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Lecture du livre du Deutéronome (2ème partie)
Michel Jondot

Nous reprenons une nouvelle fois le texte qu’on peut considérer particulièrement propice pour embrasser l’ensemble du livre. Dans cette seconde lecture on sera attentif à repérer le point où Moïse est situé au moment où il parle. On remarquera aussi la place de la loi dans sa relation aux déplacements. A partir de ces points nous saisirons quelques corrélations avec la totalité du récit.

Lecture du Deutéronome
10,10 à 12,7

Pour moi, je me tins sur la montagne, comme la première fois, quarante jours et quarante nuits. Cette fois encore YHWH m’exauça et YHWH renonça à te détruire. Mais YHWH me dit : « Debout ! Pars et va-t-en à la tête de ce peuple, afin qu’ils aillent prendre possession du pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner. »

Et maintenant, Israël, que te demande YHWH ton Dieu, sinon de craindre YHWH, de suivre toutes ses voies, de l’aimer, de servir YHWH ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, de garder les commandements de Dieu, et ses lois que je prescris
aujourd’hui pour ton bonheur ? C’est bien à JHWH ton Dieu qu’appartiennent les cieux et les cieux des cieux, la terre et tout ce qui s’y trouve. Yhwh pourtant ne s’est attaché qu’à tes pères, par amour pour eux, et après eux il a élu entre toutes les nations vous-mêmes, jusqu’aujourd’hui. Circoncisez votre cœur et ne raidissez plus votre nuque, car YHWH votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, vaillant et redoutable qui ne fait pas acception de personnes et ne reçoit pas de présents. C’est lui qui fait droit à l’orphelin et à la veuve et il aime l’étranger, auquel il donne pain et vêtement. (Aimez l’étranger car au pays d’Egypte vous fûtes des étrangers.) C’est YHWH ton Dieu que tu craindras et serviras, t’attachant à lui et jurant par son nom. C’est lui que tu dois louer et c’est lui ton Dieu : il a accompli pour toi ces choses grandes et redoutables que tes yeux ont vue  ; et alors que tes pères n’étaient que soixante-dix quand ils sont descendus en Egypte, YHWH ton Dieu t’a rendu aussi nombreux à présent que les étoiles des cieux.

Tu aimeras YHWH ton Dieu et tu garderas toujours ses observances, ses lois, coutumes et commandements. C’est vous qui avez fait l’expérience et non vos fils. Eux n’ont pas eu l’expérience et n’ont pas reçu les leçons de YHWH votre Dieu, sa grandeur, sa main forte et son bras étendu, les signes et les œuvres qu’il a accomplis au cœur de l’Egypte contre le Pharaon, roi d’Egypte, et tout son pays, ce qu’il a fait aux armées de l’Egypte, à ses chevaux et à ses chars, en ramenant sur eux les eaux de la mer des Roseaux lorsqu’il vous poursuivaient et comme il les a anéantis jusqu’
aujourd’hui ; ce qu’il a fait pour vous dans le désert jusqu’à ce que vous arriviez ici ; ce qu’il a fait à Datân et à Abiram, les fils d’Eliab le Rubénite, quand la terre ouvrit sa bouche et les engloutit au milieu de tout Israël, avec leurs familles, leurs tentes et tous les gens qui les suivaient. Ce sont vos yeux à vous qui ont vu cette grande œuvre de YHWH. Vous garderez tous les commandements que je vous prescris aujourd’hui, afin d’être forts pour conquérir le pays où vous allez passer pour en prendre possession, afin de demeurer de longs jours sur la terre que Dieu a promise par serment à vos pères et à leur descendance, terre qui ruisselle de lait et de miel.

Car le pays où tu entres pour en prendre possession n’est pas comme le pays d’Egypte d’où vous êtes sortis, où après avoir semé il fallait arroser avec le pied comme on arrose un jardin potager. Mais le pays où vous allez passer pour en prendre possession est un pays de montagne et de vallées arrosées de la pluie du ciel. De ce pays YHWH ton Dieu prend soin, sur lui les yeux de YHWH ton Dieu restent toujours fixés, depuis le début de l’année jusqu’à sa fin. Assurément si vous obéissez vraiment à mes commandements que je vous
prescris aujourd’hui, aimant YHWH votre Dieu et le servant de tout votre cœur et de toute votre âme, je donnerai à votre pays la pluie en son temps, pluie d’automne et pluie de printemps et tu pourras récolter ton froment, ton vin nouveau et ton huile, je donnerai à ton bétail de l’herbe dans la campagne et tu mangeras et te rassasieras. Gardez-vous de laisser séduire votre cœur : vous vous fourvoieriez, vous serviriez d’autre dieux et vous prosterneriez devant eux ; et la colère de Dieu s’enflammerait contre vous, il fermerait les cieux, il n’y aurait plus de pluie, la terre ne donnerait plus son fruit et vous péririez bientôt en cet heureux pays que Yhwh ton Dieu te donne.

