
Un aspect de votre œuvre concerne la religion. Le déclin du christianisme vous paraît-il inéluctable ?
Rien n'est inéluctable dans l'histoire, et on ne compte plus les morts ressuscités qu'on a enterrés un peu prématurément. Ce qui a disparu dans les dernières 
décennies, c'est ce qu'il restait du christianisme politique, c'est-à-dire l'ambition du pouvoir religieux d'exercer un rôle d'englobement normatif 
de la collectivité. A disparu aussi le christianisme sociologique, à l'orée des années 1960 : le christianisme paroissial qui se vouait à l'encadrement 
des communautés et du cycle de vie. Mais il reste la vitalité de la foi chrétienne. La nouveauté, c'est qu'elle est minoritaire, alors qu'avant elle était 
le cadre. Cela produit une situation intellectuelle totalement nouvelle : toutes les conditions dans lesquelles s'est défini historiquement 
le christianisme, sur un plan théologique ou pastoral, ont changé. Mais la place est ouverte pour une réinvention de la foi chrétienne dans sa 
manière de s'énoncer, dans les horizons qu'elle donne à ses pratiques, dans le rôle qu'elle entend jouer dans la cité. A beaucoup d'égards, 
tous les éléments sont réunis dans nos sociétés pour une réactivation du religieux, dans de nouveaux rôles très éloignés de ceux du passé.
Mais quel sens revêt votre dialogue avec la religion ?
Le christianisme est quand même la matrice culturelle du monde dans lequel nous sommes, et si l'on n'a pas cette mémoire, je ne vois pas 
bien ce que l'on peut y comprendre. Par ailleurs, le débat entre laïcs et religieux est derrière nous, sauf pour quelques acharnés. La vraie ligne 
de clivage, aujourd'hui, passe, au-delà des familles politiques, entre ceux pour lesquels la réflexion sur l'aventure humaine est plus que 
jamais nécessaire, et ceux qui la considèrent dépassée, pour lesquels la prospérité, l'hédonisme ou une certaine liberté apportent des réponses 
à tout. Tout laïc que je puisse être, je me sens beaucoup plus proche de l'esprit religieux que de beaucoup de laïcs qui me semblent à la dérive dans 
une sorte d'inhumanisme spontané, cette pente de nos sociétés à l'incuriosité, l'inculture et à la déculturation. Beaucoup appellent "spirituel" le fait 
de continuer à creuser le mystère humain. C'est un mot dans lequel je me reconnais tout à fait.
Propos recueillis par Gilles Heuré et Olivier Pascal-Moussellard 
 
 Pastel de Pierre Menevalle