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Les frontières de la promesse
Christine Fontaine

Que l'on considère l’héritage d’Abraham dans son aspect matériel (une terre) ou dans son aspect spirituel (le père des trois religions monthéistes), l'histoire nous a montré combien il était difficile de partager. Combien de guerres au Nom du Dieu d'Abraham ont décimé la terre et continuent de le faire ? Combien de conflits ont éclaté parce que chaque « héritier », même s'il accepte que d'autres se reconnaissent aussi de cette lignée, refuse de ne pas être le meilleur, le plus fidèle ou le premier ? Cependant, l’histoire d’Abraham devrait nous apprendre que l'ouverture à l'Autre permet de rencontrer la multitude, par-delà les limites d’un territoire ou d’une religion.

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Une double promesse

Alors qu'Abram venait d'atteindre le pays de Canaan, « Yahvé lui apparut et dit : 'C'est à ta postérité que je donnerai ce pays'. » (Gn 12,7) La promesse faite à Abram est double : une terre et une descendance, ou plutôt une descendance à qui sera donné un pays aux limites bien fixées. Tout au long du livre de la Genèse, Yahvé renouvellera plusieurs fois cette promesse. Il précisera chaque fois les frontières de la terre : elles correspondent à ce qu'Abraham peut parcourir du regard à partir du lieu où il se trouve (Gn 13,15) ou dont Yahvé lui-même fixe les limites géographiques (Gn 15, 18-21). Quant à la postérité, Dieu en comparera le nombre à celui de la poussière du sol (Gn 13, 15b), des étoiles dans le ciel (Gn 15,) ou du sable « sur les lèvres de la mer » (Gn, 22,17 - traduction Chouraqui) ; dans tous les cas, Yahvé promet à Abraham une descendance si nombreuse que nul ne pourra jamais la calculer.

On peut comprendre que Dieu donne une terre bien délimitée par des frontières à un peuple qui descend d'Abraham. On peut aussi imaginer que Dieu puisse donner une postérité innombrable à Abraham. Mais on ne peut vraiment ni imaginer ni concevoir que Yahvé donne les deux à la fois : un territoire limité, et même très petit, à une population si importante qu'on ne peut la compter. Ça ne tient pas. Lorsqu'on s'est mis d'accord sur les limites d'un territoire, on peut toujours le recenser. C'est ainsi que l'on peut faire le total des blancs ou des noirs, des jeunes ou des vieux, des habitants d'un pays ou de ceux de la terre entière. Pourquoi ne pourrait-on compter les héritiers d'Abraham s'ils vivent dans les frontières que leur a données Yahvé ? Serait-ce parce que cette population est immense ? Mais comment l'immense pourrait vivre dans un territoire mesuré ?

Un héritage difficile à partager !

Abraham ne semble pas s'être posé cette question mais, après tout, c'est de son vivant que Yahvé lui a fait cette promesse et les questions d'héritage ne se posent qu'à la mort du parent. Et elles se posent pour ceux qui aujourd'hui se reconnaissent héritiers d'Abraham. Elles n'ont même jamais cessé de faire problème tout au long de l'histoire. Que l'on considère cet héritage dans son aspect matériel (une terre) ou dans son aspect spirituel (une révélation ou la révélation de la Vérité), l'histoire nous a montré combien il était difficile de partager. Combien de guerres au Nom du Dieu d'Abraham ont décimé la terre et continuent de le faire ? Combien de conflits ont éclaté parce que chaque « héritier », même s'il accepte que d'autres se reconnaissent aussi de cette lignée, refuse de ne pas être le meilleur, le plus fidèle ou le premier ? On veut toute la part, ou au moins la meilleure part. Imaginons un notaire à qui on a confié une succession. Il connaît la valeur du capital du défunt et demande combien de parts il doit faire. Si les héritiers lui répondent que leur nombre est incalculable, le notaire déclarera forfait. Cette double promesse faite à Abraham nous contraint à envisager son héritage autrement.

