Pour Autrui; elle autorise la PMA uniquement pour les couples hétérosexuels. Le programme socialiste comporte uniquement le droit au mariage et à l'adoption pour des couples homosexuels. Cependant un certain nombre de Français désirent que l'on ne s'arrête pas là : ils veulent que la PMA et la GPA ("mères porteuses") soient ouvertes à tous; d’autres, à l’opposé, désirent que la PMA soit réservée aux couples hétérosexuels qui ne pourraient enfanter sans avoir recours à une assistance médicale. Considérons l’un après l’autre ces deux points de vue.

Premier point de vue :
La Procréation Assistée doit demeurer Médicale pour des couples hétérosexuels

Si la Procréation Assistée est permise dans un couple homosexuel, on ne pourra plus dire qu’elle est médicale. Une célibataire pourra devenir mère sans connaître de conjoint : c’est déjà le cas en de nombreux pays. Une épouse dans un couple hétérosexuel – avec ou sans l’accord de son mari – se laissera séduire par les promesses de telle ou telle institution spécialisée qui, entrant dans le jeu de la concurrence commerciale, proposera des prestations particulières et sélectionnera des gènes prometteurs. Une femme ménopausée pourra, pour occuper les temps libres de la retraite qui se profile, s’offrir le luxe de l’enfant à pouponner que sa carrière professionnelle ne lui avait pas permis de désirer. Tous y auront accès et des entreprises commerciales feront des offres concurrentes. L’argent prendra, dans la société, la place de la parole et du don. La Gestation Pour Autrui transformera des personnes en force de production. L’aliénation sera totale, analogue à celle du monde ouvrier à l’heure de l’industrialisation au 19ème siècle. Des femmes seront asservies à un système social comme, à la fin du 19ème, des enfants de 5 ans l’étaient à la machine.

Transformer la manière d’accéder à la naissance altèrera nécessairement le regard que l’on porte sur la vie ; une rupture est à prévoir. Quelle société apparaîtra ? L’inconscient collectif se modifiera : les couples hétérosexuels eux-mêmes seront, à chaque naissance, devant le choix entre donner la vie par eux-mêmes ou passer par la médecine pour avoir peut-être un enfant plus beau ou plus intelligent. A qui sera imputé le handicap d’un enfant né de « mères porteuses » ? Le contrat de GPA signé stipule que la mère abandonne l’enfant à la naissance ; si l’enfant naît handicapé qui en aura la charge ? Le père aura payé pour avoir un enfant sain, acceptera-t-il un handicapé de naissance ? Que deviendra cet enfant ? Nous courons dans le mur. Si nous acceptons que la PMA soit légalisée pour tous, nous forgeons une société où la marchandisation n’a plus de limites.

Deuxième point de vue :
La procréation doit être ouverte à tous (PMA et GPA)

Fausses questions que tout cela. Les propos qui précèdent révèlent des réflexes de peur. Que l’avenir nous échappe, c’est une évidence. Décrire ce qu’il sera relève de l’imaginaire ; n’échappons pas au réel. La parole nous précède ; elle a été à même d’arracher l’humanité à l’engluement dans le biologique et le naturel. Que ne peut-elle faire encore ? Qui peut prétendre qu’on peut arrêter son travail ? Que les questions touchant la natalité laissent présager une rupture est peut-être une évidence mais pourquoi y voir une catastrophe ?

L’humanité a connu des ruptures sans qu’elle sombre dans le chaos. Lorsque les sociétés humaines se sont aperçu que les animaux pouvaient être domestiqués, lorsqu’ils ont domestiqué ceux qu’ils poursuivaient à la chasse, ils sont sortis d’un monde pour entrer dans un autre. Les instruments dont ils disposaient ont disparu. Parquer buffles ou chevaux dans des pâturages entraînait de nouveaux regroupements humains et de nouvelles manières de se parler et de regarder le monde. La parole précède l’humanité. Elle humanisera l’imprévisible quel qu’il soit. Faisons confiance aux capacités d’invention et d’adaptation de l’humanité.

