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Habiter le Poème
Jean Lavoué

A travers les aléas de l'histoire coule comme un ruisseau parti des sources d'eau vive dont parlait Jésus. La hiérarchie ne le voit pas toujours mais les poètes, comme Jean Lavoué, savent le déceler.

Habiter le Poème : témoignage de Jean Lavoué
Derniers ouvrages et bibliographie

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La voie du Poème

C’est le Poème qui d’abord m’emporta dans le champ de l’écriture. Le Poème, c’est la manière qu’avait l’ami Jean Sulivan de nommer l’indicible. Je dis « l’ami » parce que, bien que ne l’ayant rencontré qu’une seule fois, il a immédiatement rejoint en moi ce lieu indéracinable et sans pourquoi de l’amitié. Quand il parlait de ce Poème, dont le terme égrène ses livres, c’était aussi bien du Royaume, de non-dualité, de semence, d’Éveil, de printemps, d’Absence-Présence, de Souffle promis dont il parlait… De l’Insu, surtout ! Cette manière de s’avancer à l’obscur dans la clarté d’un non-savoir…

J’ai essayé, à ma manière, de me mettre à l’écoute de ce Poème ! Cela m’a pris des années… Et ce n’est pas fini ! Si tant est qu’avec le Poème, tout ne fait jamais que commencer ! Il en va toujours avec lui comme d’une naissance : celle-là même, peut-être, que Jésus, dans l’impuissance des mots, essayait de suggérer à Nicodème ?

Cela a donné pour moi des jours d’abandon confiant à l’éclat des rencontres, aux mots qui en naissaient, aux silences qui s’ouvraient entre eux, aux instants généreux. J’ai d’abord commencé par écrire un journal de ces moments favorables, de ces « éclats de l’instants », de ces « kairos » : traces jubilatoires qui ne faisaient, au fond, que creuser davantage en moi l’impartageable secret. Le moine zen chrétien, Vincent Shigeto Oshida, né dans une famille bouddhiste au Japon, parlait à ce sujet de paroles-événements ou de paroles-rencontres…

C’est alors que sont nés aussi quelques écritures poétiques... Je les ai recueillies et partagées. Un premier petit livre est né : Soleil des grèves. Une porte ouverte, là encore, grâce à des signes d’amitié et de fraternité…

Puis, au milieu d’une brassée d’autres petits recueils de poésie, quelques tiges plus fortes se sont un jour ou l’autre imposées : des récits en prose qui cherchaient à exprimer au grand jour les quelques figures fraternelles qui m’habitaient : Jean Sulivan, Georges Perros Perros, Félicité de Lamennais, Xavier Grall…

L’écriture poétique à chaque fois reprenait ses droits. Elle habitait d’ailleurs aussi la terre de ces proses figuratives qui parfois en jaillissaient. Cela donnait des livres toujours un peu hybrides, entre poème et méditation, ferveur et intériorité…

Un jour, de cet arbre d’écriture qui commençait ainsi à déployer ses branches, trois nouveaux livres sont nés. Ils n’étaient plus d’abord le fruit de ces figures intérieures qui m’habitaient, bien qu’elles y soient toujours présentes en filigrane. Il s’agissait plutôt d’une sorte de bilan de mes propres croyances : journal de l’intériorité ; méditation sur le christianisme, tel qu’il m’avait façonné et tel que je le voyais évoluer…

Il se trouve que l’institution catholique elle-même aura connu, à ce moment, une sorte de tremblement de terre, en résonance avec le centre vibrant et vivant de ces méditations personnelles. Un événement inattendu et imprévu : l’arrivée d’un nouveau pape venant consonner étrangement avec ce murmure en moi du Poème.

Les deux derniers de ces ouvrages ont été composés, l’un, « L’Évangile en liberté », et l’autre, « La vie comme une caresse », respectivement en vue et à partir du colloque qui nous rassemblait, au printemps 2013, à St-Jacut de la Mer pour célébrer le centenaire de la naissance de Jean Sulivan. Au moment même où le conclave à Rome se trouvait réuni pour nous annoncer bientôt l’élection de ce nouveau pape : François.

Beaucoup s’évertuent à dire qu’une hirondelle ne fait pas le printemps… mais une hirondelle, tout de même, qui semble pourtant prendre tout à coup à cœur ce style de la confiance évangélique pour chacun, ce ton neuf qui consonne avec l’immense miséricorde du cœur de Dieu pour l’humanité blessée.

J’y ai vu, pour ma part, comme beaucoup d’autres, une confirmation de cette voie d’enfouissement dans la terre du monde, veine à la fois d’intériorité et d’exode, dont j’avais ressenti l’urgence en écrivant juste avant l’événement : L’Evangile en liberté.