Qui sont donc les héritiers d'Abraham et quel est cet héritage à partager ? Pour tenter de le saisir, peut-être faut-il en revenir aux circonstances dans lesquelles Yahvé fit cette promesse. La première fois, Abraham, sur la parole de Yahvé, vient de quitter son pays et sa parenté et il arrive - toujours guidé par Yahvé - en Canaan ; alors Dieu lui dit : « C'est à ta postérité que je donnerai ce pays » (Gn 12). Une autre fois, c'est à la suite d'un litige sur la répartition des terres entre Abraham et Loth, son neveu (Gn 13). Yahvé renouvela encore sa promesse juste après le sacrifice d'Isaac : parce qu'Abraham a obéi à Dieu, parce qu'il ne lui a pas refusé son fils, son unique, sa postérité sera aussi nombreuse que les étoiles du ciel ou que le sable sur les lèvres de la mer (Gn 22).

Pas sans l'Autre !

La première et la dernière fois, la promesse accompagne la foi d'Abraham : « Puisque tu m'as cru, je te donne une postérité immense et ces quelques arpents de la terre que tu vois. » Si la promesse est ainsi inséparable de la foi, alors des perspectives nouvelles peuvent s'ouvrir. En effet, par la foi, Abraham se laisse dépayser ; il s'ouvre sur Autre que tout ce qu'il connaît déjà, Autre que tout ce qu'il pourrait imaginer par lui-même. Il vit, sur cette terre, en alliance avec Autre que tout ce qui est terrestre puisque rien de ce qui est terrestre ne peut être appelé « Dieu ».

Par la foi qui lie Abraham et Yahvé, une ouverture s'opère dans ce monde bien connu et clôturé par des frontières. Par la foi, l'un s'ouvre à l'Autre. Abraham est bien ce personnage singulier qui, comme chacun, ne se confond avec aucun autre. Il a un corps qui lui permet de vivre sur cette terre et de se distinguer des autres dans un espace et dans un temps que l'on peut décrire. Il est lui-même et pas un autre. Il est un puisqu'enclos dans les frontières de son corps de chair. Sans cette clôture il n'y aurait pas de vie possible. Abraham n'est personne d'autre mais, par la foi, il n'est pas sans l'Autre. Autrement dit sa vie échappe à tout ce qu'il connaît déjà du monde qui l'entoure et de lui-même. Il s'échappe à lui-même.

Convenons d'appeler « foi » cette échappée du même dans l'Autre, cette ouverture du même et de l'Autre. Par la foi, l'un ne va pas sans l'Autre. La postérité d'Abraham concerne l'humanité entière là où elle est travaillée par l'Autre. De cette rencontre jaillit la vie, une vie qui ne peut pas avoir de fin puisque Dieu est Dieu et qu'il y aura toujours de l'Autre pour nous sortir de nous-mêmes. Poser une fin serait en revenir à une victoire de la clôture sur l'ouverture, de l'un sans Autre. Alors on peut pressentir que la descendance d'Abraham est immense puisqu'elle s'incarne en chacun, là où il s'échappe à lui-même et où il se reçoit de l'Autre, sans fin.

On pourrait dire encore autrement que Dieu est l'Un. Mais, puisqu'il est Dieu cette « Unité » nous échappera toujours : l'Un n'est pas sans l'Autre. Dire Dieu c'est dire le lien de l'Un à l'Autre. Vivre dans la foi consiste à tendre vers l'Unité sans jamais la rejoindre puisqu'elle n'ira jamais sans Autre. Cette tension inscrit le manque au coeur de l'humanité. Ce manque est heureux : il permet de s'ouvrir et par là de continuer à recevoir la vie sans fin. La recevoir sans jamais la posséder comme on posséderait une terre, un capital ou un bien. Par la foi, ce qui enferme l'humanité dans les limites du chiffrable ou du connaissable éclate. On comprend alors la portée de la promesse faite par Dieu à Abraham.

