Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour à "Avec des amis" Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site

Attique, mon ami pakistanais
Une rencontre parmi les plus belles
Jean-Michel Cadiot

Jean-Michel Cadiot vient de nouer une amitié par-delà toutes les frontières, y compris celles des religions. Cette rencontre dont il nous fait part peut raviver l'espérance. Malgré ce que voient nos yeux, l'amour couve dans l'humanité comme le feu sous la cendre.

Jean-Michel Cadiot est journaliste et membre de l'équipe animatrice "Dieu Maintenant".

(0) Commentaires et débats



Deux religions d'amour et de fraternité

Les rencontres sont le lot, la joie quotidiennes de la vie. Elles nous forgent, elles nous forment. Comment vivre sans connaître des êtres nouveaux, sans élargir constamment notre horizon ? Cette année 2012, j'ai eu le privilège de devenir l'ami - et je crois que cela durera longtemps, où que nous nous trouvions - d'un homme exceptionnel qui réconcilie avec l'humanité, et nous fait aimer Dieu. Et qui nous montre que christianisme et islam sont et doivent être deux religions d'amour et de fraternité.

Un matin de février, un prêtre arménien d'Arnouville, commune voisine de Sarcelles où je me rends souvent pour différents engagements, me dit, avec quelque anxiété, avoir eu la visite impromptue d'un jeune Pakistanais musulman qui lui semblait perdu, et dont le récit l'avait touché. Mais à part l'écouter et lui glisser un peu d'argent car il le sentait dans le besoin, que faire ? Connaissant mon appartenance à une association d'aide aux minorités d'Orient (AEMO), il me propose de le rencontrer.

Le contact est pris immédiatement, dans un café de Sarcelles. C'est un grand gaillard de 35 ans, qui ne parle pas un mot de français. Il n'appartient à aucune "minorité" étant musulman, et entendant le rester. Mais il a accompli un acte d'un courage inouï, qui me donne envie de l'aider. Il a risqué sa vie pour aider ses amis chrétiens, dans son village proche de Lahore. Mais sa famille et surtout certains de ses voisins, proches et lointains, extrémistes islamistes, lui en ont voulu, au point de tenter de le tuer. Pour sauver sa vie, il y avait alors moins de deux semaines, il avait dû abandonner sa jeune épouse et leurs deux enfants dont l'un en bas âge. Direction : la France, où un ami, soi-disant, pouvait l'accueillir à Pierrefitte, près de Sarcelles justement. Mais cet ami, il ne le verra jamais. A-t-il existé ?

Au risque de la solidarité inter religieuse

Ecoutons Attique, tel qu'il narre sa mésaventure dans un texte - expurgée de ce qui pourrait aider ses adversaires à l'identifier - qu'il ne fournira finalement pas, et qui était destiné à justifier sa demande d'asile, car Attique a décidé de rentrer chez lui, fin août, après six mois d'errance et d'espérance, s'étant réconcilié avec son père, lui aussi devenu cible des extrémistes, et choisissant d'affronter l'avenir et ses terribles dangers aux côtés des siens.

"Je suis né le 1er octobre 1976" près de Lahore et j'ai grandi dans mon village avec mes parents qui sont agriculteurs. Ils ont assez de terrain, et nous y travaillions, ce qui subvenait à nos besoins. En 1993, je suis allé au collège. Mais mes parents ne gagnaient pas suffisamment pour le payer et j'ai dû rentrer au village, faire des ménages, afin de mettre de l'argent de côté. En 1998, je suis parti à Lahore. J'ai étudié au Collège F.A Highcome. J'habitais dans un foyer. J'ai eu mon baccalauréat en 2000. De 2000 à 2004, je suis à nouveau retourné (au village), parce que je ne trouvais pas de travail. En 2005, je suis parti à Dubaï où j'ai trouvé un emploi de caissier dans un hôtel. Là-bas, j'ai rencontré une jeune fille philippine, chrétienne, Janiza, mais mes parents ont refusé que nous nous mariions. J'ai fait des aller-retour entre le Pakistan et Dubaï, et en 2007, je me suis marié dans mon pays, et j'ai eu mon premier enfant, ma fille Maha. Mais en 2009, mon travail à Dubaï a pris fin. Je suis retourné au Pakistan, mais suis resté sans emploi jusqu'en 2010."

