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Abba, Père
Poème de Jean Grosjean et peintures de Paul Klee

Dieu se disait : Comme c’est curieux une vie humaine. Mais plus tard, car il avait inventé la durée, il s’est approché, il s’est démasqué.

Il va et vient derrière moi. Je ne le vois pas, je ne l’entends pas, mais je le devine. (…)

On ne sait de toi que ce que tu dis. Je pèse les syllabes dans ma bouche et je savoure le monopole du langage sous le flottement des paroles.

Dieu a choisi pour langage un Galiléen avec cet accent qui ferait rire en ville si ce qu’il disait ne tombait de si haut.

Dieu a décidé qu’il y aurait un univers pour caser Adam et Eve et qu’il y aurait ce Nazaréen pour court-circuiter les rêves, les drogues, les logiques et les religions. (…)

Les idées incrustées dans les crânes et l’ossature des sociétés sont des écueils plus dangereux que les turbulences de l’air, au point que le langage de Dieu implore Dieu dans la nuit : Abbé, Père.

Si nous sommes la raison d’être de l’univers, l’imploration filiale du Messie est notre raison d’être. Oui toute la création existe à cause de nous, mais nous n’existons qu’à cause de la prosternation du Fils.

La vie qui nous est donnée reste assise un moment entre la porte par laquelle Dieu est sorti et la fenêtre par laquelle il vient. Opaque la porte comme une icône mais la fenêtre à ces lueurs de ciel qu’il y a dans les gémissements de l’âme. (…)

Alors je me réveille et je suis encore avec toi. Il n’y a que Dieu qui ait assez d’âme pour donner tant de limpidité au mouvement des langues humaines et pour que le Fils puisse dire avec son accent de province les paroles de l’Écriture. (…)

Que le ciel soit encore constellé ou déjà d’azur ou toujours de nuées, je suis avec toi de nouveau. La porte du tombeau est ouverte sur le matin du monde, sur le jardin de Dieu, sur le printemps de l’existence.


Jean Grosjean, extraits de « Abba, Père » dans Si peu, Ed. Bayard 2001