Camper aux marges

Ce changement profond de ton à la tête de l’Église, n’a fait ainsi qu’authentifier ce mouvement d’Exode qu’avec beaucoup, depuis la fin des années 70, nous avions ressenti comme vital concernant la structure institutionnelle de l’Église catholique : une conception trop mentale, extérieure, pyramidale et totalisante de l’autorité nous paraissait aller trop à l’encontre de l’intuition prophétique, elle-même, du Concile Vatican II : remettre le peuple des baptisés au cœur de la réalité ecclésiale. Relativiser la différence entre clercs et laïcs. Le sursaut clérical, particulièrement marqué à partir de la fin des années 1970, ne fera qu’encourager un nombre croissant de chrétiens à chercher « au dehors » ce qui les ferait davantage goûter la saveur de l’Évangile. Ce qu’avait perçu très tôt Jean Sulivan et d’autres encore comme Michel de Certeau ou encore, le jésuite à l’époque, François Roustang, l’auteur en 1966 de ce fameux « troisième homme » indifférent aux querelles ecclésiales et qui fit tant de bruit à l’époque : il vient de nous quitter après une vie entière consacrée à prendre soin de l’humain…

Nous ne pouvions pas nous accommoder de cette chape de certitude et de tristesse qui s’était abattue sur le christianisme, comme l’écrivait dans son testament spirituel, L’inconnu me dévore, Xavier Grall. Et nos enfants, nous le savions, le pourraient encore moins que nous.

Aussi nous a-t-il fallu apprendre à camper aux marges afin de mieux nous trouver au cœur et y trouver des frères et des sœurs de plus en plus nombreux. Entretenir l’écart pour mieux goûter l’alliance, comme l’écrivait encore Sulivan dans ses notes posthumes.

L’Évangile de l’intériorité

La question de la rencontre interreligieuse se trouve au cœur des mouvements de fond du christianisme contemporain. Nous ne pouvions plus nous contenter d’une vision autocentrée et exclusive de l’expérience spirituelle chrétienne, quand nous avions tant reçu, par ailleurs, d’autres traditions comme l’hindouisme, le zen, le tao ainsi que des pratiques corporelles qui les accompagnaient.

De même nous étions trop témoins des expériences mystiques chrétiennes profondes, qui surgissaient en dehors de toute référence à la structure institutionnelle ecclésiale pour ne pas témoigner de cette réalité à l’œuvre : au contact d’autres cultures et d’autres réalités humaines, une nouvelle appropriation, éloignée de la culture gréco-romaine qui avait donné sa figure achevée à l’Église catholique romaine, était en train de naître.

Peu visible, voire déniée et méprisée par les tenants d’un renforcement d’une vision exclusive de la foi chrétienne, elle s’avérait pourtant bien vivante : c’est de ce surgissement de formes inédites de la voie évangélique dont j’ai surtout voulu témoigner dans ce dernier livre, La vie comme une caresse (Médiaspaul 2016).

L’expérience intime de nombreuses femmes, en particulier, pour lesquelles la voie de la religion de leur enfance se trouvait comme barrée du fait des jugements moralisateurs que celle-ci ne cessait de porter sur leurs modes de vie, semblait ouvrir pour elles des chemins insoupçonnés vers la vie intérieure et la spiritualité. L’occasion aussi pour moi de rendre hommage dans ce livre à quelques figures féminines dont le prophétisme et la liberté me touchaient : Etty Hillesum, Christiane Singer, Magada Hollander-Lafon, déjà présentes, mais de manière plus discrète, dans les précédents ouvrages.

Aujourd’hui je partage avec des auteurs comme John Martin Sahajananda, successeur d’Henri le Saux à l’ashram du Shantivanam, ou comme Raimon Panikkar que rencontra également Jean Sulivan lors de son voyage en Inde, ou encore Jean-Marie Martin, explorateur de l’Évangile de Jean, cette nécessité de trouver d’autres mots pour tenter dire cette nouvelle réception de l’Évangile qui est en train de se manifester. C’est à partir d’un retour à la source évangélique même, ou bien grâce au regard renouvelé d’autres révélations spirituelles que s’entreprend aujourd’hui une autre écoute de la Bonne Nouvelle. Il n’est pas certain que par-delà la chrétienté ou le christianisme, les mots de Christophanie auquel se réfère Raimon Panikkar ou bien de Christité
(1) qu’emploie de son côté Jean-Marie Martin soient les plus appropriés pour qualifier ce surgissement actuel d’une autre réalité en rapport avec l’Évangile. Je pense que Jean Sulivan cherchait à désigner quelque chose d’analogue, quand il parlait du Poème, en fuyant tout mot qui serait encore porteur d’une sonorité trop religieuse. Il avait lui-même souffert de l’usure des mots de la tribu.

Une Bonne Nouvelle par-delà les cultures

L’enjeu pour chacun est, au fond, de parvenir à goûter l’Évangile en dehors de la pensée gréco-romaine qui n’a fait qu’encager le souffle évangélique dans une structure mentale qui, au fil des siècles, a fini par en obstruer, pour le grand nombre, la source.