"En 2010, j'ai trouvé un travail en Arabie saoudite, un emploi de bureau dans une petite entreprise. Cela a duré neuf mois, et j'ai dû à nouveau retourner au Pakistan. J'ai donc vécu à nouveau en famille, chez mes parents, avec mon épouse et ma fille. Nous n'avions pas de problème dans notre vie de famille. Les difficultés sont apparues quand des gens sont passés à la maison et ont demandé si nous pouvions les aider financièrement pour avoir un lieu de prière. C'étaient des chrétiens, il y en a dans notre ville, mais ils n'y ont pas d'église ou de chapelle. J'avais des amis chrétiens à l'école. Je leur ai parlé justement d'un ami chrétien, Youssef, et leur ai suggéré d'établir un tel lieu de prière chez cet ami. Ils m'ont demandé d'aider à aménager ce lieu de prière chez Youssef. "Combien peux-tu mettre ?", m'ont-ils dit. J'en ai parlé à mes parents. Ils m'ont répondu: "Nous sommes musulmans. Tu ne peux faire ça. Il te faut aider des musulmans." Puis j'en ai parlé à mon épouse, qui a tout à fait accepté cette idée. Le 25 juin 2011, j'ai donné 36.000 roupies (310 euros à l'époque), en liquide, à ces chrétiens. Ils m'ont donné un reçu.

Le dialogue a ses martyrs !

"Mais quelque temps plus tard, Youssef est venu me voir, me demander si d'autres pourraient les aider, en suivant mon exemple. Alors des gens de la ville sont venus à la maison, et s'en sont pris violemment à moi: "Pourquoi as-tu fait ça ? Tu ne fais rien pour les lieux de prière musulmans, et tu aides les chrétiens", m'ont-ils reproché. Puis, le 28 juin 2011, à nouveau des gens sont venus chez mes parents, et ont redoublé de reproches à mon encontre. Ils m'ont sommé de reprendre l'argent que j'avais donné et de le donner à une mosquée ou un lieu de prière musulman. Ils ont dit à mon père : "S'il ne rend pas l'argent, on s'occupera pas de lui." Et mon père s'est alors fâché contre moi. Il m'a frappé et m'a dit de reprendre l'argent, d'obéir aux gens qui étaient venus. "Si tu ne reprends pas l'argent, tu quittes la maison, et je renvoie ta femme et ta fille", m'a-t-il dit.

"Puis, mon frère ainé (j'ai cinq frères et quatre soeurs) est venu, furieux, à la maison, pour me demander si j'avais repris l'argent. Mon père et mon frère ont discuté ensemble. J'ai entendu ce frère dire à mon père : "S'il ne reprend pas l'argent, renvoie-le, lui et sa femme. C'est comme s'il était devenu chrétien." Le 30 juin 2011, ce frère est revenu à la maison. Il a frappé, je lui ai ouvert. Il était accompagné d'un de ses amis de la ville. Il m'a dit : "C'est la dernière fois que je te demande de reprendre ton argent". J'ai répondu : "Non, je ne le peux pas." Alors mon frère et cet homme m'ont frappé durement, j'avais des bleus au visage, la machoire abîmée, des dents cassées, une blessure au crâne. Personne ne m'est venu en aide. Mon père n'a pas bougé. Mon épouse, qui était dans notre partie de la maison, séparée du reste, a entendu, a pleuré, est venue supplier mon frère d'arrêter. Mon frère a continué de me frapper et a dit à ma femme : "Rentre dans ta chambre, sinon, je te tue". Puis, quand les coups ont cessé, ma femme m'a aidé, m'a ramené à la maison. J'étais très mal, tout ensanglanté. Mais nous n'avons pas osé appeler le médecin.

"Le 1er juillet 2011, je suis passé au commissariat de police porter plainte contre mon frère et les autres agresseurs. La police n'a pas arrêté mon frère. Un policier m'a dit : "C'est mieux que tu reprennes l'argent, et nous pourrons trouver un accord avec les gens qui t'ont attaqué". Mais je n'ai pas eu peur de la police, et je n'ai pas repris mon argent. La police ne m'a pas aidé. Elle a discuté avec les gens de la ville, souhaitant que je parte, sans quoi aucun compromis n'était possible. Ce même jour, quand j'ai vu que je n'aurais aucune aide de la police, je suis parti avec mon épouse et mes enfants chez mes beaux-parents. Tout le monde m'a recherché. Ils ont su où j'étais. Des gens sont alors venus chez les parents de ma femme. Ils nous ont attaqués, ma femme, enceinte de notre deuxième enfant, et moi, mais nous n'avons pas été blessés. Mais ils ont tout cassé à la maison. Nous sommes alors allés chez ma belle-soeur, dans la même ville. J'ai vendu un terrain que je possédais, de 350.000 roupies, pour m'acheter un visa Schengen à destination de l'Espagne, et un billet pour la France. Je suis arrivé à Barcelone le 25 janvier 2012. J'y ai vécu onze jours, ayant terriblement froid. Et, le 6 février 2012, je suis arrivé à Paris, dormant dans une gare. Je pensais aller à Pierrefitte retrouver quelqu'un, mais je n'ai pu contacter personne.