Certes un enfant a besoin de découvrir qu’il n’est pas tout à lui tout seul, qu’il est garçon ou fille et non les deux, qu’il sera homme ou femme, père ou mère et non les deux. Certes la différence sexuelle permet qu’une personne en appelle à une autre : sans cet appel, l’humanité retourne à la bestialité. Mais il y aura toujours suffisamment de masculin et de féminin dans la société pour qu’un enfant puisse se structurer. Certes un enfant a besoin de s’inscrire dans une histoire familiale mais cette nécessité n’est pas plus compromise pour un enfant né dans un couple homosexuel que s’il est né et vit dans une famille hétérosexuelle recomposée. Nous sommes aujourd’hui à une époque de mutation, ne fermons pas trop vite des portes par des lois qui risquent demain de boucher l’avenir. N’essayons pas de traiter tous les problèmes à la fois.

La société affirme que l’homosexualité n’est pas une maladie mais une manière différente de vivre la sexualité. En demandant le mariage, les homosexuels veulent que leur couple soit reconnu : ils font appel à la société ; leur homosexualité n’est donc pas, en l’occurrence, un enfermement dans « le même » (sexe). Leur désir de pouvoir enfanter manifeste que le couple n’est pas refermé sur lui mais ouvert sur l’enfant à venir. Quelles raisons avons-nous de le leur interdire ? Ne fermons pas ce qui est possible aujourd’hui sous prétexte qu’on court le risque d’ouvrir la porte, demain, à d’autres situations que nous ne voudrions pas. Dans cette période de rupture des évidences, avançons pas à pas.

Un troisième terme est-il possible ?

Est-il possible de trouver une troisième voie entre ces deux points de vue qui s’opposent ? Est-il possible d éviter d’une part que s’instaure un marché de la procréation, d’autre part d’ouvrir aux couples homosexuels la possibilité d’être parents ?

Entre les techniques de PMA et la Gestation Pour Autrui (nécessaire pour que les couples d’hommes puissent avoir un enfant) il existe une grande différence : dans la GPA, au coût de la médecine, s’ajoute celui des « mères porteuses ». La Gestation Pour Autrui tend à transformer l’enfant en une marchandise et les mères porteuses en « force de production ». On peut imaginer une voie où la GPA serait interdite et la PMA autorisée, non pour toutes les femmes, mais pour les couples homosexuels féminins mariés civilement. Jusqu’à présent la PMA n’est autorisée qu’aux couples hétérosexuels qui, pour des raisons de maladie, doivent avoir recours à la médecine pour faire aboutir leur projet d’enfantement. Les lesbiennes ne peuvent être considérées socialement comme des malades. A les traiter ainsi on succombe à l’homophobie et on tombe sous la loi qui la condamne. Dans ces conditions, au nom de quoi les faire entrer sous la loi qui autorise la PMA uniquement pour des raisons médicales ? A la limite, on pourrait concevoir qu’un couple homosexuel féminin, s’il n’est pas malade, est handicapé pour avoir des enfants. Ces femmes pourraient donc avoir recours à la médecine pour cause de handicap. Cette position ne permettrait-elle pas, sans avoir recours aux mères porteuses d’ouvrir la PMA aux couples de femmes ?

En réalité, cette position tombe sous le feu de la critique tant de ceux qui veulent en rester aux lois actuelles que de ceux qui désirent que l’ensemble des techniques de procréation médicale soit ouvert à tous sans restriction.

Les premiers disent que d’une part, l’idée de considérer les couples de lesbiennes comme frappés d’un « handicap » pour avoir des enfants n’est peut être pas la meilleure façon de leur rendre justice ; d’autre part les femmes célibataires seraient, elles aussi, considérées comme handicapées !

Les seconds font remarquer qu’en acceptant la Procréation Médicalement Assistée (PMA) pour les couples de femmes et en refusant la Gestation Pour Autrui (mères porteuses) pour les couples d’hommes, on fait du « communautarisme » et de la ségrégation. Les couples de femmes et les couples d’homme doivent, selon eux, avoir les mêmes droits. Les premiers comme les seconds se réunissent pour faire remarquer qu’il sera impossible de limiter la PMA aux couples de femmes mariées : il n’est pas concevable que le personnel médical demande un certificat de mariage civil avant d’envisager toute possibilité d’intervention.

