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À propos de la bénédiction des couples homosexuels
Christine Fontaine

Dans un document publié en décembre 2023, le Vatican a autorisé la bénédiction des couples "irréguliers" aux yeux de l'Église - divorcés remariés et couples homosexuels, à condition qu'elle soit effectuée en dehors des rituels liturgiques. La possibilité de bénir des couples d’homosexuels a suscité, dans l’Église catholique, des réactions contraires et souvent passionnées. Christine Fontaine tente une analyse et se situe dans ce débat.

Cet article a été écrit pour la revue « Golias » (numéro bimestriel à paraître, printemps 2024). Nous remercions Christian Terras, directeur de rédaction, de nous avoir permis de le diffuser en avant-première.

(2)Commentaires et débats

L’homosexualité est-elle une perversion pour la hiérarchie catholique ?

Le pape François est revenu, une nouvelle fois le 8 février, sur la bénédiction des couples homosexuels. Il a déclaré  (1)  : « Les péchés les plus graves sont ceux qui se déguisent sous une apparence plus "angélique". Personne ne se scandalise si je donne une bénédiction à un entrepreneur qui exploite peut-être les gens : c'est un péché très grave. Alors qu'ils sont scandalisés si je la donne à un homosexuel... C'est de l'hypocrisie ! Nous devons tous nous respecter. Tout le monde ! Le cœur du document est l'accueil. »

Déjà à Lisbonne, lors des journées mondiales de la jeunesse, le pape martelait « Il y a de la place pour tout le monde dans l’Église… Tout le monde, tout le monde, tout le monde… » Il s’opposait ainsi à une Église de purs ou de vertueux qui se prétendraient meilleurs que les autres. Le pape insiste sur le fait que, sur cette terre, nous sommes tous pécheurs et que Dieu « nous aime comme nous sommes, sans maquillage, […] avec nos problèmes, nos limites, notre joie débordante, notre volonté d’être meilleur ». « Dieu nous aime comme nous sommes, pas comme nous voudrions être, et pas comme la société voudrait que nous soyons. » C’est cette même conviction qui l’a poussé à autoriser la bénédiction de couples homosexuels en précisant qu’il ne bénit pas « un mariage homosexuel », mais « deux personnes qui s'aiment et je leur demande également de prier pour moi », et il ajoute : « Toujours lors de la confession, quand ces situations se présentent, des personnes homosexuelles ou remariées, je prie toujours et je bénis. La bénédiction ne doit être refusée à personne. Tout le monde, tout le monde. Attention, je parle de personnes : celles qui sont capables de recevoir le baptême (2) . »

Parmi ceux qui, comme le Pape, veulent une Église accueillante à tous mais s’étonnent de sa position sur la bénédiction des couples homosexuels n’y a-t-il que des hypocrites ? Certains ne peuvent-il s’étonner pour une tout autre raison : la confusion entre ce que propose le pape aux couples homosexuels et ce que ces couples demandent à l’Église. En effet, pour le pape, cette bénédiction est légitime dans la mesure où, comme tous les autres pécheurs, les homosexuels sont bénis de Dieu. Avec insistance, toute une partie de la hiérarchie qui se veut fidèle au pape a comparé cette bénédiction avec celle demandée au prêtre par le pénitent lors du sacrement de réconciliation : « Bénissez-moi, mon père, parce que j’ai péché. » Mais les couples homosexuels qui demandent la bénédiction de l’Église ne le font pas parce que leur amour serait de l’ordre du péché mais parce qu’il est, selon eux et nombre de catholiques avec eux, don de Dieu. N’y a-t-il pas un malentendu profond entre la demande de ces couples et ce que propose le pape ? Il est, dans les deux cas, question de bénédiction mais elle ne porte pas sur la même réalité.

Nous pouvons cependant nous réjouir de ce premier pas du pape fait en direction des couples homosexuels mais à condition que ce soit le pas à faire pour en venir à reconnaître que l’homosexualité n’est pas une perversion, contrairement à ce qui continue à être affirmé dans le Catéchisme de l’Église Catholique : « S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présentent comme des dépravations graves, la Tradition a toujours déclaré que ‘les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés’. Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas » (CEC n°2357). Sans ce changement dans la morale de l’Église catholique, les propos du pape ne risquent-ils pas de plonger les croyants dans une grande confusion ?