La question des frontières

Il s'agit bien de vivre à l'intérieur de limites, qu’elles soient celles de son propre corps, d'un pays ou d'une religion. Sans limites on sombre dans « l'illimité » c'est-à-dire dans la confusion ou le tohu-bohu d'avant la création. On tombe dans la folie ou la mort. Les frontières permettent de ne pas se confondre : je ne suis pas toi et je ne suis pas Dieu. Les limites définissent aussi un territoire : parmi les descendants d'Abraham, les juifs ne sont pas comme les musulmans ou comme les chrétiens. Ces frontières sont nécessaires mais elles ne suffisent pas pour qu'une postérité soit accordée à Abraham. Il y faut aussi l'ouverture à l'Autre. C'est ainsi que les descendants d'Abraham ne peuvent pas ne pas dire : je ne suis pas toi mais pas sans toi, je ne suis pas Dieu mais pas sans Dieu.

A l'intérieur de ces limites, les descendants d'Abraham sont innombrables puisqu'ils ne peuvent se laisser enfermer dans des frontières sans se renier. L'Autre au nom de qui ils vivent ne peut se laisser enclore. Il leur manquera toujours et ce manque est heureux puisqu'il relance sans cesse le désir de l'Autre, le désir des autres autrement dit le désir de vivre ensemble au Nom de l'Autre.

L'ouverture à l'Autre, qu'à la suite d'Abraham nous appelons Yahvé, opère l'ouverture aux autres. Et c'est bien ce qui se passe dans l'histoire d'Abraham. Lorsque survint un conflit entre son neveu Loth et lui à propos du partage de la terre, il dit à Loth : « Qu'il n'y ait pas de discorde entre moi et toi, entre mes pâtres et les tiens car nous sommes des frères ! Tout le pays n'est-il pas devant toi ? Sépare-toi de moi. Si tu prends à gauche j'irai à droite, si tu prends à droite j'irai à gauche. » Abraham fait place à l'autre, au nom de l'Autre. Il se sépare de Loth pour lui demeurer lié dans l'avenir. Cette ouverture est vraiment une bénédiction pour tous les clans de la terre : Yahvé dit à Abraham : « Par ta postérité se béniront toutes les nations, parce que tu m'as obéi. » (Gn 22,18). Une descendance innombrable va toujours avec un petit pays !

« Ta postérité conquerra les places fortes de ses ennemis », promet encore Yahvé. Parler ainsi c'est pousser Abraham à reconnaître qu'il y aura un combat à mener contre la mort. Des « places fortes » se dresseront pour tenter d'empêcher le jaillissement de la vie. L'histoire a prouvé qu'il en allait bien ainsi. Qu'une branche de la famille d'Abraham prétende posséder son héritage mieux que les autres, ou contre les autres, et la mort se propage. On tue l'autre au nom de l'Autre. La rencontre des autres religions, au lieu de demeurer une chance de sortir de soi-même, devient un danger dont il faut se prémunir en dressant des places fortes, celles de nos dogmes et de nos certitudes. Alors surviennent des guerres d'autant plus redoutables qu'elle se font toujours « au Nom de Dieu ».

Ouverture ou relativisme ?

Mais peut-on appartenir à une religion sans croire que c'est la bonne - c'est à dire la meilleure - et que les autres, au moins sur certains points, se trompent ? Comment faire place aux autres sans sombrer dans le relativisme ou l'indifférenciation ? Dans le dialogue islamo chrétien, les partenaires éprouvent cette contradiction quotidiennement dans leur propre chair.

Moi, chrétienne, je ne peux pas ne pas croire que c'est par Jésus-Christ que tous les hommes sont sauvés, y compris les musulmans. Je peux certes ajouter que les musulmans, bien que n'ayant pas la foi en Jésus-Christ, ont des « valeurs » à nous apporter par exemple un sens plus grand que les chrétiens de la transcendance de Dieu. Mais, en vérité, je ne suis pas sûre d'avoir besoin des musulmans pour avoir le sens de la transcendance. Ma propre religion me suffit ; d'autant que leur sens de la grandeur de Dieu remet en cause le Mystère de l'Incarnation du Verbe auquel je crois. Moi catholique, je ne peux pas ne pas croire que Jésus-Christ est Fils de Dieu et que la révélation est achevée avec Lui. Je connais ces dernières paroles de la Bible : « Je l'atteste, moi, à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre : Si quelqu'un y ajoute, Dieu lui ajoutera les plaies décrites dans ce livre ; si quelqu'un retranche... Dieu lui retranchera sa part de l'arbre de vie » (Apocalypse 22,18-19). Or les musulmans ont au moins ajouté Mohammed à Jésus-Christ, le Coran à la Bible. Comment demeurer fidèle à ma propre foi sans penser - même si je ne le leur dis pas - qu'ils se trompent ? Les frontières de ma propre religion me permettent une certaine ouverture sur l'autre. Mais elles ne me permettent pas d'accueillir la religion de l'autre à part entière. Ces frontières, auxquelles je ne peux renoncer sans me renier, ne me permettent pas d'accueillir l'autre, là précisément où il est vraiment autre, c'est-à-dire dans sa propre particularité religieuse.

