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Lecture du livre du Deutéronome (3ème partie)
La loi, le désir et le temps
Michel Jondot

Dans cette troisième lecture, on conseille d’être attentifs aux termes qui renvoient à quatre thèmes. D’une part, certaines expressions prennent place dans un ensemble qu’on pourrait intituler « Promesse et menaces » et qui implique celui de « l’héritage ». D’autre part, on notera l’insistance à parler d’un passage « au-delà du Jourdain ». Une fois de plus, on remarquera l’abondance des mots qui connotent « la Loi ».

Au cours d’une nouvelle relecture, on s’efforcera de découvrir comment ces notions sont disséminées dans l’ensemble du livre et lui donnent son sens. Nous n’oublierons pas le thème de la Voix que nous avons remarquée dans la relecture précédente. Sur lui s’articulent ces notions.

Lecture du Deutéronome
10,10 à 12,7

Pour moi, je me tins sur la montagne, comme la première fois, quarante jours et quarante nuits. Cette fois encore YHWH m’exauça et YHWH renonça à te détruire. Mais YHWH me dit : « Debout ! Pars et va-t-en à la tête de ce peuple, afin qu’ils aillent prendre possession du pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner. »

Et maintenant, Israël, que te demande YHWH ton Dieu, sinon de
craindre YHWH, de suivre toutes ses voies, de l’aimer, de servir YHWH ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, de garder les commandements de Dieu, et ses lois que je prescris aujourd’hui pour ton bonheur ? C’est bien à JHWH ton Dieu qu’appartiennent les cieux et les cieux des cieux, la terre et tout ce qui s’y trouve. Yhwh pourtant ne s’est attaché qu’à tes pères, par amour pour eux, et après eux il a élu entre toutes les nations vous-mêmes, jusqu’aujourd’hui*. Circoncisez votre cœur et ne raidissez plus votre nuque, car YHWH votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, vaillant et redoutable qui ne fait pas acception de personnes et ne reçoit pas de présents. C’est lui qui fait droit à l’orphelin et à la veuve et il aime l’étranger, auquel il donne pain et vêtement. (Aimez l’étranger car au pays d’Egypte vous fûtes des étrangers.) C’est YHWH ton Dieu que tu craindras et serviras, t’attachant à lui et jurant par son nom. C’est lui que tu dois louer et c’est lui ton Dieu : il a accompli pour toi ces choses grandes et redoutables que tes yeux ont vue  ; et alors que tes pères n’étaient que soixante-dix quand ils sont descendus en Egypte, YHWH ton Dieu t’a rendu aussi nombreux à présent que les étoiles des cieux.

11

Tu aimeras YHWH ton Dieu et tu garderas toujours
ses observances, ses lois, coutumes et commandements. C’est vous qui avez fait l’expérience et non vos fils. Eux n’ont pas eu l’expérience et n’ont pas reçu les leçons de YHWH votre Dieu, sa grandeur, sa main forte et son bras étendu, les signes et les œuvres qu’il a accomplis au cœur de l’Egypte contre le Pharaon, roi d’Egypte, et tout son pays, ce qu’il a fait aux armées de l’Egypte, à ses chevaux et à ses chars, en ramenant sur eux les eaux de la mer des Roseaux lorsqu’il vous poursuivaient et comme il les a anéantis jusqu’aujourd’hui ; ce qu’il a fait pour vous dans le désert jusqu’à ce que vous arriviez ici ; ce qu’il a fait à Datân et à Abiram, les fils d’Eliab le Rubénite, quand la terre ouvrit sa bouche et les engloutit au milieu de tout Israël, avec leurs familles, leurs tentes et tous les gens qui les suivaient. Ce sont vos yeux à vous qui ont vu cette grande œuvre de YHWH. Vous garderez tous les commandements que je vous prescris aujourd’hui, afin d’être forts pour conquérir le pays où vous allez passer pour en prendre possession, afin de demeurer de longs jours sur la terre que Dieu a promise par serment à vos pères et à leur descendance, terre qui ruisselle de lait et de miel.

