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Soins palliatifs, loi Leonetti, euthanasie :
de quoi parle-t-on exactement ?
Monique Couturier

Tout le monde parle de la loi Leonetti et des soins palliatifs mais rares sont ceux qui savent vraiment de quoi il s'agit. Monique Couturier est pharmacien en milieu hospitalier. Depuis 1984, elle suit l'évolution de la politique de santé en matière de soins palliatifs. Elle a participé à la formation de professionnels, d'infirmiers et de bénévoles. Elle écrit : " La loi Leonetti a un défaut majeur, celui de n'être pas connue " ! Nous lui avons demandé de nous éclairer.

Annexes :
Textes officiels : circulaires, lois et décrets d'application

(0) Commentaires et débats

Des membres de l'équipe " Dieu maintenant " m’ont demandé de livrer mon expérience dans le domaine des soins palliatifs. Je ne la crois pas originale, mais m’étant beaucoup investie dans ce champ, j’ai accepté.

Mon intérêt pour les soins palliatifs est ancien et s’est concrétisé en 1984, date à laquelle j’ai lu par hasard, un article de Patrick Verspieren, jésuite, dans le Figaro. Il dénonçait les pratiques de certaines cliniques parisiennes qui consistaient à administrer le vendredi un « cocktail lytique » aux patients en fin de vie, afin de libérer des lits pour le lundi. Scandale ! Plusieurs années après, il m’a raconté les réactions violentes des médecins face aux infirmières qui approuvaient la teneur de l’article.

Par la suite, au début de ma carrière de pharmacien hospitalier, j’ai rencontré ces pratiques du cocktail lytique, appelé pudiquement DLP, initiales des 3 médicaments qui le composaient. J’ai entendu les souffrances des infirmières qui exécutaient les prescriptions des médecins contre leur propre volonté. C’était il y a 30 ans….

Un peu d’histoire

De Jeanne Garnier (1842) aux engagements du Docteur Abiven

Le mouvement des soins palliatifs était initialement le mouvement des hospices avec notamment Jeanne Garnier en France en 1842 et Cicely Saunders en Angleterre en 1967.

Au Canada, c’est Balfour Mount qui, en 1975, a créé le vocable « palliative care » dont la transposition française « soins palliatifs » ne traduit pas la dimension du « care » anglo-saxon. L’intérêt pour ces soins spécifiques s’est développé en France avec quelques pionniers et la création d’associations de bénévoles-accompagnants.

En février 1985, un groupe de travail « Aide aux mourants » a été chargé par le ministère des affaires sociales et de l’emploi de réfléchir sur les conditions de fin de vie et de proposer des mesures concrètes pour améliorer l’accompagnement des mourants. Il a abouti à la circulaire « Laroque », du 22 août 1986, relative à l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale.

Cette circulaire, arrivée au mois d’août, a trouvé peu d’écho auprès des professionnels ; mais, dans son prolongement, la première unité de soins palliatifs s’est ouverte, avec le Dr Abiven, à l’Hôpital de la Cité universitaire à Paris.

Une succession de textes

L’impulsion était donnée, les textes se sont succédé : la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, suivie en février 2002 par une circulaire en application de cette loi. En mars 2002, la loi dite Kouchner, relative aux droits des malades et à la qualité des soins, introduit la notion de personne de confiance (cf annexes).

Un programme national 2002-2005 de développement des soins palliatifs à domicile et en établissement de santé est élaboré ; puis en 2004, un guide de bonnes pratiques d’une démarche palliative en établissement. Le 22 avril 2005, la loi - dite Leonetti - relative aux droits des malades et à la fin de vie est promulguée.

Le 25 mars 2008, une circulaire relative à l’organisation des soins palliatifs en précise les orientations ; elle est fondée sur le développement de la démarche palliative.

Mon engagement personnel

Cette longue liste de textes (cf annexes), non exhaustive, montre l’évolution de notre politique de santé en matière de soins palliatifs. Depuis 1984, j’ai suivi cette évolution en m’impliquant dans différentes structures.

Au cours de ces années, j’ai organisé des formations dans le domaine de la douleur pour des soignants hospitaliers et libéraux. Dans l’hôpital où j’exerçais, il n’y avait pas de formation en soins palliatifs, aussi j’ai profité de ces formations pour glisser une « initiation » pour les professionnels et les élèves-infirmiers. Conjointement, j’ai formé des bénévoles à l’accompagnement et organisé des conférences grand-public.

Ce qui m’a marquée le plus, c’est la méconnaissance du sujet, l’impact des médias et le poids des histoires personnelles ; cela est encore plus vrai aujourd’hui avec le débat en cours. Mon objectif a alors été d’informer, d’expliquer avec des mots simples, des exemples quelquefois réducteurs, ce que proposaient les soins palliatifs et l’organisation qui était possible pour aider les patients et leur entourage.