Ces paroles que je
vous dis aujourd’hui, mettez-les dans votre cœur et dans votre âme, attachez-les à votre main comme un signe, à votre front comme un bandeau. Enseignez-les à vos fils et répétez-les-leur, aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout. Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes, afin d’avoir de nombreux jours, vous et vos fils, sur la terre que YHWH a juré à vos pères de leur donner, aussi longtemps que les cieux demeureront au-dessus de la terre.

Car, si vraiment vous gardez et pratiquez tous ces commandements que je vous prescris, aimant YHWH votre Dieu, marchant dans toutes ses voies et vous attachant à lui, YHWH dépossédera à votre profit toutes ces nations et vous déposséderez des nations plus grandes et plus puissantes que vous. Tout lieu que foulera la plante de vos pieds sera vôtre, depuis le Liban, depuis le Fleuve Euphrate jusqu’à la mer occidentale s’étendra votre territoire. Personne ne tiendra devant vous, YHWH votre Dieu vous fera craindre et redouter sur toute l’étendue que vous foulerez ainsi qu’il l’a dit.

Vois ! Je vous offre
aujourd’hui bénédiction et malédiction. Bénédiction si vous obéissez aux commandements de YHWH votre Dieu que je vous prescris aujourd’hui, malédiction si vous désobéissez aux commandements de YHWH votre Dieu, si vous vous écartez de la voie que je vous prescris aujourd’hui en suivant d’autres dieux que vous n’avez pas connus. Lorsque YHWH ton Dieu t’aura conduit dans le pays où tu vas entrer pour en prendre possession, tu placeras la bénédiction sur le mont Garizim et la malédiction sur le mont Ebal.(Ces monts, on le sait, se trouvent au-delà du Jourdain, sur la route du Couchant, dans le pays des Cananéens qui habitent la Araba vis-à-vis de Gilgal, auprès du chêne de Moré.) Car vous allez passer le Jourdain, pour venir prendre possession du pays que YHWH votre Dieu vous donne. Vous le posséderez, vous y demeurerez, et vous garderez et pratiquerez toutes les lois et coutumes que j'énonce aujourd’hui devant vous.

Et voici les lois et coutumes que vous garderez et pratiquerez dans le pays que YHWH le Dieu de tes pères t’a donné pour domaine, tous les jours que vous vivrez sur ce sol.

Vous abolirez tous les lieux où les peuples que vous dépossédez auront servi leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, sous tout arbre verdoyant. Vous démolirez leurs autels, briserez leurs stèles ; leurs pieux sacrés, vous les brûlerez, les images sculptées de leurs dieux vous les abattrez, et vous abolirez leur nom en ce lieu.

A l’égard de YHWH votre Dieu vous agirez autrement. C’est seulement au lieu choisi par YHWH votre Dieu, entre toutes vos tribus, pour y placer son nom et l’y faire habiter, que vous viendrez pour le chercher. Vous apporterez là vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes et les présents de vos mains, vos offrandes votives et vos offrandes volontaires, les premiers-nés de votre gros et de votre petit détail, vous y mangerez en présence de YHWH votre Dieu et vous vous réjouirez de tous vos travaux, vous et vos maisons, parce que YHWH ton Dieu t’a béni. Vous n’agirez pas comme nous
agissons aujourd’hui : chacun fait ce qui lui paraît bon, puisque vous n’êtes pas encore entrés dans l’établissement et l’héritage que Dieu te donne. Vous allez passer le Jourdain et demeurer dans le pays que YHWH votre Dieu vous donne en héritage ; il vous établira à l’abri de tous vos ennemis alentour et vous aurez une sûre demeure. C’est au lieu choisi par YHWH votre Dieu pour y faire habiter son nom que vous apporterez tout ce que je vous prescris, vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes, les présents de vos mains et toutes les choses excellentes que vous avez promises par vœu à YHWH. Vous vous réjouirez alors en présence de YHWH votre Dieu, vous, vos fils et vos filles, vos serviteurs et vos servantes et le lévite qui demeure chez vous, puisqu’il n’a ni part ni héritage avec vous.