Car le pays où tu entres pour en prendre possession n’est pas comme le pays d’Egypte d’où vous êtes sortis, où après avoir semé il fallait arroser avec le pied comme on arrose un jardin potager. Mais le pays où vous allez passer pour en prendre possession est un pays de montagne et de vallées arrosées de la pluie du ciel. De ce pays YHWH ton Dieu prend soin, sur lui les yeux de YHWH ton Dieu restent toujours fixés, depuis le début de l’année jusqu’à sa fin. Assurément si vous obéissez vraiment à mes commandements que je vous prescris aujourd’hui, aimant YHWH votre Dieu et le servant de tout votre cœur et de toute votre âme, je donnerai à votre pays la pluie en son temps, pluie d’automne et pluie de printemps et tu pourras récolter ton froment, ton vin nouveau et ton huile, je donnerai à ton bétail de l’herbe dans la campagne et tu mangeras et te rassasieras. Gardez-vous de laisser séduire votre cœur : vous vous fourvoieriez, vous serviriez d’autre dieux et vous prosterneriez devant eux ; et la colère de Dieu s’enflammerait contre vous, il fermerait les cieux, il n’y aurait plus de pluie, la terre ne donnerait plus son fruit et vous péririez bientôt en cet heureux pays que Yhwh ton Dieu te donne.

Ces paroles que je vous dis aujourd’hui, mettez-les dans votre cœur et dans votre âme, attachez-les à votre main comme un signe, à votre front comme un bandeau. Enseignez-les à
vos fils et répétez-les-leur, aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout. Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes, afin d’avoir de nombreux jours, vous et vos fils, sur la terre que YHWH a juré à vos pères de leur donner, aussi longtemps que les cieux demeureront au-dessus de la terre.

Car, si vraiment vous gardez et pratiquez tous ces commandements que je vous prescris, aimant YHWH votre Dieu, marchant dans toutes ses voies et vous attachant à lui, YHWH dépossédera à votre profit toutes ces nations et vous déposséderez des nations plus grandes et plus puissantes que vous. Tout lieu que foulera la plante de vos pieds sera vôtre, depuis le Liban, depuis le Fleuve Euphrate jusqu’à la mer occidentale s’étendra votre territoire. Personne ne tiendra devant vous, YHWH votre Dieu vous fera craindre et redouter sur toute l’étendue que vous foulerez ainsi qu’il l’a dit.

Vois ! Je vous offre aujourd’hui bénédiction et malédiction. Bénédiction si vous obéissez aux
commandements de YHWH votre Dieu que je vous prescris aujourd’hui, malédiction si vous désobéissez aux commandements de YHWH votre Dieu, si vous vous écartez de la voie que je vous prescris aujourd’hui en suivant d’autres dieux que vous n’avez pas connus. Lorsque YHWH ton Dieu t’aura conduit dans le pays où tu vas entrer pour en prendre possession, tu placeras la bénédiction sur le mont Garizim et la malédiction sur le mont Ebal.(Ces monts, on le sait, se trouvent au-delà du Jourdain, sur la route du Couchant, dans le pays des Cananéens qui habitent la Araba vis-à-vis de Gilgal, auprès du chêne de Moré.) Car vous allez passer le Jourdain, pour venir prendre possession du pays que YHWH votre Dieu vous donne. Vous le posséderez, vous y demeurerez, et vous garderez et pratiquerez toutes les lois et coutumes que j'énonce aujourd’hui devant vous.

12

Et voici les lois et coutumes que vous garderez et pratiquerez dans le pays que YHWH le Dieu de tes pères t’a donné pour domaine, tous les jours que vous vivrez sur ce sol.

Vous abolirez tous les lieux où les peuples que vous dépossédez auront servi leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, sous tout arbre verdoyant. Vous démolirez leurs autels, briserez leurs stèles ; leurs pieux sacrés, vous les brûlerez, les images sculptées de leurs dieux vous les abattrez, et vous abolirez leur nom en ce lieu.