Est-il légitime de considérer l’homosexualité comme une perversion ?

Certains diront qu’on ne peut en aucun cas changer ce Catéchisme mais ils oublient que, par exemple, entre sa première édition et les suivantes, il a été changé en ce qui concerne la peine de mort – autorisée au départ et interdite par la suite. Cela étant, pour le changer, encore faut-il y avoir de bonnes raisons. Le seraient-elles aujourd’hui ?

Les évêques continuent de rappeler à l’ensemble de l’humanité les vérités éternelles dont ils se pensent les dépositaires. Reprenant la théologie de Thomas d’Aquin, la hiérarchie affirme que Dieu en créant le monde l’a doté de lois immuables. Selon cette « loi naturelle », dont parle le Catéchisme de l’Église Catholique, la différence sexuelle entre l’homme et la femme est fondatrice de toute vie sociale et familiale : elle permet la procréation et donc protège la survie de l’humanité. La différence des sexes et des générations est « l’intouchable » : ce que nul être humain, doué de raison, ne devrait jamais remettre en cause et ce que l’Église catholique a pour mission de rappeler, non seulement aux siens mais à l’ensemble du genre humain. L’homosexualité, selon la loi naturelle, est donc bien une perversion. Mais cet argumentaire selon la « loi naturelle » immuable est devenu très étranger à la plupart de nos concitoyens, qu’ils soient ou non croyants… en dehors de quelques thomistes invétérés, arrêtant la pensée spéculative à Thomas d’Aquin qui a vécu au XIIIème siècle.

L’autonomie des sciences, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, s’accompagne d’une révolution copernicienne : aucune science n’est fondée sur une vérité immuable. Elles s’appuient toutes et toujours sur des hypothèses qui doivent être reconsidérées quand un élément nouveau émerge. Plus les connaissances s’étendent, plus apparaît l’étendue de ce qu’on ne sait pas encore : l’Autre du déjà connu. Est-ce à dire que toute connaissance scientifique est relative ? Elle est relative à l’état des connaissances aujourd’hui. Mais le fait qu’elle soit ouverte à des découvertes ultérieures ne la rend pas pour autant mouvante et aléatoire. Tant qu’un système d’interprétation a fait ses preuves on le garde. « Faire ses preuves » signifie que ce qui n’était qu’une hypothèse de travail est reconnu par les communautés scientifiques, chacune dans leur spécialisation, comme pouvant permettre une compréhension qui fonctionne dans tel ou tel domaine. Or depuis 1990, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rayé l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

Selon l’OMS, l’homosexualité n’est pas une perversion. Selon les lois de l’Église catholique, fondées sur « la loi naturelle », elle en est une et devrait même conditionner les lois particulières d’un pays. D’où cette déclaration, par exemple, du cardinal Barbarin au moment des manifestations contre le mariage pour tous : « Le Parlement n’est pas Dieu le Père. » Qu’il nous soit alors permis d’aller voir ce que Dieu le Père nous dit, par son Fils, et qui nous est communiqué dans les évangiles. Tout d’abord, Jésus n’y parle jamais de l’homosexualité. D’ailleurs les références bibliques que donnent le Catéchisme sont l’une du livre de la Genèse et deux de Saint Paul, aucune de l’évangile  (3) . Est-ce à dire que l’homosexualité n’existait pas au temps de Jésus ? Elle est connue depuis toujours ! Son silence n’est-il pas plutôt le signe qu’il ne juge pas bon d’en parler en tant que telle car ce serait réduire quelqu’un à sa sexualité ? En revanche Jésus reprend le livre de la Genèse, dont parle le Catéchisme, quand il déclare : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme (…) ? Ainsi ils ne sont plus deux mais une seule chair. Eh bien ! Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer. » (Mt 19,4).

