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L'extrême fragilité des migrants dans la pandémie
Joseph Ziade

Joseph Ziade, membre de l'équipe animatrice de "Dieu maintenant", est relais local sur Saint Germain en Laye et ses environs (Yvelines) d'une association d'accueil des migrants : JRS FRANCE (Jesuit Refugee Service). Nous lui avons demandé de nous faire part de leur situation actuelle. Il nous envoie cet e-mail dans lequel il décrit leur grande vulnérabilité.

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La pandémie impacte particulièrement les personnes sans abri, et singulièrement les migrants. Vulnérables, ils le sont devenus encore plus, fragilisés matériellement et psychologiquement depuis le début de cette crise. Notre association JRS France www.jrsfrance.org a été contrainte de fermer tous ses lieux recevant du public. Les permanences et les activités en présentiel comme l’aide juridique, l’aide à l’intégration, ou les cours de français… ont été suspendues. Quelques services ont continué à fonctionner mais souvent au ralenti. Enfin JRS a continué son action de plaidoyer seul ou avec ses partenaires, interpellant nos dirigeants à agir dans l’urgence: lire à ce propos la saisine cosignée par 92 associations. Elle fait état que les personnes vivant à la rue, dans des squats ou des bidonvilles ne bénéficient pas pleinement des mesures de prévention du Covid-19 etc...

Sur le terrain, à cause des règles imposées par le confinement, notre activité touchant à l’hébergement temporaire de demandeurs d’asile et de réfugiés (programme JRS Welcome) n’a pas ralenti, bien au contraire : nous avons été confrontés à quelques difficultés pour maintenir la continuité des « chaînes d’accueil » et éviter de remettre des personnes à la rue. Pourquoi ?

Pour mémoire, lorsque un demandeur se voit offrir un hébergement temporaire JRS Welcome, c’est pour une durée d’environ 9 mois. Cette durée correspond en général au temps nécessaire à l’OFPRA de décider de lui accorder, ou pas, la protection de la France. Le principe est que l’accueil dans une famille donnée ne doit durer que 4 à 6 semaines (à l’occasion je pourrais expliquer la logique et la pertinence de ce dispositif, mais c’est très bien expliqué sur le site JRS). Nous construisons donc pour chaque demandeur entrant, ce que j’ai appelé « une chaîne d’accueil », constituée des familles qui l’accueilleront à tour de rôle un mois ou 6 semaines, pour arriver à 9 mois au total.

Le problème dans le contexte actuel, avec les consignes interdisant les déplacements non indispensables, c’est que nous n’étions plus dans la possibilité de gérer les transferts des demandeurs d’asile d’une famille à l’autre. En aval les familles qui devaient recevoir se retrouvaient sans personne à accueillir, et en amont les familles qui hébergeaient déjà une personne pour une petite période, devaient décider (sans véritable choix, et quand c’était matériellement possible) de prolonger leur hospitalité pour une durée indéterminée ! Parfois l’espace d’accueil n’était plus disponible, quand par exemple les parents ont vu débarquer leurs enfants étudiants, qui avaient laissé leur chambre à la personne accueillie… Je passe sur les difficultés supplémentaires quand une personne était malade.

Sans craindre de paraître trop naïf, je suis frappé par l’immense générosité de ce réseau d’accueillants bénévoles. Je suis témoin d’une belle solidarité qui a permis de solutionner quasiment tous les cas où ce type de problème s’est posé. Il reste qu’à l’heure où je vous écris l’effort de tous est demandé pour un mois supplémentaire… Est-ce que ces familles tiendront jusque-là ?

Je ne peux pas m’empêcher de terminer cet e-mail sans vous part de ma frustration. Certes les bénévoles sont là, toujours présents, mobilisés plus que jamais. Mais il faut le rappeler, la situation des demandeurs d’asile en France ne s’améliore pas, loin de là. Certes leur nombre continue de croître et cela est souvent brandi comme une excuse, mais notre société témoigne d’un manque de volonté à s’organiser, d’une défiance persistante et de la permanence de théories – complot, appel d’air, grand remplacement - justifiant de déclasser hommes, femmes, enfants, sous le prétexte de leur nationalité.

Je formule le vœux (le rêve ?) de voir cette situation évoluer significativement après la sortie de crise. A l’heure où nous réfléchirons sur « le monde d’après » il faudra revoir fondamentalement notre politique d’accueil et d’intégration, saisir positivement la chance qui nous est offerte par ce migrant, cet autre, si différent mais si plein de ressources.

Bien fraternellement,

Joseph,
le 14 mars 2020


Peinture de Dominik Doulain