A l’égard de YHWH votre Dieu vous agirez autrement. C’est seulement au lieu choisi par YHWH votre Dieu, entre toutes vos tribus, pour y placer son nom et l’y faire habiter, que vous viendrez pour le chercher. Vous apporterez là vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes et les présents de vos mains, vos offrandes votives et vos offrandes volontaires, les premiers-nés de votre gros et de votre petit détail, vous y mangerez en présence de YHWH votre Dieu et vous vous réjouirez de tous vos travaux, vous et vos maisons, parce que YHWH ton Dieu t’a béni. Vous n’agirez pas comme nous agissons aujourd’hui : chacun fait ce qui lui paraît bon, puisque vous n’êtes pas encore
entrés dans l’établissement et l’héritage que Dieu te donne. Vous allez passer le Jourdain et demeurer dans le pays que YHWH votre Dieu vous donne en héritage ; il vous établira à l’abri de tous vos ennemis alentour et vous aurez une sûre demeure. C’est au lieu choisi par YHWH votre Dieu pour y faire habiter son nom que vous apporterez tout ce que je vous prescris, vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes, les présents de vos mains et toutes les choses excellentes que vous avez promises par vœu à YHWH. Vous vous réjouirez alors en présence de YHWH votre Dieu, vous, vos fils et vos filles, vos serviteurs et vos servantes et le lévite qui demeure chez vous, puisqu’il n’a ni part ni héritage avec vous.

Relecture
La loi, le désir et le temps

…. Je trouve en un coin du monde,
séparé de tous les autres peuples de la terre un peuple particulier,
séparé de tous les autres peuples de la terre,
le plus ancien de tous…
je trouve donc ce peuple grand et nombreux,
sorti d’un seul homme, qui adore un seul Dieu,
et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main.


Pascal ; fragment Br. 619

La loi et l’Ecriture

Ces paroles, YHWH les a dites à toute votre assemblée, sur la montagne, du milieu du feu, du nuage et de la sombre nuée, d’une voix forte ; et il n’a rien ajouté. Puis il les a écrites sur deux tables de pierre et me les a données (Dt 5,22).

Le jour où vous passerez le Jourdain vers le pays que YHWH ton Dieu te donne, tu érigeras de grandes pierres et tu les enduiras de chaux. Puis tu écriras sur elles, lors de ton passage, toutes les paroles de cette loi, afin d’entrer au pays que YHWH ton Dieu te donne, pays ruisselant de lait et de miel, selon ce que t’a dit YHWH, le Dieu de tes pères (Dt 27,1)

Moïse écrivit donc ce cantique en ce jour-là, et il l’apprit aux fils d’Israël (Dt 31,22)


Entre les événements de l’Horeb et l’instant où la voix de Moïse s’élève, on trouve l’Ecriture : « Ces paroles de Moïse, YHWH les a écrites sur deux tables de pierre et me les a données. » Entre Moïse et celui qui écrit le livre, l’écriture d’un cantique permet aux fils d’Israël de relayer la voix de celui qui va s’éteindre. « Moïse – au dire de celui qui tient les lettres du texte final – écrivit donc ce cantique… et il l’apprit aux fils d’Israël. » Moïse peut se taire, des voix pourront encore chanter.

De l’autre côté du Jourdain, là où s’écrit le texte, l’écriture est passée avec la Loi, sur des pierres, comme à l’Horeb : « Tu érigeras de grandes pierres… puis tu écriras sur elles, lors de ton passage, toutes les paroles de cette Loi. »

Enfin l’écriture du Deutéronome conduit jusqu’au jour où le livre tombe dans les mains d’un lecteur. Que celui-ci tende l’oreille, il entendra, attachée à la lettre, la voix de Moïse.

A la voix qui fait entendre le visible de l’espace, le texte adosse le visible de la lettre. Celle-ci appelle les yeux en même temps que la voix ; la Loi est écrite sur des tables de pierre enduites de chaux ; les mots de Moïse s’écrivent avec des lettres pour devenir cantique. Arrivant là où nous sommes, l’écriture vient de l’Horeb. Elle vient de haut, liée à la voix de l’Autre, entendue sur la montagne : « Ces paroles, YHWH les a dites à toute votre assemblée, sur la montagne, puis Il les a écrites sur deux tables de pierre et il me les a montrées. » Tout autant que la voix, les lettres sont inséparables de YHWH.

Avec l’écriture se produit un jeu d’appel et de réponse. Le visible de la lettre appelle des lecteurs dont la voix chantera les mots du texte : « Ecoute Israël ! » La lettre qui appelle est aussi une réponse : la voix de Moïse et les mots de la Loi ont précédé le narrateur et celui-ci y répond.