Toi, Mohammed ou Saad, je te connais assez aujourd'hui pour savoir que tu es pris dans un système de pensée analogue au mien. Tu ne peux pas ne pas croire que c'est le Coran qui achève la Révélation et que Mohammed est le Sceau des Prophètes. « Aujourd'hui j'ai parachevé votre religion » dit Dieu par la bouche du Prophète. Toi, Mohammed ou Saad, tu es persuadé que le Coran vient libérer le christianisme de l'idolâtrie attachée à la Trinité. Tu crois que les chrétiens sont dans l'illusion lorsqu'ils affirment la mort de Jésus sur la Croix : « Ils ne l'ont pas tué, ils ne l'ont pas crucifié. » Tu ne peux pas ignorer ce passage du Coran qui évoque le jugement final, même si tu n'oses pas m'en parler parce que tu m'aimes bien : « Un jour dans chaque communauté, comme le dit Dieu dans le Coran, nous susciterons un témoin pour déposer contre les siens... C'est alors que, leurs chimères s'étant effondrées, les impies offriront leur soumission à Dieu. » Les frontières de ta propre religion te permettent une certaine ouverture sur l'autre. Mais elles ne te permettent pas d'accueillir la religion de l'autre à part entière. Ces frontières, auxquelles tu ne peux renoncer sans te renier, ne te permettent pas d'accueillir l'autre, là précisément où il est vraiment autre, c'est-à-dire dans sa propre particularité religieuse.

Ainsi musulmans et chrétiens, tous les deux héritiers d'Abraham, n'ont le choix qu'entre s'exclure ou se regarder... seulement d'un peu loin pour ne pas se heurter ! Les uns comme les autres ne peuvent pas taire ce qui fait leur particularité. Mais, à s'en tenir là, ils ne peuvent se rencontrer. Ils ont bien, les uns comme les autres, un territoire que leur a donné Yahvé mais leur descendance n'est pas impossible à compter. Ils peuvent dénombrer, en effet, les leurs et les autres, ceux qui sont tout à fait dans la vérité et ceux qui demeurent quand même en partie dans l'erreur. Ils peuvent même - l'histoire nous l'enseigne - tuer les autres. A leurs yeux ceux-là « ne comptent pas ». Ainsi, leurs certitudes les obligent à se situer, au moins partiellement, en étrangers voire en rivaux. Quel choix s'offre alors aux musulmans ou aux chrétiens ? Renoncer à leur propre religion ? Impossible sans se renier eux-même ! Se replier, au moins en partie, chacun chez soi ? Et c'est l'exclusion que nous ne voulons pas : nous savons qu'elle engendre les guerres. Y aurait-il contradiction entre nos religions particulières et notre désir d'ouverture ?