Le troisième terme, à la réflexion, n’est guère envisageable. Reste alors seulement les deux premières hypothèses :
- Demeurer sous la loi actuelle qui autorise la PMA seulement aux couples hétérosexuels dont le projet de filiation ne peut aboutir pour raison de santé.
- Ouvrir la PMA et la GPA à tous sans restriction.

La justice est-elle possible ?

S’il n’est d’autre choix qu’entre ces deux positions, n’est-il pas préférable de demeurer sous la loi actuelle ? En effet, ceux qui – sous couvert de justice et d’égalité entre tous - désirent ouvrir la PMA et la GPA nous semblent tomber sous la critique qu’ils dénoncent. La revendication d’égalité de traitement entre tous les couples (homosexuels et hétérosexuels) conduit à considérer comme légal - donc normal - le statut de « mères porteuses ». Sous couvert d’égalité entre tous, on commet et on institutionnalise une injustice flagrante entre deux catégories de femmes. Toutes auraient accès à la PMA mais pour des raisons diamétralement opposées : les unes parce qu’elles désirent avoir un enfant mais ne veulent pas de conjoint, les autres parce qu’elles ont besoin du salaire que la grossesse peut leur procurer mais ne désirent pas l’enfant. Pour satisfaire au désir d’enfant des unes on transforme les autres en « force de production ».

Mais, diront certains, si des femmes sont d’accord pour exercer cette fonction, nous ne voyons pas où est le problème. C’est avec le même argument que les grands patrons du XIXème siècle faisaient travailler les hommes, les femmes et les enfants pour un salaire de misère et sans leur accorder un seul jour de congé. Ils ne forçaient personne à venir travailler dans les filatures du Nord de la France ou de la région lyonnaise. Les ouvriers venaient « librement ». De quoi pouvaient-ils se plaindre, disait-on souvent ? N’auraient-ils pas dû être reconnaissants envers les patrons qui leur procuraient un salaire ? Aujourd’hui, en Inde on ne force personne à vendre un de ses organes ; ceux qui y consentent le font « librement » et sont rémunérés. De quoi peuvent-ils se plaindre ? Cet argument, sous couvert de « liberté » des mères porteuses, les place en situation d’aliénation. Marx dénonçait la situation déshumanisante des ouvriers qui étaient considérés comme « une force de travail », combien plus devons-nous, à notre avis, déplorer que des femmes soient assimilées à « une force de production ».

Les « mères porteuses » seraient destinées à devenir les grandes oubliées de l’histoire. Les couples homosexuels masculins – la plupart du temps – ne veulent pas les connaître : ils préfèrent passer par des cliniques spécialisées qui feront écran entre les « mères porteuses » et eux. On dénie souvent jusqu’à leur existence. Sous prétexte d’avoir payé, on se considère quitte. On refuse de voir cette situation d’injustice fondamentale qui touche, en grande majorité, une fois de plus les femmes les plus modestes. En cherchant l’égalité entre couples hétérosexuels et homosexuels non seulement on n’échappe pas à l’injustice mais on en génère une encore plus profonde dont les femmes les plus pauvres feront les frais. Nous préférons rester sous la loi actuelle plutôt que de voir s’ouvrir la PMA et la GPA à tous sans restriction.

En réalité quels que soient les progrès de la médecine, une « injustice » demeure entre l’homme et la femme : elle seule peut porter un enfant. Mais est-ce une injustice ? Ce que nous appelons injustice repose sur une différence au sein de l’humanité : seule une femme peut être enceinte. Hier cette différence générait déjà une injustice : un homme pouvait « engrosser », comme on le disait, une femme et disparaître sans vouloir entendre parler d’elle ni de l’enfant. Aujourd’hui une femme peut être enceinte sans avoir rencontré d’homme, est-ce plus juste pour autant ? Une différence irréductible demeure au sein de l’humanité : la différence sexuelle. Cette différence ne génère de l’injustice que si, chacun de son côté - homme ou femme - décide de donner la vie, sans faire appel à l’autre.