Le temps de l’écriture et le temps du désir

Moïse appelle le narrateur qui appelle le lecteur. Entre les uns et les autres, se produisent écart et proximité. Sans écart, l’appel ne serait pas possible. La proximité se manifeste lorsque celui qui répond est touché par l’appel et rejoint la voix qu’il écoute. Ecart et proximité ne peuvent pas être dits : ils font dire et parler. Ils ne peuvent pas non plus être cachés : celui qui répond manifeste qu’il est pris au jeu. Ecart et proximité règlent ce jeu qui produit le texte. Ils sont l’autre du texte sans lequel le texte ne serait pas et la lettre en est la trace : elle manifeste le travail de l’autre. C’est pourquoi le texte insiste pour que les lettres ne soient pas seulement lisibles mais visibles, inscrites sur des pierres blanchies à la chaux. Elles cachent aussi puisqu’elles renvoient à autre qu’elles-mêmes, c’est-à-dire au travail que produit l’écriture. L’usage du tétragramme, qui ne peut ni disparaître du texte ni paraître dans la voix du lecteur, est l’hommage rendu à cet autre qu’il invite à reconnaitre. Appel et réponse se déposent dans les lettres. A l’intérieur même des lettres se marque l’écart entre l’appel et la réponse. Le tétragramme inscrit cette trouée puisqu’il impose la distance entre l’écrit et la voix.

Le mot « désir » définit ce jeu d’appel et de réponse. Il désigne ce dépassement du temps et de l’espace qui s’inscrit dans l’espace visible des pages du livre pour faire se lever, aujourd’hui, une voix qui ouvre l’avenir en appelant des lecteurs. Où situer le lieu du désir ? Inaccessible comme l’Horeb où le peuple n’osait pas monter, il est pourtant proche de celui qui entend la voix d’autrefois : « En ce jour, nous avons vu que YHWH parlait avec l’homme et que celui-ci restait vivant. Toi approche, écoute ce que t’aura dit YHWH notre Dieu ! »

Le « cœur » représente ce lieu inaccessible et proche : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur … aujourd’hui YHWH ton Dieu te commande d’exécuter ces décrets et ces règles ; tu les observeras et les exécuteras de tout ton cœur. » (Dt 26,16) Seigneur … YHWH : Les deux mots sont distingués ! Par-delà le mot « Seigneur » qu'on peut prononcer, le cœur est inséparable de cet au-delà de Dieu – YHWH – qui ne peut être dit. Dieu au-delà de Dieu : l’imprononçable qu’on ne peut effacer.

Le temps de la Bible

Trace d’un désir qui fait des sujets capables d’écoute, trace du désir d’un autre qui dépasse le lieu et le temps où les sujets s’appellent et se répondent, renvoyant au désir d’un autre, absolument autre, séparé, renvoyant au désir de l’Autre, l’écriture peut alors être considérée comme Testament. Par-delà la mort ou l’absence, une volonté s’inscrit dans la lettre. Le lecteur décèle la volonté de l’absent qui fait loi. Un avenir s’ouvre alors pour tous ceux qui acceptent les conditions du Testament. Le Deutéronome honore cette dimension testamentaire de l’écriture. La voix qui s’élève, lorsqu’on ouvre le livre, fait entendre – comme celle d’un notaire – les volontés d’un autre : « Voici les paroles que dit Moïse à tout Israël… » (Dt 1,1). Le livre alors se déroule jusqu’à dire l’effacement de Moïse dont on achève de faire entendre les dernières volontés.

Un testament implique des conditions. Le Deutéronome les appelle des préceptes et des règles. Il s’accompagne de la transmission d’un héritage. Le Deutéronome, avec l’histoire du peuple, déplace la Loi jusqu’à la frontière de la terre donnée en héritage : « Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël au-delà du Jourdain… » (Dt 1,1) Le fleuve marque la limite entre le moment où la terre, désirable parce que promise, sera reçue. Cette limite sépare deux temps : celui où l’héritage est promis (au-delà du Jourdain), celui où l’héritage est acquis (en-deçà du Jourdain), là où se trouve celui qui écrit.