Relecture
La loi ou la voix de l'Autre

« Moïse et les prophètes sont venus leur (aux hébreux) déclarer le temps et la manière de sa venue…
ils ont dit que la loi qu’ils avaient n’était qu’en attendant celle du Messie ;
que jusque-là elle serait perpétuelle, mais que l’autre durerait éternellement ;
qu’ainsi leur loi, ou celle du Messie dont elle était la promesse, serait toujours sur la terre ;
qu’en effet elle a toujours duré ;
qu’enfin est venu Jésus-Christ … »


Pascal ; Fragment BR 617

L’Horeb et la voix

Le va-et-vient du mot « aujourd’hui » a une butée. Il peut surgir au-delà ou en-deçà du Jourdain, dans les plaines de Moab ou près de la Tente de la Rencontre. Mais le texte écarte l’Horeb dans l’espace et dans le temps. Il ne parle de la montagne qu’au passé : « Ecoute, Israël, les décrets et les règles que j’énonce à vos oreilles aujourd’hui … YHWH notre Dieu a conclu avec vous une alliance à l’Horeb. » l’Horeb s’oppose à aujourd’hui. Ce « temps-là » n’est pas « ce temps-ci » où « nous sommes aujourd’hui tous vivants ».

Les voix qui font naître chaque « aujourd’hui » se relaient ; autre est la voix de Moïse autre la voix de Josué dont il sera question à la fin du livre, autre la voix de Moïse et autre la voix du narrateur qui écrit le livre. Une voix pourtant, liée à l’Horeb, reste à distance, celle de YHWH.

La voix de YHWH se distingue de toutes les autres. Celles de Moïse, de Josué ou du narrateur font entendre, dans les mots, l’espace que l’on a vu. L’autre voix, celle de YHWH, a aussi partie liée avec la vue. Mais sur l’Horeb, entre ce que l’on voit et ce que l’on entend, le texte met une barrière infranchissable. On ne passe pas de l’un à l’autre ; entre l’un et l’autre c’est du feu : « Je me tenais sur la montagne entre YHWH et vous, car vous aviez peur, à cause du feu, sur la montagne. » (Dt 5,1). Ce qu’on entend ne dit pas ce que l’œil a vu ou pourrait voir.

La voix de YHWH fait peur autant que la vision. Elle demeure séparée, inaccessible. Cette voix de l’Horeb véhicule une contradiction. D’une part, il est impossible de l’entendre une seconde fois sans s’exposer à mourir : « Si nous continuons encore d’entendre la voix de YHWH notre Dieu nous mourrons. » (Dt, 5,24) Mais, d’autre part, ce passage s’achève par une affirmation absolument opposée : « Vous périrez tous pour n’avoir pas écouté la voix de YHWH notre Dieu. »

Cesser d’écouter cette voix expose à mourir : « Vous n’avez pas écouté sa voix. » (Dt 9,18)… « alors YHWH parlait de vous anéantir » (Dt 9,25). Ecouter sa voix revient alors à vivre et à marcher : « C’est à la suite de YHWH que vous marcherez… », « c’est sa voix que vous écouterez » (Dt 13,5).

La Loi permet de dépasser la contradiction. Entre la voix qu’on ne peut entendre sans mourir et celle qu’il faut écouter pour commencer à vivre, surgit la Loi. Pour mieux comprendre cette relation de la Loi à la voix, il faut se rappeler le statut spécial des quatre lettres mystérieuses, YHWH. « Tu ne prononceras pas le nom de Dieu » ; c’est pourquoi ces consonnes ne peuvent être accompagnées des sons appelés « voyelles » parce qu’ils entrent dans la « voix » pour qu’un mot soit prononcé. Les quatre lettres ne peuvent être « dites » pour la raison qu’elles sont « inter-dites », c’est-à-dire dites à l’intérieur du texte du seul fait qu’il est lu. Les voix qui prononcent renvoient à la Voix de l’Autre dont elles sont séparées. Si on fait entrer le tétragramme dans la voix, en prononçant son Nom, on confond la voix qui fait dire – la voix de YHWH – avec celle qu’on entend. Des voix prononcent les mots du texte, écho de la voix de l’Autre ou - pour mieux dire – réponse d’une voix à une autre. Les voix qui prononcent sont devancées, permises par la Voix de Celui dont il est interdit de prononcer le nom.