Définition des soins palliatifs
de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP)

1- Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive ou terminale.
Ivan Krakowski précise que « la période dite palliative est de durée très variable, pouvant aller jusqu’à plusieurs années. Elle correspond à une diminution des traitements spécifiques curatifs de la maladie, mais la prise en compte des symptômes physiques, de la souffrance morale et des problèmes sociaux, doit être permanente tout au long de la maladie. »
En France, il est difficile de faire passer cette notion de durée : les soins palliatifs sont assimilés à des soins terminaux et lorsqu’un malade est « en soins palliatifs », c’est qu’il est en fin de vie avec une mort imminente.


2- Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle.
Les médicaments, lorsqu’ils sont bien utilisés, peuvent soulager la douleur physique, mais le soulagement de la « souffrance totale » telle que définie par Cicely Saunders passe par des intervenants divers, soignants, assistante sociale, ministre du culte, etc.

3- Les soins palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile et en institution.
Andrée Gauvin, de Montréal, a défini des « accompagnants naturels », famille, amis, voisins... des « accompagnants professionnels », médecins, infirmiers, aide-ménagères… et des « accompagnants-bénévoles » bénévoles d’associations de soins palliatifs ou autres.

4- Les soins palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un vivant et la mort comme un processus naturel.
Le malade est vivant jusqu’au bout : il est souvent difficile de rappeler cette réalité à un entourage épuisé et inquiet. Il est là ; vous pouvez lui parler, le toucher ou simplement être près de lui en silence. Après, ce ne sera plus possible.

5- Ceux qui les dispensent cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables.
Se poser, en équipe si possible, la question du bien fondé d’un enième examen au regard de l’inconfort qu’il apportera au malade, relève d’une démarche palliative.
Les traitements déraisonnables - pour ne pas dire "acharnement thérapeutique" - consistent « à utiliser tous les moyens médicaux dont on peut disposer pour maintenir une personne en vie ». Les progrès de la science et la possibilité d’un long maintien artificiel de la vie soulèvent des questions qui n’étaient pas envisagées il y a quelques décennies.

6- Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort.
Donner intentionnellement la mort est un acte d’euthanasie défini ainsi par René Schaerer : « L’euthanasie consiste à administrer volontairement à un malade, à un handicapé ou à un blessé incurables, dans le but d’abréger la durée de leur souffrance, une drogue ou un produit toxique qui met rapidement fin à la vie ». Chaque mot de cette définition compte et est d’une constante actualité amplifiée, et déformée, par les médias insidieusement favorables à cette pratique.

Commentaires

Créée en 2003, à la suite notamment de la très médiatisée affaire Vincent Humbert, la Mission d’information sur l’accompagnement de la fin de la vie a procédé à 81 auditions. Ce long travail de concertation a abouti à la Loi du 22 avril 2005, dite Loi Leonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie. Fait exceptionnel, elle a été votée à l’unanimité.

Cette loi - avec les décrets d'application qui l'ont suivie - a un défaut majeur : elle n’est pas connue. L’observatoire national de fin de vie, a été créé en 2010, pour répondre à ce constat et pour colliger des données objectives destinées à éclairer les choix publics autour des problématiques liées à la fin de vie.

Or, c’est l’actualité qui comme toujours prend le devant de la scène : l’actuelle « affaire Vincent Lambert » pointe les conséquences de cette méconnaissance. Le patient n’a pas écrit de directives anticipées (qui le fait à 30 ans ?) ni désigné de personne de confiance et son désir de ne pas subir un acharnement thérapeutique, transmis par une partie de sa famille, n’a pas été pris en compte par le tribunal administratif : le médecin doit poursuivre la nutrition artificielle et l’hydratation. Le tribunal a estimé que le cas sortait du champ d’application de la loi, ce que conteste Jean Leonetti, qui rappelle qu’on peut interrompre ou ne pas mettre en oeuvre les traitements qui apparaissent comme inutiles ou disproportionnés et dont le seul but est le maintien artificiel de la vie.

Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie, redoute un retour en arrière si cette décision fait jurisprudence (écouter le reportage de France 3 Champagne du 17 janvier 2014).

Il est certain que cette loi est perfectible, Jean Leonetti l’a dit dès sa promulgation, mais c’est une base solide qui est saluée par de nombreux observateurs. Des précisions doivent lui être apportées pour répondre à des cas particuliers, dans le cadre d’un débat serein et dépassionné. Mais comme l’écrit Dominique Quinio dans La Croix : « La loi ne suffit pas à régler le dilemme moral posé par chaque histoire singulière. Il est illusoire de croire qu'une loi autorisant le suicide assisté ou l'euthanasie serait la réponse aux questions que nous pose la mort ».

