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L'organisation de l'Eglise des premiers siècles :
des pistes de réflexion pour aujourd'hui ?

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Résumé de la conférence de Michel Poirier,
Association oecuménique de la Région de Bourg-la-Reine,
printemps 2008

Il est instructif de voir comment fonctionnait l'Eglise au temps où elle était encore indivise, avant le milieu du 5ème siècle. C'est aussi vers la fin du 4ème siècle que le canon des Ecritures a été fixé.
Pour approfondir la question, on peut aussi consulter :
- La conférence de Michel Poirier (octobre 2010) :
Qu'est-ce qu'un prêtre chrétien ? Ce que nous disent les premiers siècles du christianisme.
- L'article de Paul Tihon (jésuite) : Sur la présidence de l'Eucharistie, laisser ouvert ce qui ne doit pas être fermé.

La situation au milieu du 3ème siècle :

On est bien documenté par les écrits de Cyprien, évêque de Carthage, qui a été éloigné de son Eglise lors d'une persécution et a correspondu avec elle abondamment. Il a aussi correspondu avec l'Eglise de Rome, et d'autres. N'étaient évoqués dans ces correspondances que les points qui posaient problème et pas ceux sur lesquels tout le monde était d'accord, il ne s'agit donc pas d'écrits pour la postérité et on n'y trouve pas toutes les réponses aux questions qu'on se pose.

L'Eglise locale correspondait à la cité (une ville ou une bourgade et la campagne qui s'y rattache) et s'y était adaptée : même périmètre, même organisation, même vocabulaire. L'Eglise de chaque cité était l'Eglise en plénitude ("catholique"). L'assemblée était convoquée le premier jour de la semaine pour lire les Ecritures et célébrer la grande prière d'action de grâces ("eucharistie"), elle était présidée par l'évêque entouré de prêtres. Il y avait déjà une organisation structurée avec des rôles différents : diacres, lecteurs, émissaires divers. De l'argent était récolté pour les pauvres mais aussi pour rémunérer un clergé permanent. Lorsque l'évêque était absent, le collectif des prêtres et diacres le remplaçait. Lorsqu'il était mort, le successeur était choisi par l'assemblée qui se réunissait en présence des évêques voisins. Les clercs donnaient leur avis, le peuple exprimait son suffrage et les évêques voisins donnaient leur accord, suivi de l'imposition des mains, et ces trois "voix" semblent avoir été aussi importantes les unes que les autres. La plupart des autres décisions étaient prises dans l'assemblée présidée par l'évêque ou après avis de l'assemblée, mais l'évêque pouvait aussi prendre des décisions urgentes seul quand c'était nécessaire. On ne sait pas très bien comment étaient choisis les prêtres, mais Cyprien demandait son avis à l'assemblée.

Les différentes Eglises constituaient un réseau, les évêques étaient en lien par la correspondance, et ceux d'une même province se réunissaient tous les ans, sous la présidence d'un des évêques, celui de Carthage pour l'Afrique du Nord par exemple. L'évêque de Rome n'avait pas de statut particulier reconnu universellement, chaque évêque organisant la vie de son Eglise sous sa propre responsabilité, tout en essayant de coordonner ses vues avec celles de ses confrères. Il se dessine assurément une préséance de l'Eglise de Rome, cela n'implique pas à cette époque que son évêque ait un pouvoir sur les autres évêques et leurs communautés, même si tel ou tel pape (Etienne par exemple vers 256) a voulu imposer ses vues partout.

Des questions que nous pouvons nous poser aujourd'hui sont sans réponse précise. Par exemple, les prêtres étaient-ils mariés ? Il y a eu des prêtres et des évêques mariés, et il y a eu aussi dès le début, chez les laïcs aussi, des gens qui ont choisi de vivre dans un célibat pour Dieu.

Quelle a été l'évolution au cours des premiers siècles ?

Dans le Nouveau Testament seul le Christ est prêtre, en grec hiereus, "spécialiste du sacré" ; un chrétien individuel, même un responsable, n'est jamais prêtre. Par contre, collectivement, les chrétiens sont une nation sainte, un peuple de prêtres (sacerdoce universel). Après les Douze apôtres, les responsabilités sont transmises dans les Eglises à des groupes d'"anciens", presbuteroi, qu'on appelle aussi episcopoi (littéralement : ceux qui veillent sur la communauté, à la fois protecteurs et inspecteurs). Clément de Rome, par exemple, troisième pape des listes élaborées plus tard, se présente simplement comme un presbuteros, même s'il semble avoir une position de leader parmi les presbuteroi romains (fin du 1er siècle). C'est seulement au second siècle que se dégage, à des moments divers selon les Eglises, la prééminence d'un seul, et seul désormais à être appelé episcopos, évêque, au sein du collège des presbuteroi, des prêtres. Mais ni aux prêtres ni aux évêques n'est encore appliqué un vocabulaire sacré, sacerdotal (hiereus en grec, sacerdos en latin).

Au 3ème siècle ce vocabulaire s'applique désormais aux évêques. Cette évolution s'est-elle produite parce que, les sacrifices juifs ayant disparu depuis la destruction du Temple, on ne sent plus la nécessité de refuser un vocabulaire qui concernait les prêtres du judaïsme ? Parce que lors de l'assemblée l'évêque prononçait seul au nom de l'Eglise la grande prière "sacerdotale" sur le pain et le vin ? La réponse n'est pas assurée. Et au tournant des 4ème et 5ème siècles, peut-être parce que de plus en plus de simples prêtres envoyés par leurs évêques officient auprès de communautés rurales ou banlieusardes (nos futures paroisses), ce vocabulaire s'étend à eux. Il y a eu en tout cas au cours des premiers siècles une "resacerdotalisation" des ministères, qui a été bien plus tard rejetée par la Réforme, et qui est probablement le point le plus délicat des débats oecuméniques sur les ministères.



Peinture de Abdelkader Guermaz