La vocalisation du Nom de YHWH est interdite à celui qui parle mais la Voix du Seigneur permet de parler. Autrement dit, le rapport des voix humaines à celle de l’Horeb est sous le coup de la Loi qui interdit pour permettre. La Loi permet cette relation d’une voix à une autre grâce à laquelle s’ouvre aujourd’hui le champ du possible et de la marche : « C’est à la suite de YHWH que vous marcherez, c’est Lui que vous craindrez, ce sont ses commandements que vous observerez, c’est sa Voix que vous écouterez » (Dt 13,5).

Ecoute et voix sont inséparables l’une de l’autre. « La voix énonce à vos oreilles. » La voix de ceux dont on peut préciser le nom, Moïse en particulier, et l’écoute de ceux qui tendent l’oreille aux propos de Moïse d’autre part, sont l’une et l’autre dans un même rapport avec la voix de l’Horeb. Ecoute et voix ont la même source pour Moïse et pour le peuple : « Nous avons entendu sa voix du milieu du feu. »

Pour mieux comprendre cette relation de la Loi et de la voix de YHWH, on peut s’arrêter sur la place de Moïse. Entre la voix qu’on ne peut entendre sans mourir, le texte place la figure de Moïse. La voix de l’Horeb est inaccessible et le nom de YHWH imprononçable mais, par ailleurs, la voix humaine ne peut parler et vivre sans l’Echo d’une autre voix qu’on ne peut pas entendre. Moïse figure le franchissement de cet abîme infranchissable. Dans le Deutéronome deux mentions du Nom de YHWH se correspondent. Elles sont situées l’une par rapport à l’autre de façon symétrique. De l’une à l’autre s’opère un passage :

Au début du livre, Moïse dit : « YHWH notre Dieu nous a parlé à l’Horeb en ces termes… » (Dt 1,6)
A la fin du livre, YHWH dit à Moïse : « Appelez Josué et présentez-vous devant la Tente de la Rencontre pour que je lui donne des ordres… » (Dt 31,14)
Au milieu du livre, le texte fait de Moïse celui qui parle à YHWH : « Je priai YHWH et je dis ‘Seigneur ne détruis pas ton peuple’… » (Dt 9,25)

Le passage impossible est rendu visible. Le peuple voit Moïse entre le feu qui cache et la Voix que l’on entend : « Et moi je me tenais entre YHWH et vous, car vous aviez peur à cause du feu et vous n’étiez pas monté sur la montagne… » (Dt 5,1) Une fois franchi l’abîme, la voix entendue à l’Horeb va pouvoir se répercuter dans celle de Moïse, passer de Moïse à Josué et ensuite aux pères qui auront à raconter aux fils : « Assemble le peuple. Et leurs fils qui ne savent pas, entendront et apprendront à craindre YHWH votre Dieu, tous les jours que vous vivrez sur le sol dont vous allez prendre possession en passant le Jourdain » (Dt 31,13) Ainsi chaque voix qui s’élèvera, chaque « aujourd’hui », sera l’écho de Celui dont le Nom n’est pas « vocalisable » mais « invoqué » : la Voix de l’Autre, est, comme en écho, dans la voix qui s’élève pour rappeler la Loi.

L’histoire et la Loi

La voix de YHWH entre dans l’entretien qui se noue et qu’elle permet ; la voix humaine faisant apparaître le jour d’aujourd’hui véhicule la Loi. Celle-ci est l’effet de l’Autre Voix qui, à l’Horeb, se répercutait dans les commandements. La voix humaine se déplace de l’Horeb au pays de Moab, des steppes de Moab jusqu’aux hauteurs du Mont Nébo. Elle a franchi le Jourdain lorsque parle celui qui écrit le Deutéronome. Toutes ces voix qui se lèvent, certes, racontent des événements, des marches, des déplacements, mais, en même temps, énoncent la Loi, les préceptes et les règles. Loi et histoire sont inséparables. La Loi fait l’histoire de tout Israël et l’histoire d’Israël se produit là où la Loi se fait entendre, répercutant la voix de l’Autre. Ce lien de l’histoire et de la Loi fait le livre du Deutéronome. Du début à la fin s’opère un passage dont l’Horeb est le point crucial. Celui-ci fait apparaître le lien qui rend inséparables le temps de l’histoire et le temps de la Loi.

1) – Voici les paroles que dit Moïse à tout Israël au-delà du Jourdain… (Dt 1,1)… courage et sois fort C’est au-delà du Jourdain, au pays de Moab, que Moïse commença à exposer cette Loi en ces termes … (Dt 1,5).