"Je suis donc resté deux jours dans cette gare. Rencontrant un Pakistanais, je lui ai demandé de l'aide, car je n'avais ni argent, ni toit pour dormir. Il m'a emmené chez lui, à Arnouville, et m'a beaucoup aidé. J'ai été à l'église arménienne d'Arnouville où le curé m'a reçu et aidé. Depuis, je suis logé chez des Pakistanais, à Arnouville, Villiers-le-Bel ou Sarcelles, mais ils me demandent de l'argent, et ce sont des situations qui ne sont pas durables. Mon épouse et mes enfants sont cachés par ma belle-soeur, et j'ai de temps en temps des nouvelles au téléphone. Ils ne sont pas complètement en sécurité. Si je rentre au Pakistan, il est évident que je risque la mort dès le premier jour."

Ce récit, où il omet à dessein de dire qu'il a beaucoup donné aussi, à la mosquée, date du 15 avril. Nous nous voyions chaque semaine, seuls ou avec des amis français, pour discuter ou prier. Nous étions quelques-uns à l'aider financièrement, à lui donner des vêtements. L'Eglise épiscopalienne aussi l'a aidé. Son drame, c'est qu'à ses amis pakistanais, - qui l'hébergeaient, le nourrisaient presque tous les jours, et dont beaucoup ont été extrêmement bons pour lui - il ne pouvait dire la raison exacte de sa présence. Pourtant plusieurs l'ont compris. Et malheureusement, deux d'entre eux l'ont, un jour, violemment agressé à Villiers-le-Bel, fin avril. Attique a été hospitalisé cinq heures à l'hopital de Gonesse. Il en porte encore des traces.

Il a obtenu, non une vraie régularisation, mais une autorisation de séjour sous forme de "demande écrite de rendez-vous", chaque mois à la préfecture de Créteil, car il était domicilé à France Terre d'Asile de Créteil. Les services de la préfecture attendaient de savoir, si l'Espagne, où il avait séjourné quelques jours avant de venir en France, acceptait sa demande d'asile, en vertu des Accords de Dublin qui commandent qu'un demandeur fasse ses démarches dans le premier pays visité.

"Je suis heureux de n'avoir pas cédé !"

Fin août, son épouse lui apprend que la situation n'est plus tenable, et qu'il doit joindre son père au téléphone. Ce dernier lui explique avoir été lui-même agressé par des "pro-al Qaïda" et "comprendre son fils". Ce sont d'émouvantes retrouvailles. Son père et sa mère n'étant plus des "ennemis", - son frère ainé, hélas, le reste - Attique décide, après une longue réflexion, de retrouver les siens, la chaleur familiale qui lui manquait affreusement.

De la France, il garde un bon souvenir, les amis qu'il a découverts, la beauté de Paris, un goût de liberté. Mais aussi la dureté de l'exil et le souvenir de ces jours où, sans un euro en poche, il devait marcher 15 km pour aller à Paris. Ou ces soirées de ramadan où il n'avait rien pour la rupture du jêune...

"Je remercie la France, je remercie Dieu. Une nouvelle vie commence. Je suis heureux de n'avoir pas cédé en janvier, malgré les menaces. De toute façon, je ne cèderai pas et continuerai à aider les chrétiens. Nous avons un même Dieu", disait-il lors de notre dernière conversation, le jour de son départ, le 28 août.

"La vie des chrétiens est très dure au Pakistan. Je pense à Asia Bibi, condamnée à mort, et à la petite Rimsha, accusée d'avoir blasphémé, alors qu'elle ne sait pas lire. A l'école, il n'y avait pas de différences entre musulmans et chrétiens. Nous étions amis. Nous devons le rester. Et aider des chrétiens n'est pas un crime au Pakistan", a-t-il ajouté.

Pour moi, Attique est de ces personnes d'avant-garde, d'exception qui, par leur comportement, peuvent démentir les présages les plus catastrophiques, apporter un peu de lumière. Je ne sais si je le reverrai à Lahore, dans une autre ville du Pakistan ou en France. Mais ce fut un "au revoir", jamais un "adieu".

Jean-Michel CADIOT
Calligraphies de Abdallah Akar