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Le fascisme ne passera pas ?
L'équipe animatrice de Dieu maintenant

Depuis l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, le monde est comme sidéré. Les membres de l’équipe animatrice de « Dieu maintenant » se sont réunis pour s’aider à sortir de cette sidération. À l’issue de leur rencontre, ils ont rédigé le texte suivant.

(1) Commentaires et débats

S’agit-il pour Elon Musk ou Donald Trump uniquement de s’enrichir ? Lorsqu’on possède tant de milliards, cette richesse ne leur suffit-elle pas ? Ne s’agit-il pas plutôt pour eux d’affirmer un pouvoir sans limite ? Ils semblent remettre seulement en cause des réglementations particulières d’un pays mais en réalité ils s’attaquent à la Loi symbolique elle-même. Elle consiste à reconnaître que nul n’a le droit de réduire l’autre à être son objet de jouissance. Toutes les lois sont ensuite déclinées à partir de cet axiome. Nul n’affirmera jamais explicitement : « La Loi, c’est moi ». C’est toujours en s’attaquant à des réglementations particulières que, sans en avoir l’air, on pousse les autres à penser que la Loi ne sert à rien.

Pour Donald Trump, les lois internationales n’existent pas. Il déclare que l’Europe est un scandale car elle n’est capable que de faire des « empêchements ». Si ce n’est dans les discours, au moins dans les faits, Donald Trump ne considère-t-il pas que la Loi c’est lui ? D’autres, moins frontaux, s’attaquent à des réglementations particulières et, sans en avoir l’air, essayent de pousser les relations nationales et internationales dans le même sens. Entre sa position et celle de l’extrême droite française et européenne, il nous semble discerner un programme commun, documenté et structuré : la volonté de modifier totalement la société. Nous ne serions plus dans la question qui nous a portés depuis longtemps à propos du libéralisme ou du néolibéralisme. Nous serions devant une volonté délibérée de détruire les États et de les remplacer par des oligarchies.

Elon Musk et consorts ne sont-ils pas en train de mettre la main sur l’État américain ? Les contre-pouvoirs - mis en place par un régime démocratique - seront-ils capables de résister ? Nous l’ignorons aujourd’hui. L’ONU est très mal en point. L’Europe semble se réveiller mais elle comporte une extrême droite puissante pour qui les instances constitutionnelles – en particulier la cour européenne des droits de l’Homme – sont systématiquement remises en cause. Or elles sont le mécanisme qui fait tenir la démocratie. Selon nous, nous assistons à un affrontement entre la démocratie humaniste – dans laquelle nous avons vécu jusqu’à maintenant – et une tout autre idée de la vie en société.

Il ne s’agit pas d’un affrontement seulement de stratégies mais fondamentalement d’un affrontement idéologique, d’un bouleversement radical de la manière de faire société. On peut être pour ou contre ce bouleversement, mais encore faudrait-il en discuter. Or il nous semble qu’on laisse trop systématiquement les tenants de cette idéologie développer leurs idées à longueur de médias sans discuter de ce sur quoi elles sont fondées. Où sont les intellectuels ? Edgar Morin est l’un des seuls aujourd’hui à s’exprimer. Toute une partie de l’élite intellectuelle en France légitime la position de Trump sur l’absence de réglementation, par exemple. Elle est prise dans cette logique. La cassure existe à l’intérieur même de notre société et n’est pas le fait uniquement de l’extrême droite. Nous croyons que laisser faire ce changement sans réfléchir à sa portée c’est faire le jeu d’une idéologie fascisante.

Certes, tant qu’il peut y avoir des élections libres et une alternance, nous ne sommes pas dans le fascisme. Il y a fascisme quand, par une corruption progressive de la démocratie, on réussit à empêcher le retour en arrière. Mais faut-il attendre que ce point de non-retour soit atteint pour dénoncer cette idéologie totalitaire ? De plus, à partir de quoi déterminer ce point de non-retour et pour qui ? La simple campagne de l’extrême droite n’a-t-elle pas poussé chez les psychiatres et autres médecins des personnes qui se sont senties profondément agressées par le fait que les double-nationaux pourraient être expulsés ou privés de certaines fonctions ? Il y a une souffrance préalable à toute arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Un pré-fascisme à dénoncer sans attendre.

Il est évident qu’il serait absurde de traiter de fascistes tous les électeurs potentiels de l’extrême droite en France. En outre ce serait contre-productif parce que ce mouvement, selon nous, participe d’un processus insidieux et caché. Il n’en est pas moins vrai qu’il faut lutter pour que leurs leaders n’arrivent pas au pouvoir. Dans ce contexte, le fait d’être très attentifs à tout ce qui constitue l’état de droit - la liberté de la magistrature, liberté de la presse et des médias, liberté du conseil constitutionnel, etc. - est extrêmement important.

Que pouvons-nous faire contre cette montée des pouvoirs totalitaires ? Tout d’abord la dénoncer au nom de notre foi au Dieu de Jésus-Christ. Dom Helder Camara avait su s’opposer publiquement, lorsqu’il était archevêque de Récife, à la montée de tels pouvoirs au Brésil : « Il y a trois sortes de violence, écrivait-t-il. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie que de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

Nous nous étonnons du silence assourdissant des évêques de France aujourd’hui. Ils semblent davantage intéressés à défendre leurs positions sur la morale familiale et sexuelle que de mettre en garde sur la montée constante de l’extrême droite au sein de l’Église catholique. Au point qu’il soit permis de s’interroger sur la compromission de certains avec le pouvoir dominant. Un chrétien – a fortiori un évêque - ne peut pas avoir partie liée avec la puissance dominante. Quant au « bas clergé », un grand nombre de ses membres se réfugient dans la piété, préférant inviter à adorer le Saint-Sacrement plutôt que de s’exposer en protestant contre la situation faite, par exemple, aux immigrés.

Face à cette passivité – voire cette compromission – nous ne pouvons que rappeler cette parole de Jean Chrysostome qui, il est vrai fut condamné sur ordre impérial, à une relégation dans un lieu désert aux confins de l'empire : « Veux-tu honorer le Corps du Christ ? Ne commence pas par le mépriser quand il est nu. Ne l’honore pas ici avec des étoffes de soie, pour le négliger dehors où il souffre du froid et de la nudité. Car celui qui a dit : Ceci est mon corps, est le même qui a dit : Vous m’avez vu affamé et vous ne m’avez pas nourri. Quelle utilité à ce que la table du Christ soit chargée de coupes d’or, quand lui-même meurt de faim ? Rassasie d’abord l’affamé et orne ensuite sa table. »

L'équipe animatrice de "Dieu maintenant", avril 2025