Monique Couturier
Peintures de Abdelkader Guermaz



Annexes :
Textes officiels : circulaires, lois et décrets d'application

1- Loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions.

Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au malade de désigner une personne de confiance. Cette désignation est valable pour la durée de l'hospitalisation, à moins que le malade n'en dispose autrement.

Malgré les efforts de communication, cette notion de personne de confiance est mal comprise et comme la désignation est facultative, cela aboutit le plus souvent à une absence de déclaration.

2- Loi du 22 avril 2005, dite Loi Leonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie

Toute personne a le droit de recevoir les soins les plus appropriés.
Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.
Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable.
Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure sa qualité de vie en dispensant les soins les plus appropriés.

3- Décret du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées

Les directives anticipées sont un document écrit, daté et signé par leur auteur, dûment identifié par l’indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance.
Lorsque l’auteur de ces directives, bien qu’en état d’exprimer sa volonté, est dans l’impossibilité d’écrire et de signer le document, il peut demander à deux témoins, dont la personne de confiance, d’attester que le document qu’il n’a pu rédiger lui-même est l’expression de sa volonté.
Les directives anticipées peuvent, à tout moment, être soit modifiées partiellement ou totalement, soit révoquées sans formalité.
Leur durée de validité de 3 ans est renouvelable par simple décision de confirmation.
Elles sont conservées dans le dossier de la personne constitué par un médecin de ville, ou en cas d’hospitalisation dans le dossier médical.

Elles peuvent être conservées par leur auteur ou la personne de confiance, ou un membre de la famille ou un proche.
Lorsqu’il envisage de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement, et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession, le médecin s'enquiert de l’existence éventuelles de celles-ci auprès de la personne de confiance, si elle est désignée, de la famille, ou à défaut, des proches ou le cas échéant, auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui la lui a adressée.

4- Décret du 6 février 2006 relatif à la procédure collégiale

En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement.
Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.
Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre une procédure collégiale dans les conditions suivantes :
La décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins, si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant.
La décision prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de sa famille ou à défaut, celui d’un de ses proches.

5- Circulaire du 2 mars 2006 relative au droit des personnes hospitalisées

Cette circulaire précise qu’un acte médical ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient

" En fin de vie, (c’est à dire lorsque la personne se trouve en phase avancée ou terminale d’une affection grave ou incurable), dès que la personne dûment informée des conséquences de son choix et apte à exprimer sa volonté, fait valoir sa décision de limiter ou d’arrêter les traitements, celle-ci s’impose au médecin. "

6- Circulaire du 25 mars 2008 relative à l'organisation des soins palliatifs

Cette circulaire émet le constat que le maillage de l’offre en soins palliatifs reste inégal d'une région à l'autre alors que l’accès de tous aux soins palliatifs est un enjeu majeur. La politique actuelle de soins palliatifs repose en tout premier lieu sur le développement de la démarche palliative.

" La démarche palliative consiste à asseoir et développer les soins palliatifs dans tous les établissements, les services, de même qu'à domicile, en facilitant la prise en charge des patients en fin de vie et de l’accompagnement de leurs proches. Elle s’appuie sur la participation des équipes soignantes, dans une démarche de soutien et de formation."

Les soins palliatifs, contrairement aux idées reçues, ne se pratiquent pas que dans les unités de soins palliatifs (USP) dont la vocation est d’accueillir des patients en situations complexes, mais aussi dans tous les services de soins et à domicile. Les statistiques montrent que la majorité des décès a lieu à l’hôpital, alors que le souhait des malades est le plus souvent de mourir « à la maison ». Si l’entourage le souhaite également et en a la possibilité, une organisation des soins permet de rester à domicile jusqu’à la fin de la vie.

" Les éléments constitutifs de la démarche palliative sont les suivants : évaluation des besoins et mise en œuvre de projets de soins personnalisés ; réalisation d’un projet de prise en charge des patients et des proches ; mise en place de réunions pluri-professionnelles de discussions de cas de malades ; soutien des soignants en particulier en situation de crise ; mise en place de formations multidisciplinaires et pluri-professionnelles au sein des unités de soins."

" Ils doivent permettre de mieux assurer les missions de : soulagement de la douleur et des autres symptômes ; prise en charge de la souffrance psychique ; soutien de l'entourage ; sauvegarde de la dignité ; à cet égard, une attention particulière est portée aux données relatives au patient en lien avec les droits des patients en fin de vie." (Lois du 4 mars 2002 et 22 avril 2005).