Le mariage et l’adoption

Si nous sommes portés à refuser l’ouverture de la PMA et de la GPA à tous, il nous reste à considérer les « pratiques à la maison ». Elles sont de l’ordre de la vie privée et, en un sens, ne concernent pas les lois à mettre en place. Chacun chez soi est libre de faire ce qu’il veut dans la mesure où cela ne nuit pas à son voisin : telle est la règle acceptée par la grande majorité des citoyens.

Il est possible que des couples de gays d’une part, de lesbiennes d’autre part s’accordent pour avoir un enfant sans qu’il y ait rencontre charnelle. L’insémination artificielle ne pose guère de problème et bien des enfants d’homosexuels sont déjà nés par ce moyen. Dans ce cas, l’accord d’un gay et d’une lesbienne – autrement dit d’un homme et d’une femme – est nécessaire. Il est également indispensable que cette relation repose sur la confiance mutuelle : l’homme doit pouvoir faire confiance à la femme qui portera un enfant pour le lui confier après sa naissance. L’enfant aura dans ce cas un père et une mère identifiables. Il pourra s’inscrire dans une lignée tant paternelle que maternelle. Que l’on pense ce que l’on veut de telles pratiques, nous ne voyons ni comment ni au nom de quoi les interdire dans une société laïque comme la France, même si elles heurtent nos sensibilités religieuses.

Dans un couple hétérosexuel marié civilement, la reconnaissance de paternité se fait automatiquement. Dans un couple non marié, le père doit aller à la mairie reconnaître l’enfant. Ce que propose le gouvernement actuel est de permettre le mariage pour un couple homosexuel SANS reconnaissance de paternité d’une part, le droit à l’adoption d’autre part. Dans le cas d’un couple féminin, il sera alors possible à la femme qui n’a pas porté l’enfant de l’adopter. Dans le cas d’un couple masculin, l’un d’entre eux devra reconnaître l’enfant à la mairie et le mariage civil facilitera les procédures d’adoption simple par l’autre. Françoise Dolto disait qu’un tout-petit peut avoir plusieurs papas et plusieurs mamans : pour lui une maman est celle qui lui procure des soins nourriciers, ce peut être sa mère biologique mais également une nourrice ou toute autre personne qui s’occupe de lui habituellement. Mais elle précisait aussi que si un enfant peut avoir plusieurs mamans (ou papas aujourd’hui), il ne peut avoir qu’un père et qu’une mère biologiques
(cliquer ici pour lire le texte de Françoise Dolto). Le projet du « mariage pour tous et de l’adoption » ménage cette différence : l’enfant né d’un couple homosexuel aura deux papas ou deux mamans mais il n’aura qu’un père et qu’une mère.

Actuellement l’autorité parentale dans un couple homosexuel est confiée à un seul parent. Si la loi sur « le mariage pour tous et l’adoption » est validée, l’autorité sur l’enfant des deux membres du couple sera conjointe, pour ceux qui auront mis en place une adoption simple
(1) . Si l’un des membres du couple décède l’autre aura toujours la garde de l’enfant. De même lorsqu’une hospitalisation ou une autorisation de sortie du territoire seront nécessaires, l’un ou l’autre des parents sera autorisé à la donner. L’autorité conjointe à l’intérieur d’un couple homosexuel nous semble constituer une sécurité pour l’enfant.

Des psychanalystes diront qu’il ne suffit pas à un enfant de savoir qu’il a père et mère. Il lui est essentiel, pour se construire, d’être éduqué par deux personnes de sexes différents. Les grandes religions rejettent également le mariage pour tous. Nous pouvons largement consentir à leurs arguments. Cependant nous ne voyons pas bien au nom de quoi ils pourraient imposer leurs points de vue à l’ensemble de la société : ils ne représenteront jamais qu’une position parmi d’autres qui, si elle n’est pas majoritairement approuvée, ne peut s’imposer. Or pour la majorité des Français aujourd’hui, il est difficile de reconnaître d’une part que l’homophobie doit être condamnée et d’autre part d’interdire à des couples homosexuels d’avoir toute leur place possible dans la société. Dans la mesure où le projet actuel permet à l’enfant d’avoir un père, une mère et de s’inscrire dans une filiation, le mariage pour tous et le droit à l’adoption ne remettent pas en cause la règle générale selon laquelle il faut un homme et une femme pour donner la vie à un enfant.

