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Inconscience de la hiérarchie catholique en France ?
Christine Fontaine

La photo de cet évêque – en l’occurrence Mgr Crépy, évêque de Versailles – présidant une célébration a suscité de vives réactions sur la page Facebook de Christine Fontaine. Pour les uns, cette photo représente une situation normale voire banale ; ils s’étonnent qu’on puisse s’y arrêter et plus encore la critiquer. Pour d’autres, dont Christine, elle représente, parmi bien d’autres signes, un retour de la sacralisation du pouvoir hiérarchique dont elle regrette la banalisation.

Nous résumons les échanges qui ont eu lieu sur la toile pour permettre à ceux qui le veulent de se situer dans ce débat. Nous précisons que, sauf exception, les intervenants ont tous été respectueux d’autres points de vue que le leur… Une preuve que, malgré tout, on peut encore débattre dans l’Église catholique malgré des divergences profondes !

(7) Commentaires et débats

Mise en ligne de la photo sur Facebook

La photo de cette liturgie présidée par Mgr Crépy a été portée à ma connaissance par un prêtre, théologien du diocèse de Lyon qui ajoutait ce commentaire : « Les porte-insignes ont été réintroduits il y a seulement quelques années. En France, ils avaient disparu. Mais la réforme contre le cléricalisme et pour plus de simplicité est, comme on le voit, une préoccupation majeure de nosseigneurs les évêques. Saint Jean Eudes, acteur de la Réforme Catholique, doit se retourner dans sa tombe. Après, on dit que ce sont les jeunes prêtres qui sont tradis. Ils ont juste écouté la voix de leurs maîtres... »

Ce à quoi, j’ai répondu en mettant cette photo sur ma page Facebook : « Merci d’avoir mis en ligne cette photo et de vous en être scandalisé. D’où sort cet habit liturgique que porte les enfants qui ressemble à une étole leur recouvrant les mains, Malgré les recherches faites, je n’en trouve trace nulle part. C’est peut-être une trouvaille de Mgr Crépy… Toujours est-il que cet évêque trouve bon de faire porter ces « gants » aux enfants de chœur comme si leurs mains n'étaient pas assez pures pour porter les insignes de son pouvoir sacré. Quand on sait ce que des évêques et des prêtres font avec leurs mains sur le corps des enfants... Il faut quand même oser !
C’est ce même évêque qui a écrit : La foi à l’épreuve de la toute-puissance, lutter contre les abus dans l’Église (1). Il a présidé la cellule permanente de prévention et de lutte contre la pédophilie de la Conférence des Évêques de France. Quand quelqu’un ne se rend pas compte qu’il est en train de faire lui-même ce que par ailleurs il dénonce, ne faut-il pas s’écrier : ATTENTION DANGER ! »

Trois quarts des commentateurs désapprouvent ce rite

Environ 160 commentaires ont suivi, ce qui est considérable pour une page que j’entretiens très peu (2). Au moins les trois quarts des intervenants ignoraient cet usage liturgique et le désapprouvent. Le commentaire qui suit me semble représentatif des autres : « Le principe du voile huméral transposé aux enfants de chœurs... Ben tiens ! L'Église en tant que hiérarchie est en pleine décrépitude mais on invente une "mode" ecclésiastique digne de Fellini, avec le prix qui va avec ! Et la Parole de Dieu dans tout ça ? Déjà que le voile huméral pour les saintes espèces ou l'ostensoir est un linge dont la justification est très limite. Le prêtre peut toucher l'hostie à mains nues pendant la consécration mais devrait porter un voile en touchant le ciboire ou l'ostensoir... Mieux vaut en rire, surtout quand ça vient de personnes qui se disent intègres avec le rite. À quand le retour des gants et des mules épiscopaux ? » Ou encore : « J'aime beaucoup Mgr Crepy mais là ça me dépasse. Quelle honte ! » Certains connaissaient l’existence de ce tissu et en désapprouvent l’usage : « Il s'agit d'un "voile d'acolyte" appelé "vimpa". C'est remis en selle dans à peu près tous les diocèses de France. Il s'agit d'éviter que crosse et mitre ne soient en contact avec les mains sales ou pleines de graisse des servants d'autel... »

Dans le même sens : « En tant que laïque de la base ayant tout de même assisté à un certain nombre de messes célébrées par des évêques de différents diocèses, de différentes sensibilités, je n’avais encore jamais vu cette écharpe à moufles. D’autre part aux vues de la gravité de la situation dans l’Eglise, il n’est pas interdit d’interroger certaines pratiques et leur symbolique, qu’elles soient traditionnelles ou novatrices peu importe : quel message délivrent-elles ? Quels rapports entre nous véhiculent-elles ? Toujours à partir du critère évangélique, sans lequel même la meilleure des traditions perd toute justification. »

