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Gaza
Christine Fontaine, Michel Jondot

Devant les événements de Gaza, bien des chrétiens dénoncent les erreurs politiques ou les intentions malignes du Hamas. Nous ne discuterons pas cette question. Mais nous voulons dire notre double inquiétude (mis en ligne le 4/08/2014).

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Le judaïsme est en danger

Israël a peut-être raison d’assurer sa sécurité mais il n’a pas le droit de déployer une armée pour écraser des écoles, des mosquées, des enfants innocents, mépriser des fêtes religieuses, fausser les accords de trêve. Le spectacle des actes commis dans un coin de terre minuscule transformé en prison à ciel ouvert est inadmissible. En 1996, au Sud Liban, musulmans, sunnites ou chiites, chrétiens arabes de toutes confessions, se recueillaient et, dans le Liban tout entier, la voix des muezzins et les cloches des églises se mêlaient pour crier leur plainte et en appeler à la prière pour les morts. L’opération « plomb durci » avait brutalement abattu quatre-vingt-dix-huit personnes, hommes, femmes ou enfants. Nous retrouvons les cris de souffrance d’un israélien, juif croyant : « Nous avons donné la mort de loin, d’une manière totalement séculière. Sans l’idée archaïque de péché, sans le souci antédiluvien de considérer tout homme à l’image de Dieu et sans l’interdit primitif du tu ne tueras point. » (Cf. Libération, mardi 21 mai 1996).

Bien sûr nous souffrons avec les victimes de Gaza. Mais nous souffrons aussi avec les vrais Juifs d’Israël, ceux qui sont, à la suite d’Abraham, à l’écoute de leur Seigneur. Prions pour les Juifs « à qui Dieu a parlé » ; prions pour tous ceux qui se veulent artisans de paix. Prions pour les jeunes militaires contraints à agir en meurtriers. Prions pour tous les Israéliens et pour les Juifs dispersés dans le monde qui souffrent du comportement barbare d’Israël. Que tous se souviennent de l’hospitalité d’Abraham !

Les chrétiens d’Occident sont en danger

On a raison de souffrir avec les chrétiens d’Irak et du Proche-Orient. Veillons aussi à ceux d’Occident.

En mai 1998, quelques chrétiens de « Dieu maintenant », en collaboration avec des amis musulmans des Hauts-de-Seine, avaient invité Monseigneur Khodr, métropolite du Mont-Liban, pour rencontrer les jeunes arabes des banlieues. On lui a posé la question : « Que pensez-vous du problème isarélo-palestinien ? » L’année précédente, les évêques français se réunissaient au mémorial de Drancy pour un acte de repentance, demandant pardon pour leur timidité pendant les années d’occupation. Certes, le drame palestinien n’a pas les mêmes proportions que ceux des camps de concentration mais il est taillé dans la même étoffe, à en croire la réaction de Monseigneur Khodr : « Oublier la situation injuste faite au peuple palestinien c’est mettre en péril le salut de son âme ». Quel responsable, dans l’Eglise de France, se souvient de ses propos ?

Peut-on se considérer disciple de l’Evangile lorsqu’on pactise sciemment avec un peuple qui use de sa force au mépris de la justice ? En 1967, après qu’Israël a dépouillé la Palestine de ses territoires, catholiques comme protestants ont rivalisé pour nouer des relations amicales avec le monde juif. La Conférence épiscopale de France, en 1973, a produit un texte qui sert de charte au dialogue judéo-chrétien dans notre pays. L’acquisition de la terre de Palestine par Israël, d’après ce texte, est la preuve de la fidélité de Dieu à ses promesses. Le rassemblement du peuple juif sur la terre de la Bible « constitue de plus en plus pour les chrétiens, une donnée qui peut les faire accéder à une meilleure compréhension de la foi et éclairer leur vie ». En écho à ces propos, le synode évangélique de Rhénanie, affirme en 1980 : « La pérennité du peuple juif, son retour dans la terre de la promesse et aussi la création d’Israël sont des signes de la fidélité de Dieu envers son peuple. »

Se rend-on compte que, tenant de pareils propos, on écarte les Palestiniens chrétiens de l’Eglise plus sûrement que les Israéliens ne les écartent de leurs foyers ? Le Dieu des prophètes, le Dieu de Jésus, serait le Dieu de leurs ennemis ! Comment peuvent-ils continuer à lire la Bible si c’est pour y découvrir que vivre sur la terre où sont nés leurs ancêtres c’est faire injure à Dieu ? Et nous, chrétiens d’Occident, pouvons-nous croire nos évêques lorsqu’ils nous disent que cela doit « éclairer nos vies » !

La vie en société est en danger

En réalité, la manière de coexister humainement est en danger dans la façon dont l’Occident chrétien risque de lire la Bible. Les hommes ont en eux-mêmes la capacité de créer les conditions de vivre en commun. Des politiques diverses, plus ou moins heureuses, sont possibles. Il en va de la manière de vivre ensemble comme de la raison chez Pascal. Elle se doit de reconnaître ce qui la dépasse faute de quoi elle s’enferme dans le totalitarisme. La parole de Dieu invite à ouvrir les yeux sur ce dépassement pour aller de l’avant, comme Abraham. Les Juifs qui croient que leur Seigneur justifie leurs initiatives, les chrétiens qui considèrent comme sacré le devenir d’Israël, font-ils autre chose que ce que fait tout dictateur attribuant à son peuple un caractère sacré ? En réalité le Dieu d’Israël, le Dieu de Jésus, empêche une société ou une religion de se replier sur soi au mépris de ce qui les entoure ou les menace. Agir autrement revient à sombrer dans l’idolâtrie et le peuple des prophètes a pour vocation d’en préserver le monde.

***

Nous aimons ces paroles d’un Israélien, Y. Leibowitz, qui a eu le génie de retrouver la langue des prophètes pour définir la place du juif dans l’histoire des Nations. Les méditer peut nous conduire à trouver le chemin qui nous permettra, fils et filles de l’Eglise, d’aimer ceux qui aujourd’hui nous font mal.

« Le peuple historique juif historique ne fut défini ni comme une race, ni comme le peuple de tel ou tel pays ou de tel cadre politique, ni même comme le peuple qui parlerait telle langue, mais comme celui du judaïsme de la Torah et de ses commandements, le peuple d’un mode de vie spécifique aussi bien sur le plan spirituel que sur le plan pratique, mode de vie qui exprime l’acceptation du joug du Royaume des cieux, du joug de la Torah ».

Christine Fontaine, Michel Jondot
Peintures de Michaël Sorne