Cependant, c’est à la question des Pharisiens - « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quels motifs ? » - que Jésus répond et non sur la sexualité des partenaires. Jésus rétablit la réciprocité entre l’homme et la femme voulue par Dieu à l’origine. Alors, les disciples se rebiffent : « Si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas expédient de se marier » (Mt 19,10). Comment mieux exprimer que le seul intérêt du mariage pour un Juif est d’exercer sa propre maîtrise sur sa femme ! C’est de ce régime patriarcal que Jésus tente de les extraire. Et comme ultime preuve que l’union entre l’homme et la femme, telle que Dieu la désire, n’est pas davantage de l’ordre des lois de la nature - comme dans le monde animal - que de celui d’une culture patriarcale, Jésus ajoute : « Il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux. Qui peut comprendre, qu’il comprenne ! » (Mt 19,11-12).

Scandale pour tous les Juifs ! L’absence de relations sexuelles est toujours un grand malheur et il n’est pas concevable qu’elle soit choisie. Il en sera de même pour les musulmans. Ce choix, pour eux, ne peut pas être voulu par Dieu puisqu’il contredit les lois de la nature que lui-même a créées. Jésus n’impose le célibat à personne et surtout pas aux homosexuels dont il ne parle pas. Il signifie que l’amour en humanité ne relève ni des lois de la nature ni des lois patriarcales qui fonctionnaient alors dans la société juive. Il invite à considérer que tout amour humain procède du même lieu et du même Mystère. Ce lieu est le sanctuaire de Dieu au milieu des hommes. Il se situe par-delà toute loi. Vouloir instaurer des règles de morale en ce lieu revient à violer ce sanctuaire.

Le fait que ce mystère de l’amour puisse s’incarner sous des formes différentes permet à chaque sujet - désireux de suivre la Voie ouverte par Jésus - d’inventer son propre parcours. Tant bien que mal, cahin-caha… tous ensemble… les couples qui ont la chance de connaître un amour durable et ceux qui – comme la Samaritaine – ne l’ont pas encore trouvé après cinq expériences malheureuses, ceux qui vivent dans le célibat par choix et les eunuques de naissance ou ceux qui le sont devenus par l’action des hommes, les homos, les hétéros, les trans… et même les prostituées dont il est écrit qu’elles précèdent les hommes de religion dans le royaume de Dieu (Mt 21,31). N’est-ce pas devant ce même mystère de l’amour humain que le pape François s’incline quand il déclare : « Quand deux hommes ou deux femmes s’aiment vraiment, qui suis-je pour les juger ? »

La célébration de l’amour au sein de couples homosexuels

L’homosexualité n’est plus classée dans les perversions pour l’organisation Mondiale de la Santé depuis de nombreuses années. Elle n’est jamais traitée de perversion dans les évangiles. Mais elle l’est toujours dans le Catéchisme de l’Église Catholique. Le pape François pouvait-il aller plus loin que d’autoriser une bénédiction privée pour les couples homosexuels en laissant planer le doute sur le fait que Dieu bénit même les pécheurs ou qu’on ne peut qualifier de péché un amour entre deux hommes ou deux femmes quand il est sincère ? Vu le tohu-bohu que suscite son initiative, il est probable qu’il ne pouvait pas en dire davantage.

Cependant, ce même pape a demandé aux catholiques du monde entier de l’aider à lutter contre le cléricalisme. Ce qui peut signifier, en l’occurrence, qu’ils ont peut-être trop tendance à tout attendre de la hiérarchie et que le pas suivant est à faire du côté des fidèles. La déclaration Fiducia supplicans s’achève par ces mots : « C’est en particulier à travers des prières de bénédiction, données sous une forme spontanée, ‘non ritualisée’, hors de tout signe susceptible d’assimilation à la célébration du mariage, que les ministres de l’Église pourront manifester cet accueil large et inconditionnel. » Le pape tient à ce que cette bénédiction ne puisse être apparentée à un mariage sacramentel et il est vrai que, pour un catholique, c’est à la hiérarchie de régler ce qui est de l’ordre des sacrements ainsi que la manière de les célébrer. À cette condition, le pape autorise les ministres du culte à bénir des couples de croyants homosexuels, en laissant à la liberté des évêques de donner la consigne pour leur diocèse de bénir le couple en tant que tel ou chaque membre séparément. Telle est donc aujourd’hui la loi dans l’Église catholique. Elle convient à certains mais laisse beaucoup d’autres croyants insatisfaits. Qu’est-ce qui empêche ceux-ci de poser un pas non pas contre la loi mais à partir des limites qu’elle trace ?