Et encore : « Voilà comment, de mon humble position de fidèle anonyme et (bien sûr) pécheur, je me situe devant cette image : notre époque, démocratique et réticente à se soumettre aux hiérarchies, est en déphasage total avec ces manifestations symboliques. Qu'est-ce qu'il a de plus, cet évêque, pour que les symboles de son autorité ne puissent être exhibés que par des servants d'autel pourvus de gants ? Et où sont les filles, d'ailleurs ? Mais est-ce que cette façon de faire contribue à faire passer le message d'un Christ serviteur qui lave les pieds de ses disciples ? Je ne vois qu'un "grand seigneur" très soucieux de ses préséances. Mais sa principauté est assise sur du vide et elle ne tient que par le nombre de fidèles qui lui accordent encore un minimum de respect et de vénération... Placée derrière lui, l'image du Christ crucifié devrait pourtant le rappeler aux réalités évangéliques essentielles. Parce qu'Il est nu et seulement revêtu du périzonium... Et tout le reste est cléricalisme. »

Un quart des commentateurs contestent l’intervention de Christine Fontaine

Parmi le quart d’intervenants qui désapprouvent mon interprétation, certains pensent qu’il faut contester vigoureusement les abus dans l’Église mais qu’en l’occurrence c’est ma critique qui est elle-même abusive : « Honnêtement tempête dans un verre d’eau et ne pas tout confondre. Cela nuit aux meilleures causes. » Ou encore : « C'est vraiment lui chercher des poux dans la tête. Les personnes à qui j'ai montré cette image ont été parfaitement incapables d'y trouver quoi que ce soit de choquant. » Quelqu’un précise : « Ne faites pas le jeu de ceux que vous voulez dénoncer. Ne confondez pas la forme et le fond. Et ne jetez pas, par maladresse, l’opprobre sur un homme qui, j’en suis sûr, a fait, fait et fera beaucoup pour la cause des abus dans l’Église. Je vous en supplie très fraternellement et très sincèrement. »

Parmi ceux qui approuvent ce rite, certains le jugent traditionnel : « Cette tradition liturgique est très ancienne et toujours actuelle : 'En plus des servants requis pour la messe solennelle, il y a besoin d'un porte-mitre et d'un porte-crosse. Par dessus l'aube ou le surplis, ils portent sur leurs épaules de légers voiles de soie blanche (ou d'un tissu similaire) pour recouvrir leurs mains quand ils tiennent la mitre ou la crosse. Cette ancienne pratique de voiler les mains quand elles tiennent un objet liturgique n'est pas seulement une nécessité pratique, mais symbolise le respect envers les signes sacrés. Il serait contraire à cette tradition de remplacer le voile huméral par des gants.' Source : https://www.ceremoniaire.net/.../docs/ceremonial_1995_5.html » Ou encore : « L'usage liturgique est tout à fait banal pour les messes pontificales. La première mention des vimpae remonte au XIVème siècle. » Certains trouvent du sens au port de ces vimpae par les enfants : « Cela fait réaliser qu’à travers ces objets, il y a là la grandeur de la dignité épiscopale, que la mitre et la crosse représentent la fonction de l’évêque, ce pasteur choisi par Dieu pour amener une portion du peuple de Dieu vers le ciel. Même un jeune servant, qui n’est pas encore un théologien ou un grand liturgique, va comprendre qu’en ne touchant pas directement la crosse et la mitre dans la liturgie, il y a là un symbole important à travers ces objets. Cela ne reste qu’un symbole, nous sommes d’accord, mais notre foi est une foi incarnée, qui a besoin de choses concrètes, nous ne sommes pas de purs esprits comme les anges ! »