Le livre s’achève par une autre séparation qui, comme un fleuve à franchir, désigne un passage. L’histoire passe de Moïse à Josué. Moïse indique, lui aussi, l’héritage où conduisent la Loi et les promesses : « Il donna ses ordres à Josué, fils de Noun : courage et sois fort ! Car c’est toi qui feras rentrer les fils d’Israël dans le pays que je leur ai promis par serment, et moi je serai avec toi. » Entre l’Horeb et l’entrée en Canaan, les mots disent la prostration de Moïse pour implorer le pardon. Ils permettent le croisement de la promesse et de la Loi. Entre la Loi et la promesse, il faut franchir un obstacle. Quand la Loi a rejoint la promesse, l’obstacle est franchi et la menace dépassée. En ce point marqué par le corps de Moïse, la marche s’arrête parce que la Loi fait défaut : la Voix n’est plus écoutée. Sans la loi, le temps devient menace : « YHWH parlait de vous anéantir. » Mais, en ce point, repartent aussi, avec la Loi, la marche et la promesse : « C’est à la suite de YHWH que vous marcherez, ce sont ses commandements que vous observerez. » (Dt 13,5)

Etroit est le chemin que trace la Loi, entre promesse et menace. Il permet à celui qui « écoute » d’entrer dans la terre. Mais celui qui y rentre n’acquiert l’héritage qu’en entrant dans le temps du désir. Mieux vaut, comme Moïse, mourir sans avoir franchi le Jourdain que de tenir l’héritage en étouffant le désir. Nous suivons, dans le texte, le tracé de ce chemin.

L’Horeb – le mont Sinaï du livre de l’Exode – est un point de départ : « YHWH notre Dieu nous a parlé à l’Horeb en ces termes : tournez-vous et partez » (Dt 1,6). Le point de départ est à la fois celui de la Loi et celui de la promesse : « Observe ces commandements et ces préceptes que je te prescris aujourd’hui, de manière qu’il t’arrive du bonheur, à toi et à tes fils après toi et afin que tu prolonges tes jours sur le sol que YHWH ton Dieu te donne pour toujours. » (Dt 4,10). Promesse et loi ne vont pas sans menace. Trois villes servent de refuge : « Alors Moïse mit à part trois villes au-delà du Jourdain où pourrait s’enfuir le meurtrier qui aurait tué son prochain involontairement. Il pourrait en s’enfuyant dans l’une de ces villes sauver sa vie. » (Dt 4,41).

Symétriquement dans le livre (Dt 27,1 à 31,21), Loi, promesse et menace sont également associées. La Loi : « Tu observeras tous les commandements » (Dt 27,1). La promesse : « Le jour où vous passerez le Jourdain. » (Dt 27,1) ; « vous vivrez sur le sol dont vous allez prendre possession en passant le Jourdain. » (Dt 31,13). La menace franchira le fleuve avec la Loi et la promesse. La terre, une fois acquise, demeurera menacée parce que, objet de la promesse, elle ne va pas sans la Loi qui ouvre le désir. Or, dit YHWH, « au-delà du Jourdain,… je sais le dessein qu’il forme aujourd’hui avant même que je l’aie fait passer dans le pays que j’ai promis par serment à ses pères. » (Dt 31,21) Le dessein qu’il forme est l’envers du dessein de l’Autre que la Loi fait entendre. Là est la menace. Une fois la terre acquise, le chemin, en réalité, ne sera pas achevé et la Loi continuera à le tracer. La menace l’y accompagnera, qui est l’envers du désir que l’Ecriture maintient.

Le scribe qui trace les lettres, désigne, au-delà du Jourdain, le temps des pères : « Assemble le peuple. Et leurs fils qui ne savent pas, entendront et apprendront. » Le Deutéronome s’écrit dans le temps des fils. Des pères jusqu’aux fils, la Voix venue de l’Horeb s’insinue encore dans les lettres, à la charnière des lieux et des temps. Le temps ouvert par l’Horeb et qui est venu « jusqu’à ce jour », la contient. Ce temps est encore celui de l’Ecriture sainte, autre que celui que cherche l’historien ou l’exégète. Des linguistes relèvent que le nom du Seigneur, YHWH, peut évoquer la racine Y.H.W.H. qui signifie désirer. Le temps de l’Ecriture où s’écrivent les lettres imprononçables, est celui du désir. Parce que l’héritage se reçoit en ce temps-là (« in illo tempore »), la terre, objet de la promesse, ne peut qu’être désirée. La promesse la rend désirable.

C’est sans doute pourquoi le Deutéronome place la Loi à la frontière de la terre, de l’autre côté du Jourdain. Là, à coup sûr, la terre est sainte : déjà touchée par le regard mais pas encore possédée.

Michel Jondot
Mis en ligne le 11 juin 2021