Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour à " Migrants " Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site

Le calvaire des étudiants réfugiés en France
Rudi Osman

Rudi Osman a repris un parcours universitaire en France après avoir dû l’interrompre en Syrie en 2013. Il nous raconte les difficultés qu’il a rencontrées et l’association qu’il a créée pour accompagner les personnes exilées qui souhaitent commencer ou reprendre leurs études. Il écrit : « Je me suis toujours dit qu'il fallait que mon action puisse permettre aux autres de ne pas vivre ce calvaire. »

(0) Commentaires et débats

Peux-tu nous parler de ton parcours avant d'arriver en France ?

Avant d'arriver en France, j'habitais à Damas, en Syrie. Lorsque les révolutions ont éclaté en Tunisie, en Égypte et en Libye en 2010 et 2011, j'étais étudiant en quatrième année à la fac de droit de Damas. Sentant que la tension montait en Syrie, nous avons commencé à nous organiser. Pendant plusieurs mois, nous avons manifesté pacifiquement dans tout le pays pour demander plus de justice sociale et de démocratie. Je suis devenu, comme beaucoup d'autres jeunes de ma génération, militant et journaliste citoyen. J'ai été arrêté plusieurs fois et torturé pendant des jours. J'ai fini par quitter le pays en 2013, et suis devenu réfugié politique en France.

En arrivant à Paris, j'ai co-fondé Radio Rozana, une radio qui diffusait sur internet et en Syrie principalement. J'y suis resté environ 3 ans, avant et pendant ma reprise d'études.

Pourquoi vouloir reprendre tes études alors que tu avais un travail assuré ?

J'ai voulu reprendre mes études de droit, mon domaine de prédilection, en parallèle de mon travail. Je n'avais pas validé les dernières matières en Syrie, donc je n'avais aucune preuve de mon parcours universitaire. Je ne parlais pas non plus français.

Une amie m'a accompagnée et s'est battue pour que je puisse m'inscrire à Paris 2 - Assas, la seule fac où j'ai été accepté. A alors débuté un véritable parcours du combattant, entre cours de français intensifs, longues heures dans les amphithéâtres à essayer de comprendre des bribes de cours, relecture et révisions les soirées et les week-ends... Il fallait que je me familiarise avec une autre manière de penser, la méthodologie à la française, la rédaction de dissertations et de commentaires de texte.

J'ai eu de la chance de rencontrer des personnes aidantes, mais il faut dire que l'environnement n'était pas particulièrement accueillant, et que nous ne devions pas être très nombreux en tant qu'étudiant réfugié à Assas, ce qui pouvait compliquer les procédures administratives.

Bien qu'entouré de camarades très bienveillants et étant investi dans la vie associative de la fac, j'ai senti ce que pouvaient ressentir d'autres étudiants exilés : une grande solitude, dû à la barrière de la langue, à l'écart d'âge, à la manière d'appréhender les études. Dieu merci, j'ai toujours eu un toit sur la tête et des amis très proches, mais je sais que ce n'est pas le cas de beaucoup d'étudiants exilés.

De là est venu ton engagement pour les étudiants exilés ?

Exactement ! Je me suis toujours dit qu'il fallait que mon action puisse permettre aux autres de ne pas vivre ce calvaire. Nous étions trois ou quatre étudiants exilés, aux profils similaires. Nous nous sommes donné rendez-vous dans un café pour accueillir celles et ceux qui souhaitaient reprendre leurs études, et les accompagner dans les démarches administratives. On a été 5, puis 10, puis 20... Les besoins étaient considérables, et nous avons décidé de fonder une association, afin de pouvoir y répondre. C'est ainsi qu'est née l'Union des Étudiants Exilés, d'abord comme collectif en 2015 puis nous sommes devenus une association en 2018. Nous avons obtenu un local à la Maison des Réfugiés de Paris, que nous avons quittés en 2023, étant maintenant implantés au plein cœur du nouveau campus de Condorcet, à Aubervilliers.

Que faites-vous concrètement à l'Union des Étudiants Exilés ?

Nous accompagnons les personnes exilées qui souhaitent commencer ou reprendre leurs études. Nous avons pour cela une permanence, ouverte tous les jours. Chaque mois, nous recevons la visite d'environ 200 futurs étudiants... et nous arrivons à inscrire environ 2 000 d'entre eux par an, dans le cursus de leur choix.