Seulement quatre ou cinq personnes refusent tout dialogue. Parmi elles, on peut citer : « On voit la poutre dans l'œil du voisin mais on ignore celle qui nous aveugle. » Mais surtout une personne s’est avérée d’une obstination remarquable à me répéter : « Vous avez un grand manque de culture religieuse. Révisez les rites liturgiques et revenez. » Recherche faite, cet intervenant s’est révélé être lui-même un évêque, gallican certes mais évêque tout de même à qui, en désespoir de cause je n’ai pu que répondre (et je m’en excuse !) : « Si au moins vous vous contentiez de vous adresser à vos propres "brebis" gallicanes et que vous cessiez de venir emm...der aussi les catholiques ! » Cet évêque a tenté de s’appuyer sur un jeune « abbé » (c’est ainsi qu’il se présente) aux positions conservatrices que je contestais depuis un moment. Celui-ci lui a répondu : « Je dialogue avec Christine et je ne suis pas là pour insulter les personnes. » Et il a réussi à accomplir ce qui me paraissait impossible : l’évêque dès lors n’est plus intervenu. Aussi n’ai-je pu que dire à cet abbé : « Là franchement chapeau ! Et je suis sérieuse ! Je ne vous épargne guère et néanmoins vous vous désolidarisez des réponses méprisantes à mon égard de cet évêque gallican. Décidément vous ne vous réduisez pas à votre discours moralisateur ! Selon moi, vous n'êtes pas seulement "abbé", vous êtes vraiment croyant ! »

Réponse de Christine Fontaine après lecture des commentaires

Je constate que plusieurs personnes pensent que j'exagère. Il est vrai qu'en mettant cette photo en ligne, je ne m'attendais pas à un tel afflux de commentaires. Cependant je me permets de persister dans la lecture que je fais de cette photo. Il n’est pas question pour moi de mettre en doute la lutte contre les abus dans laquelle Mgr Crépy est engagé par ailleurs mais plutôt de pointer l’incohérence entre ce qu’il veut faire et ce qu’il fait dans cette liturgie qu’il préside. On me dit : cela se fait partout donc c'est normal et cela n'a rien de choquant. Mais les rites forgent un groupe humain, en l'occurrence ils font l'Église. Celui-là véhicule une certaine manière de vivre en Église que je tente de décrypter. Je le fais parce que précisément j'ai connu une autre manière : j'ai participé à des célébrations présidées par un évêque où ce dernier venait sans crosse ni mitre mais c'était, il est vrai, il y a déjà quelque temps. « En ce temps là » on ajustait les rites à la vie et à l’histoire d'un peuple.

La crosse et la mitre sont des insignes du pouvoir monarchique avant d'être des insignes religieux. Cette scène est composée d'un évêque, d'un diacre, d'un prêtre (toute la hiérarchie) et d'enfants de chœur aux mains "pas suffisamment propres" pour toucher ces objets. Ce rite nous enseigne (sans avoir à rien dire) à sacraliser le pouvoir hiérarchique et à considérer l'Église catholique comme une monarchie absolue de droit divin. Derrière cette scène, le Christ en Croix. Ce jour-là, le Christ a volontairement abandonné tout pouvoir sauf celui d'aimer chacun sans limite et sans fin. L'Église qui est née de la Croix est celle où l'apôtre Paul dit : « Il n'y a plus ni Juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. » L'Église de Jésus-Christ est là où ensemble, en son nom, on lutte contre toute sacralisation du pouvoir, contre toute hiérarchisation entre humains. Alors, comme dans tout groupe humain, il faut bien des lois qui permettent de vivre ensemble et donc une autorité pour les faire respecter. Mais cette autorité, si elle se veut évangélique, ne doit jamais se sacraliser ni être sacralisée par les fidèles.

Ce rite est réintroduit - ou vécu traditionnellement, selon certains - dans le même temps où des évêques et des prêtres ont profané le corps d'enfants (et d'adultes aussi d'ailleurs). Les membres de la hiérarchie ici ne portent pas de "gants" : ils ont les mains suffisamment pures... Est-ce que ce sont les enfants qui, dans l'Église aujourd'hui, n'ont pas eu suffisamment les mains propres pour toucher des objets liturgiques ? On ne réglera jamais les abus sexuels si on se laisse prendre - sans exercer aucun esprit critique - par les rites qui sacralisent le pouvoir hiérarchique. Le rite opère : il impose le silence à tout esprit critique... sans rien avoir à dire... et il le fait d'autant plus qu'il peut être beau ! Ceci étant, je peux comprendre qu'on me dise que je monte en épingle une scène qui paraît anodine. Qu'il me le soit pardonné ! Pour mon compte, je la trouve révélatrice et ce que je redoute c'est plutôt la banalisation du mal. Mais je me réjouis que des échanges aient été encore possibles malgré des positions de plus en plus divergentes au sein de l’Église catholique de France.

Christine Fontaine, septembre 2023

1- Mgr Crépy La foi à l’épreuve de la toute-puissance, lutter contre les abus dans l’Église Ed. Lessius 2021. / Retour au texte
2- Christine Fontaine a copié pour le groupe Abus en Église ce qu’elle a mis sur sa propre page. Le nombre de commentaires évoqué ici regroupe ceux qui sont arrivés sur l’une ou l’autre page. / Retour au texte