Aujourd’hui, grâce en particulier aux déplacements opérés par les échanges entre les spiritualités, c’est au centre de nous-mêmes, au centre de la communauté humaine, au centre de la réalité que pourrait s’envisager cette autre réception de l’Évangile. Nous aurions ainsi un autre accès, ou une autre réponse possible à la fameuse question adressée au Christ dans l’Évangile de Jean : « où demeures-tu » ? On se trouverait ainsi éloignés de ces représentations d’un Évangile devant d’abord se traduire en société de Dieu (chrétienté) ou encore en vérité valable pour tous et capable de s’imposer parmi les innombrables idéologies de domination ayant fleuri depuis la Renaissance (christianisme)…

C’est plutôt dans la chair du monde que l’Évangile serait désormais reçu. En capacité d’accueil de toute femme et de tout homme, quelles que soient sa culture, ses convictions… Sans chercher à arracher qui que soit à sa culture propre, native, mais bien plutôt en cherchant par une attitude bienveillante à ouvrir cette dernière à cet au-delà de toute culture qu’elle recèle : le Royaume dont parle le Christ, là où Père et Fils dans le même Souffle ne font qu’un, là où un et deux ne sont pas séparés. Il n’est pas étonnant que les passerelles avec l’Orient non-dualiste aient favorisé cette expression contemporaine d’une autre réception de l’Évangile : en dehors précisément de toute culture, tel qu’il fut reçu par ses premiers témoins, pour rejoindre en tout homme ce noyau d’indicible présence du divin.

Fécondité des petits groupes

Je continue ainsi à cheminer en écriture, avec cette conviction d’une parole adressée aujourd’hui à tout homme. J’ai la chance de partager avec plusieurs petits groupes cette approche poétique de la Bible : l’un s’appelle, par exemple, Bible et poésie, un autre Tao et Bible… Dans chacun de ces groupes, l’ouverture et la sensibilité aux autres spiritualités sont présentes. Comme l’attention à toutes les recherches de sens de notre culture contemporaine : littérature, cinéma, art… Tout porte la trace de ce Poème qui vient à nous et qui nous invite à demeurer en lui.

Si je souligne l’importance de ces petits groupes, c’est qu’ils me paraissent essentiels dans la réception comme dans la diffusion de cette nouvelle manière de vivre avec l’Évangile. Ces communautés de base, jaillies de l’intuition même de Vatican II et qui ont eu bien du mal par la suite à se maintenir et à percer sous le poids du centralisme et des interdits : et bien elles ont fini par s’imposer partout ailleurs, et il serait temps que la conception autocentrée de la vérité chrétienne cède devant cette évidence que nulle institution, à différer sans cesse ses propres transformations, ne peut prétendre avoir le monopole du Souffle toujours nomade de l’Évangile.

Le chemin de la poésie

Peut-être que la poésie resterait au fond une forme envisageable pour tenter de dire cette Bonne Nouvelle que tant de mots trop religieux ont fini par recouvrir. N’est-ce pas la voie même de la parabole évangélique ?

C’est un chemin qu’avec bien d’autres je me propose de suivre, jour après jour, sur mon blog de poésie : L’enfance des arbres.
http://www.enfancedesarbres.com/

Parmi les figures auxquelles je reviens souvent, il y a celle du petit poète de province, René Guy Cadou, mort à Louisfert (Loire-Atlantique) à l’âge de 31 ans en 1951. C’est un poète non religieux et non chrétien, auquel le prêtre de la paroisse refusa les sacrements, le jour de ses obsèques, un vendredi saint. Il était mort, trois jours avant, le jour du printemps : c’était un instituteur laïc. Il n’était pas marié religieusement. En chrétienté comme en christianisme, cela ne faisait pas le poids… Tout le bon droit se trouvait du côté du curé de cette paroisse ! Mais c’est un moine poète de l’abbaye de Solemmes qui vint de toute urgence à Louisfert saluer, dit-il sur le seuil de sa chambre, un Prince.

René Guy Cadou est pour moi le poète de la Bonne Nouvelle par excellence, celui qui demeure, du début à la fin de sa courte vie, dans cette « Christité », tout en nommant cette dernière le moins possible. Mais tout est là pour la célébrer : l’amitié et la fraternité, la nature, la femme aimée, et jusqu’à la souffrance de la maladie qui accompagna son écriture jusqu’à la fin. Voici un homme demeurant vraiment dans la chair du Poème

Philippe Forcioli
(2) vient de réaliser un magnifique triptyque consacré à la poésie de ce petit Prince du Poème. Une merveilleuse idée de cadeau pour accueillir Celui qui, sous les traits d’un enfant pauvre, vient demeurer chez nous. .

Jean Lavoué
Peintures : Chemin de Croix de Dominique Penloup

1- Voir le site très complet consacré à son enseignement : http://www.lachristite.eu/ / Retour au texte
2- Site : Philippe Forcioli (pour la souscription ouverte jusqu’au 31 décembre 2016, cliquer sur le lien : Le Cadou est paru) http://sitephilippeforcioli.free.fr/ / Retour au texte

Derniers ouvrages




La vie comme une caresse, Médiaspaul, 2016

L’Évangile en liberté, Le Passeur Éditeur, 2013

La voie libre de l’intériorité, Éditions Salvator, 2012

Bibliographie (cliquer sur le titre)