Mais comme nous l'avons déjà évoqué, l'inscription n'est que la première étape. Viennent par la suite les difficultés liées au logement, aux bourses, aux cours de français et de méthodologie etc. Nous proposons un accompagnement sur tous ces aspects, grâce à des relations que nous avons su construire avec le CROUS par exemple, ou encore avec de nombreuses universités ou centres de langue. L'UEE organise également des activités pour se redonner confiance et permettre de sortir de l'isolement : cours de prise de parole en public, théâtre-thérapie, cours de méthodologie, randonnées, soirées.

Mais votre action ne se limite pas à un accompagnement individuel...

Non, notre but est de permettre un accès durable aux universités, notamment pour les prochaines générations. Nous formons souvent les personnels des administrations ou les associations universitaires aux besoins spécifiques de ces populations. Nous sommes également devenus membres du bureau du MENS, un réseau qui regroupe 52 universités engagées pour accueil des étudiants exilés. Avec le MENS, nous réfléchissons à la mise en place de procédures adaptées au profil de nos bénéficiaires. Par exemple, le DU passerelle, permet aux étudiants exilés de rejoindre l'université de leur choix, pour d'abord suivre un an de cours de français intensifs. Une fois le niveau B2 validé, ces étudiants, qui ont repris confiance en eux et qui sont déjà familiers des lieux, candidatent pour la formation de leur choix dans cette même université.

Enfin, nous travaillons beaucoup sur le plaidoyer, afin de sensibiliser les décideurs sur la situation des étudiants exilés. Ce n'était pas gagné, mais je crois que nous commençons à faire bouger les lignes, petit à petit.

Quelles sont les prochaines étapes pour l'UEE ?

Nous nous étendons sur le territoire ! Nous avons remporté le concours de la fondation de la France s'engage en 2022, ce qui nous permet d'ouvrir des permanences à Lille fin 2023 et à Strasbourg en 2024.

En parallèle, nous sommes membres du bureau du European Migration Forum qui permet d'avoir un pied à Bruxelles et de pouvoir réfléchir à ce niveau sur les questions migratoires, car une partie des décisions se prennent là-bas !

Enfin, nous allons lancer début 2024 un réseau social, Toc-toc, dont le but est de permettre à tous les étudiants (dont les exilés) de créer des liens entre eux et donc de sortir de la solitude. Le principe est que chaque étudiant puisse poster une annonce en ligne pour demander des notes de cours, pour proposer un échange linguistique, pour aller manger à plusieurs à la cantine, etc.

Qu'est-ce que l'UEE t'a apporté à titre personnel ?

À titre personnel, en tant que fondateur de l'UEE, j'ai intégré plusieurs réseaux. J'ai notamment été nommé Obama Leader en 2022, et j'ai rejoint le jury de la Fondation de France, ainsi que diverses initiatives au niveau français et européen.

Je dois dire que lorsque je vois tous les interlocuteurs, associations, professeurs et directeurs d'université se mobiliser pour nous, je reprends vraiment espoir ! Je rêve que tous ces étudiants puissent avoir la chance d'étudier dans l'apaisement, de décrocher leurs diplômes et de se lancer dans la vie ici en France. Nous sommes des gens souvent qualifiés, nous parlons plusieurs langues, nous avons des rêves plein la tête et nous nous retrouvons souvent cantonnés aux "métiers en tension"... c'est du gâchis !

De quel œil vois-tu tous les débats autour de l'immigration ?

Il faut se dire les choses : en France, nous avons très mal accueilli ces dernières années les Syriens, les Afghans et même les Ukrainiens ... et proportionnellement, nous en avons accueillis très peu ! De ce point de vue, nous ne sommes plus vraiment un territoire attractif ; ceux qui ont le choix d'aller ailleurs partent, et cela nous le devons au durcissement des conditions d'accueil.

Certains ont intérêt à ne pas poser le débat sur de bonnes bases. La question n'est pas "pour ou contre l'immigration ?". Tous les experts s'accordent sur le fait que le phénomène dans le monde va s'intensifier et que des territoires largement épargnés comme l'Europe vont y être confrontés tôt ou tard. Jusqu'aujourd'hui, l'immense majorité des migrations se fait entre les pays du sud et n'atteint pas le Nord... mais que va-t-il se passer lorsque le dérèglement climatique (en plus des guerres et des situations d'oppression) mettra sur les routes de plus en plus de monde ?

La question pour moi est plutôt celle de la société que nous voulons construire ensemble : souhaite-t-on créer les conditions d'un véritable vivre-ensemble et garantir à tous l'égalité dans l'accès aux droits, ou sommes-nous prêts à renoncer aux principes qui fondent notre République ?

Rudi Osman, 14 octobre 2023
Peintures de Daouda Traoré