Dans la mesure où le mariage homosexuel se distingue du mariage hétérosexuel quant à la reconnaissance de paternité, ne serait-il pas plus clair qu’ils ne portent pas le même nom ? On pourrait ainsi distinguer trois manières différentes de vivre en couple et d’engendrer : le mariage civil pour les couples hétérosexuels, l’union libre avec reconnaissance de paternité en mairie, l’union civile avec droit à l’adoption pour des couples homosexuels.

L’Eglise catholique et le mariage pour tous

Les lois civiles doivent permettre une vie en société où la liberté des uns peut s’harmoniser avec celle des autres. Elles définissent ce qui est permis (donc possible) et ce qui est interdit. N’importe quelle loi trace une limite et, par le fait même, elle exclut ceux qui dévient. Selon nous, il n’en va pas ainsi de la loi de l’Evangile. Le jour où Jésus-Christ institue l’Eucharistie, il donne une loi nouvelle à ses amis : il leur commande de s’aimer les uns les autres comme lui, Jésus, les a aimés ; et il précise « qu’il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Dans l’Evangile, l’Amour fait loi et il est toujours don de soi à l’autre, cet autre fut-il un ennemi. Comme pour mieux faire entendre cette loi de l’Amour mutuel, Jésus – le Jeudi Saint – n’attend pas que Judas soit sorti pour donner la communion à ses apôtres : il la distribue à Pierre qui va le renier, aux autres qui sont sur le point de l’abandonner, à Judas qui va le trahir et à Jean qui le suivra jusqu’au pied de la croix. Tous sans aucune distinction de mérite ou de vertu reçoivent le pain et boivent à la coupe.

Nous croyons qu’aujourd’hui l’Eglise catholique doit demeurer enracinée dans cette tradition : selon nous, ni les homosexuels ni les divorcés remariés ne doivent être exclus de l’eucharistie. Le Corps du Christ demeure une parole vivante adressée à tout homme et à toute femme sans exception. C’est à chaque croyant de décider – non pas s’il est digne de communier – mais s’il est persuadé de n’en être pas digne : « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai guéri », dit-on avant de recevoir la communion. L’excommunication, à notre avis, doit être réservée à des circonstances très exceptionnelles. En 390, Saint Ambroise, évêque de Milan, a eu raison de refuser la communion à l’empereur Théodose après le massacre de Thessalonique ; il a eu raison de l’obliger à faire pénitence avant de le réintégrer dans l’Eglise. Dans le même esprit, la hiérarchie aurait pu excommunier des dictateurs en Amérique latine ou ceux qui pratiquaient la torture en Algérie. Elle ne l’a pas fait. On comprend mal qu’elle s’y autorise à l’égard de croyants qui, humblement, tentent de faire face aux aléas de l’existence. Certes, la hiérarchie dit qu’elle n’excommunie ni les divorcés remariés ni les homosexuels qui ont entre eux des relations charnelles. Elle leur interdit simplement l’accès à la communion tout en leur laissant, dit-elle, une place dans l’Eglise. Cet empêchement de communier qui ne serait pas une excommunication nous semble un point de vue très difficilement tenable.