2) – Je me laissai donc tomber devant YHWH pendant les quarante jours et les quarante nuit où je me laissai tomber car YHWH parlait de vous anéantir… (Dt 9,25) …C’est à la suite de YHWH que vous marcherez, c’est lui que vous craindrez, ce sont ses commandements que vous observerez, c’est sa Voix que vous écouterez, c’est Lui que vous servirez et à qui vous vous attacherez. (Dt 13,5).

3) Moïse écrivit donc ce cantique, en ce jour-là, et il l’apprit aux fils d’Israël. Puis il donna ses ordres à Josué, fils de Noun, ‘Courage et sois fort, car c’est toi qui feras entrer les fils d’Israël dans le pays que je leur ai promis par serment et moi, je serai avec toi’ ! (Dt 31,22)… Josué, fils de Noun, était rempli de l’esprit de sagesse car Moïse lui avait imposé les mains. Les fils d’Israël lui obéirent et ils agirent selon ce qu’il avait commandé. Il ne s’est plus levé en Israël de prophète comme Moïse – lui que YHWH connaissait face-à-face soit pour tous les signes que YHWH l’envoya faire au pays d’Egypte contre Pharaon, contre tous ses serviteurs, soit pour toute cette main-forte et toute cette grande terreur qu’avaient mise en œuvre Moïse sous les yeux de tout Israël. (Dt 34,9-12)


Au cœur du livre (2), Moïse tombe à terre, prostré pendant 40 jours et 40 nuits. Ce corps que rien n’alimente plus, entre vie et mort, annonce le moment dont parlent les dernières lignes (3). A partir de sa mort « il ne se lèvera plus en Israël de prophète comme lui. »

L’effacement du corps accompagne la disparition de l’écoute. Le peuple n’écoute plus la Voix que la Loi « invoque ». Alors s’abolit la vie du peuple que l’histoire du livre raconte. A la place du nom de Moïse, inséparable de la marche vers le Jourdain, le texte inscrit le corps sans voix et inerte. Par-delà cette surdité que le mutisme du corps figure aux yeux du peuple, la possibilité d’entendre resurgit au terme des quarante jours ; ainsi le récit peut-il repartir et la marche reprendre : « C’est à la suite de YHWH que vous marcherez, ce sont ses commandements que vous observerez, c’est sa voix que vous écouterez. »

Le corps prostré et muet de Moïse, en renvoyant au terme du livre, rappelle son début. Dans le moment où commence la narration, la voix de celui qui écrit fait entendre les paroles de Moïse ; elle se lève par-delà les menaces de silence et de mort qui scindent le livre en son milieu. La vie l’a emporté sur la menace et l’histoire d’un peuple est venue jusqu’au moment où le livre commence : « Voici les paroles que dit Moïse… » (Dt 1,1)

La Loi fait partie de l’histoire parce qu’elle la commande et, ce faisant, elle féconde le temps. Le récit véhicule la Loi ; cette dernière fait des sujets capables de parler et d’écouter, c’est-à-dire des fils ; les « fils d’Israël » surgissent là où la Voix suscite l’écoute : « En ces jours-là, Moïse apprit ce cantique aux fils d’Israël… » (Dt 31,22) ; « les fils d’Israël lui obéirent et agirent selon ce qu’il avait commandé » (Dt 31,22). Le temps de l’histoire, parce que temps de la Loi, fait des fils. Le livre raconte cet engendrement. Le livre enfante encore des fils « aujourd’hui » en donnant à entendre la Loi à qui veut bien l’écouter c’est-à-dire y obéir.

Notre manière de lire nous conduit à un passé que nous ne dominons pas. L’Horeb - rappelons-nous, seul lieu de l’itinéraire attaché au passé – domine celui qui parle. En mettant l’Horeb dans le passé, le narrateur se soumet à la Voix qui domine : la Voix de l’Autre qui, faisant Loi, permet qu’adviennent des sujets. Notre lecture nous conduit jusqu’à la Loi qui commande la voix du narrateur au jour où il commence son récit. Mieux que le passé qui est mort et qu’on pourrait représenter, on trouve un texte qui chante le présent où la parole surgit avec la Loi. La parole du Deutéronome est inséparable de la vie, elle fait vivre puisque, grâce à elle, ceux qui écoutent deviennent des fils.

Michel Jondot
Mis en ligne le 15 mars 2021