Selon le pape, la bénédiction dont il est question doit passer par un prêtre et ne doit pas avoir d'aspect public. Cela laisse une marge à… une célébration d’une part publique et qui, d’autre part, ne passe pas par un prêtre. En effet, toute bénédiction – dans l’Église catholique – ne passe pas nécessairement par un clerc : des parents chrétiens n'ont-ils pas l'habitude de bénir leurs enfants en traçant une croix sur leur front ? Quant au caractère public dont parle le pape, il ne peut que concerner les lieux dont la hiérarchie a la charge. Mais qu’est-ce qui empêche de célébrer l’union d’un couple homosexuel dans un autre lieu ? Ou bien même dans une église si le curé y consent… Ainsi, à l’initiative des fidèles, pourraient avoir lieu la bénédiction - non pas officielle mais publique - de couples d’homosexuels désireux que d’autres croyants reconnaissent que leur amour mutuel est don de Dieu et demandant l’aide de Dieu pour cheminer ensemble dans cet amour mutuel.

Il est vrai que cette célébration ne pourrait pas se faire n’importe comment. Il faudrait au préalable vérifier que les intentions du couple, en demandant cette bénédiction, sont identiques à celles de la communauté de croyants qui les entoure. Ainsi, pour l’Église catholique le mariage religieux comporte quatre conditions : qu’il y ait fidélité dans l’engagement, liberté du consentement, indissolubilité du lien et fécondité de l’amour (qui ne se réduits pas au fait d’avoir des enfants). Dans la perspective de la bénédiction d’un couple homosexuel, faut-il ou non garder ces mêmes intentions ? Un travail s’impose qui pourrait être accompagné pas des théologien(ne)s… laïcs ou clercs… Il faudrait probablement également envisager le déroulement de la célébration qui comporterait (ou non), par exemple, l’échange des consentements, la remise des alliances. Il faudrait enfin convenir de la personne – homme ou femme – qui animerait cette assemblée. Enfin, même s’il est clair qu’il ne serait pas question de sacrement, il serait peut-être prudent de ne pas bénir cette union avant le mariage civil. Toutes ces questions sont à voir mais elles sont passionnantes dans la mesure où, pour une fois, elles font appel au discernement des baptisés et à leur créativité.

Dans l’Église catholique le sacrement de mariage n’est pas donné par le prêtre : ce sont les futurs époux qui se le donnent mutuellement, le prêtre n’est que le témoin de leur engagement. Cette présence du prêtre atteste que ce qui est célébré correspond à ce que l’Église catholique entend par mariage. Dans le cas de la bénédiction d’un couple homosexuel par des baptisés laïcs, il ne saurait être question de sacrement puisque la hiérarchie le refuse. Mais cet acte, me semble-t-il, ne pourrait être béni de Dieu que s’il est vrai, c’est-à-dire supposant un accord réel entre le couple et un groupe de croyants. Il conviendrait également qu’il ne soit pas posé pour contrer l’institution mais dans les marges qu’elle laisse aux baptisés. Y aura-t-il des croyants – laïcs ou clercs – qui s’entraideront pour inventer une manière de bénir et de célébrer dans la fidélité à l’évangile et dans les marges du cléricalisme ? La question peut se poser tant les croyants ont été habitués à toujours tout attendre de l’institution et à ne rien tenter sans elle dans l’espérance d’un changement. Pourtant une telle bénédiction publique – pour ne pas être un mariage naturel ni sacramentel – n’en serait, selon moi, pas moins profondément chrétienne. Elle aurait pour avantage de proposer un choix aux couples homosexuels entre une bénédiction privée par un prêtre et une bénédiction publique par un(e) laïc(que). Et pour les thomistes, on peut ajouter que Thomas d’Aquin lui-même a écrit : « Deus non alligatur sacramentis » ce qui se traduit par « Dieu n’est pas lié par les sacrements ».

Christine Fontaine, avril 2024

1- Entretien avec le père Vincenzo Vitale, pour la revue Credere du 8 février 2024. Retour au texte
2- Ibidem Retour au texte
3- Sur la lecture des épitres de Paul, on peut consulter l’ouvrage de Daniel Marguerat Paul de Tarse, l’enfant terrible du christianisme, Éditions du Seuil mars 2023 Retour au texte