S’il n’est qu’un seul commandement – celui du don de soi à l’autre quel qu’il soit – il n’en reste pas moins que l’Eglise, comme toute société, ne peut pas vivre sans lois faute de quoi elle sombrerait dans la confusion. Mais ces lois, prises dans le commandement nouveau, ont un statut différent de celles de l’Etat laïc : elles sont de l’ordre de la « re-commandation » au sens fort du terme. Ces recommandations ont à être prises au sérieux par les croyants. A notre avis, elles le seront d’autant plus qu’elles n’entraîneront aucun risque d’exclusion ou de marginalisation. Elles permettent de s’orienter ; cependant elles peuvent ne pas être applicables par tel ou tel individu, en fonction des circonstances actuelles de sa vie ou de son histoire. Nous croyons que c’est à chacun de juger du pas qu’il lui est possible de faire dans le sens de la vie. Dans la situation qui nous occupe – le mariage pour tous et l’adoption – la hiérarchie catholique (suivie par un grand nombre de chrétiens) rappelle que Dieu a créé, depuis l’origine, l’humanité homme et femme. La différence sexuelle permet d’en appeler l’un à l’autre : l’homme pas plus que la femme ne peuvent vivre ni donner la vie sans l’autre. Alors qu’aujourd’hui la science permet à une femme d’enfanter sans rencontre charnelle d’un homme, la hiérarchie catholique dit qu’il est « recommandé » de fonder la vie familiale et la vie sociale sur la différence sexuelle. Elle dit aussi que la vie est de l’ordre du don et non de la « marchandisation ». Pour les croyants, elle est don de Dieu : Dieu donne à l’homme et à la femme d’en appeler l’un à l’autre pour vivre et donner la vie. Telle est la source du mariage en christianisme. Il nous semble normal que la hiérarchie catholique maintienne cet éclairage et ces recommandations.

Jésus-Christ, dans l’Evangile, ne parle jamais de l’homosexualité. Peut-être avait-il… ses raisons… qui nous dépassent ! Toujours est-il que personne aujourd’hui ne connaît la cause de l’homosexualité, la hiérarchie pas davantage que les autres. Il nous paraîtrait, par conséquent, prudent de ne pas juger trop vite de ce que nous ignorons. Dans l’ignorance où nous sommes, n’est-il pas possible, sans changer la règle du mariage et de la filiation, de considérer que le mariage et l'adoption par des couples homosexuels sont l’exception qui confirme la règle ? En ce qui concerne les « mères porteuses », il nous paraît légitime que le magistère refuse qu’on puisse monnayer la naissance d’un enfant. Quant à la Procréation Médicalement Assistée, nous comprenons que le magitère la déconseille fortement pour les femmes seules. Nous comprenons aussi qu'il la déconseille pour les femmes qui vivent en couple homosexuel si cette situation ne pouvait étre considéréé, là encore, comme l'exception qui confirme la règle et permettait d'ouvrir à tous la PMA et la Gestation pour autrui. Nous comprenons également qu'il la déconseille vivement pour les couples hétérosexuels qui, sans raison médicale, considéreraient ce nouveau moyen d'avoir des enfants comme une option toujours possible. Cependant nous ne comprenons pas qu’il l’interdise aussi pour les couples hétérosexuels qui, sans le secours de la médecine, ne pourraient pas avoir d’enfants.

Nous croyons que la société se doit d’écouter la voix de l’Eglise comme elle se doit d’entendre l’expression de toutes les familles d’esprit ; ainsi l’exige une société démocratique. Nous croyons aussi que l'Eglise catholique a le droit d’exposer non seulement des raisons humaines pour défendre son point de vue mais aussi des raisons religieuses, en acceptant bien sûr d’exprimer ses convictions de manière fraternelle et sans les imposer. Nous croyons enfin que dans l’Eglise, un peu comme dans un couple, nous ne sommes pas les uns sans les autres : la hiérarchie n’est pas sans l’ensemble du peuple catholique. Quand le peuple ne suit pas, le magistère aurait peut-être intérêt à écouter davantage. C’est ainsi, à notre avis, qu’ensemble nous demeurerions dans la vérité. Car la vérité chrétienne sera toujours Autre que ce qu’on peut concevoir tout seul, Autre que ce que l’on peut imaginer comme préférable pour soi-même ou pour les autres. La vérité chrétienne, n’est autre que l’Amour qui se traduit en écoute mutuelle au nom de l’Autre. Elle ne peut se présenter qu’humblement et pauvrement et ne pourra jamais se réduire à des instructions, des dogmes ou des recommandations… Telle est, selon nous, la Bonne-Nouvelle de Jésus-Christ, Fils de l’Homme et Fils de Dieu.

Nicodème
Peinture de Soeur Marie-Boniface

1- Nous ne parlons pas, dans cet article, de l'adoption plénière : elle serait - comme l'adoption simple - facilitée par le mariage. / Retour au texte