Ouverts sur l'universel

Ce serait oublier que la double promesse faite à Abraham d'un territoire particulier et d'une descendance innombrable nous permet non seulement de supporter mais de vivre joyeusement cette situation. Nous pensons spontanément en termes d'exclusion : ou bien notre particularité nous entraîne à relativiser notre appartenance à notre religion, ou bien notre religion est bonne et elle devrait s'imposer à tous. Ni Abraham ni sa descendance ne sont enfermés dans une particularité ; ils sont ouverts sur l'universel : la limite jouxte l'immensité. C'est même ce lien - impossible à imaginer ou à concevoir à vues humaines - qui est la signature de Dieu dans l'alliance avec les descendants d'Abraham. Le mot « universalité » signifie le fait d'être « tourné vers l'un ». Tendre vers l'unité implique qu'on ne l'ait pas atteinte, qu'elle manque encore. Ce manque permet le jeu et la rencontre entre croyants de religions différentes. Il ouvre le désir à la rencontre de l'Autre, par-delà nos limites et nos frontières. Il s'agit alors pour les juifs, les musulmans et les chrétiens d'accepter de vivre une tension. Celle-ci permet l'ouverture sur l'Autre et sur les autres. Elle nous ouvre sur un Réel impossible à penser, sur l'Autre dans lequel nous sommes pris et qui nous dépasse. C'est par la foi qu'Abraham partit sans savoir où il allait. Il peut très bien avancer sans savoir puisqu'il sait qu'il n'y va pas sans Dieu. C'est par cette même foi que nous pouvons avancer les uns vers les autres avec conviction et avec nos convictions.

Le sacrifice d'Isaac fait apparaître cette tension (Genèse 22). Père et fils « vont ensemble » au lieu de l'immolation ; ils font bloc. L'acceptation par Abraham de sacrifier son fils marque que, par-delà ce lien qui définit une famille, s'ouvre un espace autre où la vie pourra se déployer. En se déliant de son fils, Abraham réentend la promesse (Gen 22,17-18) ; la descendance promise n'est pas enfermée dans le tout constitué par cette relation particulière. Elle est dans cette tension entre l'attachement d'un père et de son fils et l'arrachement que réalise l'écoute de l'Autre. Le texte montre que, par-delà le sacrifice, Isaac est de nouveau donné à son père mais, ce qui les unit désormais n'est plus un enfermement. Ils peuvent l'un et l'autre s'ouvrir au Tout-Autre. Ce qui arrive à l'ancêtre se reproduit chez les héritiers. Chacun est vraiment fils d'Abraham dans la mesure où ce qui le définit n'est pas un lien qui retient mais un point à partir duquel tout autre, quel qu'en soit le visage, peut le rejoindre.

En ce point, héritiers d'Abraham, que pouvons-nous dire ensemble  ? Rien, si ce n'est que nous sommes dépassés et que nous y trouvons notre joie puisque c'est par là que Dieu passe ! Rien mais ce rien est plus que tout : sur lui viennent se briser tous nos totalitarismes, nos orgueils et nos égoïsmes. Alors, du coeur des croyants, émerge une voie de fin silence ou le murmure d'une brise légère... Dieu passe ! Dieu passe et nous ne pouvons rien en dire. Mais nous pouvons en témoigner. Musulmans et chrétiens, au sein de la « Maison islamo-chrétienne », notre histoire nous a menés, à travers incompréhensions et déboires, en ce lieu où, par-delà nos appartenances religieuses - et sans jamais les lâcher - nous pouvons nous appeler par notre nom en toute fraternité. Des musulmans et des chrétiens ont puisé, chacun dans sa propre tradition, la joie de vivre ensemble par-delà toutes les raisons de demeurer séparés. Et c'est toujours une Grâce, un don gratuit qui nous arrive par surcroît. Comme « le sable sur les lèvres de la mer » (Genèse), là où terre et mer, islam et christianisme, ne se séparent que pour être emportés par le flux et le reflux de la vie, là vivent ensemble les héritiers d'Abraham. C'est le moment où les lèvres humaines s'entrouvrent, et n'ayant rien à défendre, cherchent d'abord à se dire : « Bon-jour ! Béni soit ce jour ! Hamdullilah ! » Alors nous pouvons, au nom de l'Autre, nous écouter et nous parler, nous recevoir mutuellement. Nous pouvons pratiquer l'hospitalité entre nous comme à l'égard de chacun. Et lorsque font défaut, sur notre terre, la justice, l'amitié ou la paix, nous savons d'expérience que ce manque peut ouvrir le désir de nous mettre à l'ouvrage. C'est alors, qu'ensemble nous faisons la Vérité.

Christine Fontaine, le 29 avril 2021
Batiks du Burkina Fasso